[LUTTE] A Villeneuve-les-Cerfs, les électrons libres du compteur Linky

Publié le mar 02/06/2020 - 07:59

Par Sonia Reyne

Villeneuve-les-Cerfs, en Auvergne, refuse le compteur Linky. Son conseil municipal défend son point de vue depuis 2016 grâce à des délibérations et des arrêtés municipaux. Des inquiétudes sur les principes démocratiques, la sécurité des données personnelles et la santé des citoyens motivent le choix des élus.

 

« Nous avons été alertés en 2016 par une proche de l'association Robin des Toits », se souvient Lucien Ollier, 1er adjoint de la mairie en charge du dossier Linky. Enedis se préparait alors à installer des compteurs verts sur la petite commune puydomoise de 580 habitants. « À la suite d’un contact avec Stéphane Lhomme, de Refus Linky Gaspar, le conseil municipal a délibéré à l'unanimité pour refuser le déploiement de compteurs dans la commune. » Depuis, la bataille suit son cours. « La préfecture nous a demandé d'abroger cette délibération. Nous nous sommes exécutés et dans la foulée, en 2017, nous avons enchaîné sur deux nouveaux arrêtés et une délibération. » Dans ces trois prises de position de la commune rurale, il est question de « refus du déclassement des anciens compteurs, de l'impossibilité de les remplacer par des compteurs communicants sans le consentement du conseil municipal » et de « suspendre le déploiement Linky tant que la régularité de leur installation n'est pas communiquée à la commune. » La préfecture ne commente pas dans le délai prévu par la loi. En 2018, Enedis porte donc l'affaire en justice. « Le tribunal administratif nous demande depuis décembre 2019 l'annulation de la délibération et des deux arrêtés », commente Lucien Ollier. « Nous sommes déterminés. Nous prendrons de nouvelles délibérations pour protéger les habitants. » Car les élus jugent tout simplement « dangereux » le déploiement.

« Il faut se méfier des idées simples », s'agace Pierre-François Mangeon, directeur territorial Puy-de-Dôme d’Enedis. « Il n'y a plus que Villeneuve-les-Cerfs qui refuse d'installer Linky dans le département. » Selon lui, Linky est avant tout un compteur écologique : « Nous devrions consacrer notre temps à trouver de meilleures énergies pour la planète. Si on veut réduire les gaz à effet de serre, il faut changer notre façon de produire l'électricité. » Selon lui, Linky permettra ainsi, en mesurant la consommation réelle et les besoins du réseau, de faciliter la production d’électricité des particuliers. Un argument réfuté par de nombreux écologistes (Lire ci-dessous).

Des ondes dangereuses ?

De toute façon, l’argument prétendument écologique est jugé insuffisant pour Lucien Ollier. Lui refuse le compteur communicant pour des raisons de santé ! « Les informations sont claires au sujet des risques des ondes sur les personnes électrosensibles », argumente le 1er adjoint. Il s’appuie notamment sur les travaux de la coordination Stoplinky 63. Celle-ci fédère les collectifs, les individus et les municipalités qui refusent Linky dans le Puy-de-Dôme. « Notre rôle est d'informer les citoyens avec des arguments vérifiés. Nous sommes en lien avec d'autres collectifs en France, ce qui nous permet de travailler avec des spécialistes ou des techniciens en électricité, des juristes, des responsables de santé. » Aleth Richard, de Stoplinky 63, électrosensible, précise : « Le CPL (courant porteur en ligne) circule dans tout le circuit électrique du logement, il rayonne 24h/24. Les mesures du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB)(1) reconnaissent une fréquence faible mais toxique. Le compteur bleu fonctionne aussi au CPL. Mais il filtre un peu les émissions. »

Nicolas Choné, chef d’agence EPDR Linky Auvergne, se veut rassurant. « Tout le monde peut faire mesurer l'exposition aux ondes électromagnétiques chez lui par l'ANFR (Agence nationale des fréquences). Cette démarche est  gratuite. » Mais cela résout-il le problème, une fois le compteur posé ?

