[LUTTE] Linky : les citoyens ne badinent pas avec la liberté

Publié le ven 03/07/2020 - 13:03

Crédit photo : Céline Cammarata

Par Céline Cammarata 

En pleine campagne d’installation du compteur « communicant » Linky dans les 35 millions de foyers français, des citoyens s’organisent pour faire entendre leurs voix et refuser une installation systématique. Rencontres en Cévennes.

Dans les Cévennes gardoises, terre de résistance, la liberté n’est pas un concept abstrait. Certains élus ne mâchent pas leurs mots pour soutenir la détermination des citoyen.nes. Ainsi, Monoblet annonce la couleur dès l’entrée du village où s’étale une grande banderole « Non au Linky ». « Avant même d’être sollicité par mes administré.es, mon avis était déjà forgé concernant ce compteur. Au-delà de nos arguments contre ce déploiement, notre commune a toujours défendu la liberté de sa population », assure en préambule Philippe Castanon, maire de Monoblet, qui cite pour source de documentation le Canard enchaîné. « Nous avons engagé les délibérations et arrêtés municipaux pour interdire l’installation du Linky afin d’accompagner notre collectif anti-Linky. Par deux fois, nous avons été au tribunal. Nous avons perdu malgré la pitoyable défense d’Enedis. Le juge a tout fait pour leur permettre de s’en sortir. Ces arrêtés (qui n’ont pas de valeur légale – NDLR) nous ont simplement permis de soutenir nos citoyens et de gagner du temps.» Même refrain auprès de Laurent Martin, agriculteur et maire de la toute petite commune de Fressac, qui en fait une question de principe et a barricadé les compteurs communaux : « Je suis contre ces compteurs car le gouvernement ne respecte pas notre libre arbitre. »

Des citoyens qui cherchent à comprendre

Lorsqu’en 2015, le déploiement des compteurs communicants pour le comptage de l'électricité est inscrit dans la loi relative à la « transition énergétique pour la croissance verte », en application de directives européennes, et qu’en 2016, Enedis s’engage à les installer sur le territoire français, les controverses et les contestations s’élèvent très vite. À l’annonce de son arrivée dans leurs communes, les habitants de la région s’interrogent et se réunissent pour se compter. Très vite se créent des collectifs anti-Linky dans de nombreux villages. Puis, en janvier 2019, une coordination Sud-Cévennes voit le jour. Monique du collectif de Saint-Hippolyte du Fort, Gilles de celui de Monoblet, Annie de Fressac et Catherine de Sumène, nous ont donné rendez-vous dans le village typiquement cévenol de cette dernière. Ces militant.es ne sont pas dupes et rassemblent leurs forces pour la prochaine vague d’installations. Dénommée « phase de saturation » par Enedis, cette deuxième vague doit se faire à marche forcée sans la présence des habitant.es si nécessaire afin d’installer tous les compteurs qui n’ont pas pu l’être lors de la première. Ce qui va créer une nouvelle inégalité entre les personnes dont les compteurs sont à l’intérieur de leur logement et celles dont les compteurs sont en libre accès sur la voie publique alors qu’il existe déjà une inégalité entre les personnes reconnues souffrant d’un syndrome d’hyper sensibilité aux ondes électromagnétiques et les autres(1).

« Dès 2015, des vidéos circulaient pour nous mettre en garde sur ce compteur qui propageait des ondes électromagnétiques néfastes par la technologie du courant porteur en ligne et utilisait nos données de consommation à notre insu. En mai 2018, une première réunion d’information s’est tenue à Saint-Hippolyte du Fort», précise Monique, cigaloise dont le collectif fait partie de la coordination Sud Cévennes, qui leur a notamment permis de lancer, en février 2020, une assignation collective contre Enedis, aidé de Me Raffin – une procédure longue dont le calendrier des plaidoiries ne sera pas connu avant la fin de l’année et la remise des mémoires des deux parties. « Mon argument premier, et je l’ai dit à Enedis, au-delà même du déni de démocratie, c’est le fait que l’on remplace des compteurs qui fonctionnent et pourraient fonctionner encore durant 50 ans. C’est écologiquement impensable. » Pour Gilles de Monoblet, « ils tentent de nous ridiculiser mais nous sommes toujours là. L’important, c’est de tenir. Ce serait une belle victoire si nous pouvions rester sur nos acquis avec 25% de compteurs installés à Monoblet et 49% à Sumène. Ce combat dépasse le cadre du Linky, il s’agit de faire respecter le droit du citoyen à ne pas systématiquement devoir acter les décisions de grands groupes ! »

