[LUTTE] En Bretagne, la fronde anti-Linky se poursuit

Publié le ven 03/07/2020 - 16:05

Par Virginie Jourdan

Craintes sanitaires ou refus des collectes de données personnelles, des collectifs bretons poursuivent la lutte contre la pose des compteurs Linky.

Au bout du chemin qui borde des haies boisées et des noues ombragées, la ferme de Brigitte Plunian apparaît. Dans son élevage de vaches, cette agricultrice installée depuis 1996 dans la commune de Tremargat, dans le Centre-Bretagne, fabrique du fromage qu'elle vend sur les marchés. D'ici quelques jours, elle va organiser un petit chantier chez elle. Le cadenassage de son compteur électrique qui se trouve sur sa propriété privée. « Nous avons reçu en début d'année un courrier d'Enedis qui indiquait que notre compteur allait être remplacé par un compteur intelligent Linky. Et je le refuse », explique Brigitte. Pour en savoir plus sur les actions qu'elle peut mener et passer l'information à des voisins, elle a organisé une réunion au début du mois de mars. « Plus de 80 personnes ont répondu présentes », raconte la bretonne âgée de 63 ans.

La plupart des habitants venaient des communes alentours : Maël-Pestivien, Saint-Nicodème, Plounévez-Quintin. Autant de villages qui ont, eux aussi, reçu le courrier annonçant la venue des techniciens pour remplacer leur compteur. En Bretagne, d'après Enedis, près de 90% des communes sont dorénavant équipées. 1,7 millions de compteurs Linky ont été installés dans la région sur les 25 millions en place dans toute la France. Jusqu'en juillet 2020, les interventions étaient prévues dans les secteurs de Loudéac, Plumieux et Saint-Barnabé.

Et si le confinement décidé le 17 mars par le gouvernement pour lutter contre la propagation du coronavirus a stoppé tous les chantiers en cours, la vigilance et la détermination des anti-Linky, elles, ne faiblissent pas. « Nous avons envoyé des courriers aux maires juste avant les élections municipales, mais ces derniers n'ont pas vraiment réagi. Nous allons fermer nos compteurs quand ils sont sur une propriété privée et envoyer notre lettre de refus. Pour moi, ce compteur est une manière de poursuivre la surconsommation d'électricité, en créant un nouvel outil qui la mesure au lieu d'essayer de la réduire », explique Brigitte. Un argument que réfute Enedis. Pour le gestionnaire du réseau, ce nouvel outil assure un suivi « plus fin » qui permet de « mieux doser ses consommations ». Autre argument du gestionnaire, le compteur linky permet de mettre en place l'auto-consommation collective, en découplant la consommation d'électricité qui provient du réseau classique et celle qui pourra venir d'un futur circuit de production d'électricité collectif local.

Des actions depuis 2016

Des arguments qui ne suffisent pas à faire taire la fronde. En Bretagne, comme dans le reste de la France, le combat des détracteurs du compteur intelligent a démarré dès 2015 et il ne s'est pas éteint. Né de soupçons sur les effets sur la santé de Linky, il a ensuite investi le champ de la protection des données privées dans un monde de plus en plus numérique. Dans la Presqu'île de Crozon, à la pointe du Finistère, Joël Raoult a été l'un des premiers Bretons à refuser l'installation du compteur chez lui en 2016. À ce jour, alors que ses voisins de la commune de Saint-Nic sont équipés, ce dernier ne l'est toujours pas. « Il y a des raisons évidentes de douter de son impact sur la santé car nous craignons les effets du courant porteur en ligne, le CPL. Je pense aussi aux électro-hypersensibles et à la question de la collecte des données de surveillance sur ce que l'on consomme dans la journée. L'important est que les personnes aient le choix d'accepter ou non ce compteur », explique ce retraité. Pour informer les Bretons, il a créé une association, Liberté environnement Bretagne, qui sillonne les routes bretonnes. « Nous parlons des résultats d'études sur les conséquences pour la santé des radiofréquences, des actions en justice pour arrêter les installations chez ceux qui n'en veulent pas. Il n'y a pas de débat ! C'est anormal ! », juge Joël Raoult. En mars, les différents collectifs de Bretagne se sont rencontrés à Carhaix. Ils ont fait le point sur les actions en justice en cours. Pour l'heure, pas de victoire. Mais les dossiers suivent leur cours. « À Lorient, nous avions rassemblé 300 plaignants. Pour demander l'arrêt de la pause des compteurs, cela revenait à 48 euros par personne pour payer les avocats et les frais de justice. Nous n'avons pas eu gain de cause et nous avons fait appel. Tout le monde n'a pas suivi car cela a aussi un coût. Aujourd'hui, nous ne sommes plus que 60 et cela nous coûte 90 euros chacun », illustre Joël Raoult.