Autre inquiétude, « après la pose des nouveaux compteurs, il y a quatre fois plus d'incendies qu'avant » alerte Aleth Richard. « Le risque incendie n'est pas nul, reconnaît Nicolas Choné, il est souvent lié à des problèmes de serrage des câbles. Nous vérifions au hasard 4 % des installations. Elles sont d'un niveau très satisfaisant » estime-t-il.

Quelle démocratie ?

L'accès aux données personnelles préoccupe également. « Enedis peut déduire nos habitudes de consommation et pourra interagir avec nos objets connectés. » s’inquiète encore Stoplinky63. « Le recueil des mesures sont très encadrées par la CNIL et ANSCI » répond Nicolas Choné, renvoyant une fois de plus la balle aux militants. Rappelons tout de même qu’en début d’année, Enedis s’est justement faite épingler par la CNIL qui a mis en demeure l’entreprise sur la collecte des données des consommateurs…

Enfin, Enedis a un rôle de maintenance du réseau et de relevé des compteurs. « Mais le réseau appartient aux communes. Elles transfèrent la maintenance au SIEG (Syndicat Intercommunal Electricité et Gaz) dans lequel siègent des représentants de chaque municipalité », précise le directeur territorial 63. C'est un des derniers points d'incompréhension entre Enedis et ses opposants. « En juin 2019, une loi sortie du chapeau indiquerait que les communes, en adhérant au SIEG, délèguent la propriété des compteurs des particuliers. Nous ne sommes pas d'accord ! , tempête Lucien Ollier. Le SIEG n’est pas propriétaire des compteurs. Enedis ne peut donc pas se passer de l'autorisation des communes. » Pourtant, Enedis s’en passe bien. Et poursuit massivement la pose des compteurs. En France, pourtant, nul ne peut être contraint à avoir un objet connecté.

Note de bas de page :

  1. L’étude du CSTB fait l’objet d’une remise en cause, lire interview, article lié

 

 Qu’est-ce qu’un compteur Linky ?

Déployé depuis 2015, le compteur Linky, présenté comme communicant, permet de relever la consommation d’électricité à distance afin de facturer l’usager, non plus à partir d’une estimation, mais au « réel ». L’objectif pour Enedis est d’avoir remplacé 90% des millions de compteurs électriques d’ici 2021.

 Linky : ce qu’on lui reproche

  1. Argument sanitaire : si en 2019 l'Agence nationale des fréquences (ANFR) a conclu dans une étude qu'aucun dépassement du niveau réglementaire d'exposition aux champs électromagnétiques n'avait été relevé lors des mesures effectuées en 2018, les opposants rapportent toutefois de nombreux maux frappant les électro-hypersensibles (EHS). L’avocat Arnaud Durand conteste également ces résultats (Lire interview ).
  2. Argument démocratique : En février 2020, la CNIL a mis en demeure EDF et Engie, leur donnant 3 mois pour mettre en conformité la manière dont ils gèrent la collecte des informations personnelles des consommateurs, via les compteurs Linky.
  3. Argument écologique : que deviennent les 35 millions de compteurs remplacés, pourtant en état de marche ? Si Enedis en recycle une partie, et malgré l’assurance par l’entreprise qu’au contraire, les compteurs « intelligents » permettent « d’accompagner l’essor des nouveaux modes de production et de consommation d’énergie », l’argument peine à convaincre les écologistes qui dénoncent un immense gâchis, ajoutant que les compteurs Linky seront eux-mêmes obsolètes d’ici une quinzaine d’années…
  4. Argument financier : Dans son rapport du 7 février 2018, la Cour des comptes juge que « le projet de compteurs Linky profite avant tout à la société Enedis et ne répond pas suffisamment aux besoins des consommateurs. […] » Pis, la Cour des comptes démontre que l’opération, d’un coût total de 5.7 milliards d’euros, financés par un tarif différé à la charge des usagers, apportera « un bénéfice de 500 millions d'euros à Enedis. De fait ce programme constitue un coût supplémentaire à charge sur la facture des usagers et non pas au bénéfice de ces derniers. »

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