"Véritable harcèlement"

Alors ils s’arc-boutent sur leurs droits. Durant les réunions qui ont eu lieu partout, village par village, des kits circulent, contenant les modèles de lettre à envoyer aux instances d’Enedis et aux installateurs pour être supprimé des listes, ainsi que des autocollants « Stop linky » à poser sur les compteurs extérieurs et accessibles. Les foyers opposés au déploiement barricadent leurs compteurs accessibles. La pression monte. Catherine en témoigne pour Sumène : « Certains foyers ont subi un véritable harcèlement avant le début de la campagne d’installation et encore aujourd’hui. Certains foyers ont ainsi reçu jusqu’à 10 appels et plus pour les menacer de poursuites, les abreuver de mensonges et 3 à 4 recommandés. » Annie de Fressac enchaîne : « Lorsque les poseurs sont arrivés, nous étions 9 pour leur courir après. On se postait aux entrées du village. Nous restions en contact avec Monoblet pour se signaler mutuellement les poseurs, car nos villages sont étendus. Durant 1 mois, munis de la liste des gens qui s’opposaient, nous avons accompagné les installateurs afin de faire respecter leur choix. » Les collectifs ont également nommé des représentants auprès du Syndicat d’électrification du Gard qui leur a désigné un interlocuteur pour des réunions de suivi mensuelles. Ainsi, les manquements à la procédure dans les campagnes d’installation et les harcèlements (appels répétés, menaces de poursuite…) sont signalés afin d’y mettre un terme.

Pour conclure, en guise d’espoir, ces militant.es citent l’avocat de l’assignation collective, Me Raffin : « Les militants de Notre-Dame-des-Landes ont perdu tous leurs procès jusqu’à l’emporter sur le plan politique. »

Note de bas de page :

(1)Plusieurs personnes hyper sensibles aux ondes électromagnétiques ont déjà gagné leur procès contre Enedis. Mais dernièrement, c’est la cour d’appel de Grenoble, dans un arrêt de 20 mars 2020 qui confirme la condamnation d’Enedis suite à la procédure d’une plaignante souffrant d’un syndrome HSE. 

 

 

Qu’est-ce qu’un compteur Linky ?

Déployé depuis 2015, le compteur Linky, présenté comme communicant, permet de relever la consommation d’électricité à distance afin de facturer l’usager, non plus à partir d’une estimation, mais au « réel ». L’objectif pour Enedis est d’avoir remplacé 90% des millions de compteurs électriques d’ici 2021.

 Linky : ce qu’on lui reproche

  1. Argument sanitaire : si en 2019 l'Agence nationale des fréquences (ANFR) a conclu dans une étude qu'aucun dépassement du niveau réglementaire d'exposition aux champs électromagnétiques n'avait été relevé lors des mesures effectuées en 2018, les opposants rapportent toutefois de nombreux maux frappant les électro-hypersensibles (EHS). L’avocat Arnaud Durand conteste également ces résultats (Lire interview ).
  2. Argument démocratique : En février 2020, la CNIL a mis en demeure EDF et Engie, leur donnant 3 mois pour mettre en conformité la manière dont ils gèrent la collecte des informations personnelles des consommateurs, via les compteurs Linky.
  3. Argument écologique : que deviennent les 35 millions de compteurs remplacés, pourtant en état de marche ? Si Enedis en recycle une partie, et malgré l’assurance par l’entreprise qu’au contraire, les compteurs « intelligents » permettent « d’accompagner l’essor des nouveaux modes de production et de consommation d’énergie », l’argument peine à convaincre les écologistes qui dénoncent un immense gâchis, ajoutant que les compteurs Linky seront eux-mêmes obsolètes d’ici une quinzaine d’années…
  4. Argument financier : Dans son rapport du 7 février 2018, la Cour des comptes juge que « le projet de compteurs Linky profite avant tout à la société Enedis et ne répond pas suffisamment aux besoins des consommateurs. […] » Pis, la Cour des comptes démontre que l’opération, d’un coût total de 5.7 milliards d’euros, financés par un tarif différé à la charge des usagers, apportera « un bénéfice de 500 millions d'euros à Enedis. De fait ce programme constitue un coût supplémentaire à charge sur la facture des usagers et non pas au bénéfice de ces derniers. »

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