Des maires engagés dans la bataille

Ailleurs en Bretagne, les maires ont aussi tenté de passer par la voie légale pour arrêter la pause des compteurs. Parmi les élus actifs sur le dossier, Joël Mercier, le maire de Bovel, en Ille-et-Vilaine. Depuis deux ans, il a pris deux arrêtés sur sa commune. Sans succès. Pour l'instant, ces derniers ont été invalidés par le tribunal administratif et la cour d'appel. Mais il reste confiant. Sur sa commune, seules 70 maisons sur 240 sont équipées depuis la vague d'installation en février 2020. Son objectif : à défaut d'interdire la pose des compteurs, il veut stopper les installations en cours. « Nous nous concentrons sur le dispositif de sécurité que nécessite la pose de l'outil (un support non inflammable, NDLR) et qui, selon nous, n'est pas respecté aujourd'hui », explique Joël Mercier.

Ces quatre derniers mois, le temps semble suspendu. Depuis fin janvier, la grève des avocats a ralenti les actions. Depuis mars, le confinement lié au coronavirus a pris le relais. La bataille n'est pas pour autant à l'arrêt. En lien avec des maires et des associations d'une quinzaine de départements, Joël Mercier va se mobiliser, dès la fin du confinement, pour tenter d'obliger Enedis à changer les supports en bois qui accueillent actuellement nombre de compteurs, et qui, selon lui, ne sont pas aux normes car ils sont inflammables. « En tant que maire, je ne peux pas aller plus loin en termes d'arrêtés, mais nous restons mobilisés et nous poursuivrons aussi Enedis au civil ». Une lutte appelée à durer.

Qu’est-ce qu’un compteur Linky ?

Déployé depuis 2015, le compteur Linky, présenté comme communicant, permet de relever la consommation d’électricité à distance afin de facturer l’usager, non plus à partir d’une estimation, mais au « réel ». L’objectif pour Enedis est d’avoir remplacé 90% des millions de compteurs électriques d’ici 2021.

Linky : ce qu’on lui reproche

  1. Argument sanitaire : si en 2019 l'Agence nationale des fréquences (ANFR) a conclu dans une étude qu'aucun dépassement du niveau réglementaire d'exposition aux champs électromagnétiques n'avait été relevé lors des mesures effectuées en 2018, les opposants rapportent toutefois de nombreux maux frappant les électro-hypersensibles (EHS). L’avocat Arnaud Durand conteste également ces résultats (Lire interview p28-29).
  2. Argument démocratique : En février 2020, la CNIL a mis en demeure EDF et Engie, leur donnant 3 mois pour mettre en conformité la manière dont ils gèrent la collecte des informations personnelles des consommateurs, via les compteurs Linky.
  3. Argument écologique : que deviennent les 35 millions de compteurs remplacés, pourtant en état de marche ? Si Enedis en recycle une partie, et malgré l’assurance par l’entreprise qu’au contraire, les compteurs « intelligents » permettent « d’accompagner l’essor des nouveaux modes de production et de consommation d’énergie », l’argument peine à convaincre les écologistes qui dénoncent un immense gâchis, ajoutant que les compteurs Linky seront eux-mêmes obsolètes d’ici une quinzaine d’années…
  4. Argument financier : Dans son rapport du 7 février 2018, la Cour des comptes juge que « le projet de compteurs Linky profite avant tout à la société Enedis et ne répond pas suffisamment aux besoins des consommateurs. […] » Pis, la Cour des comptes démontre que l’opération, d’un coût total de 5.7 milliards d’euros, financés par un tarif différé à la charge des usagers, apportera « un bénéfice de 500 millions d'euros à Enedis. De fait ce programme constitue un coût supplémentaire à charge sur la facture des usagers et non pas au bénéfice de ces derniers. »

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