[ NATURISME ] Bretagne : les fesses au grand air

Publié le dim 28/07/2019 - 08:05

Par Stéphanie Biju

Bien au-delà d'un bronzage intégral, le naturisme affiche des valeurs de tolérance et de « vie vraie », qui semblent séduire de plus en plus, avec 11 millions de Français qui se disent « prêts » à tenter l’expérience. La Bretagne a ses adeptes. Rencontrés sur la plage, dans un camping ou sur un chemin de randonnée, tous évoquent une grande sensation de liberté, de bien-être et de lâcher-prise. Et invitent à tenter l'expérience. « Le naturisme, pour le comprendre, il faut le vivre ! ». Qu'on se le dise…

En ce mercredi printanier ensoleillé, et alors que les beaux jours peinent à s'installer en Bretagne, Liliane (1) a carrément tout enlevé ! La septuagénaire profite d'un bain de soleil sur la plage naturiste de Kerver, en presqu'île de Rhuys (56), où elle a ses habitudes depuis des années. « J'y venais avec mes fils. Maintenant, j'y emmène mes deux petites-filles, de 15 et 8ans, pendant leurs vacances. Elles ont toujours un temps d'hésitation mais… il ne leur faut généralement pas plus d'une journée pour se retrouver, elles aussi, les fesses à l'air ! », s'en amuse la naïade. « En fait, c'est en enlevant son maillot que l'on mesure à quel point on est mieux sans. Essayez, vous verrez ! »

Facile à dire, mais de là à retirer le bas… « Au début, évidemment, on n'est pas à l'aise », admet Nicolas, 36 ans, « mais la gêne disparaît très vite ». Lui a franchi le pas il y a trois ans. Aujourd'hui, il privilégie les plages naturistes aux « textiles ». « Quelle légèreté ! Tu enlèves tout avec le maillot. Tes soucis avec ! », assure celui qui se considère davantage nudiste que naturiste.

Un art de vivre, nu mais surtout en harmonie avec la nature

La différence ? Elle est philosophique. Là où le nudisme consiste à être nu dans un espace public, le naturisme, lui, s'inscrit en art de vivre qui passe, entre autres, par la pratique collective de la nudité. « Dans le mot naturisme, il y a "nature" », fait remarquer Louis Cotard, vice-président du Conseil Régional de Bretagne de la Fédération Française de Naturisme. Autrement dit, « être naturiste, ce n'est pas seulement se mettre nu. C'est aspirer à vivre libre, en parfaite harmonie avec la nature et les éléments naturels. La nudité est là pour favoriser le respect de soi, des autres et de la planète. Des valeurs essentielles ».

Chant des merles au réveil, sérénade de grenouilles à la nuit tombée… La nature se fait bien entendre, en cette mi-mai, au camping de La Pinède à Belz (56). Pour une immersion plus complète, certains emplacements sont même dépourvus d'électricité. Jean-Pierre, pionnier, se souvient des premières années « jusque-aux-boutistes » où « il était interdit de fumer et où il fallait se cacher pour prendre l'apéro ! ». Géré depuis plus de 40 ans par le Club Naturiste de Bretagne Sud (CNBS), situé à 6 km de la plage naturiste de Kerminihy d'Erdeven, ce camping est le plus grand du genre de la région. Plus de 9000 nuitées y ont été enregistrées en 2018. « Un record de fréquentation », s'en réjouit Maurice (*), président du CNBS, en évoquant les débuts houleux du naturisme sur ce littoral morbihannais, au début des années 1970. « On nous a fait la guerre sur la plage, jusqu'à déverser du lisier pour nous chasser », se souvient-il. Finalement, locaux et vacanciers se sont réconciliés autour de la lutte contre un projet de centrale nucléaire sur la dune, en 1975. « On s'est retrouvé à scander tous ensemble, "Non aux neutrons, oui aux tétons !" », en sourit encore Maurice.

« Les valeurs du naturisme consistent à s'accepter comme on est et accepter les autres comme ils sont, dans leur différence. D'ailleurs, plus ça va, plus j'apprécie de rencontrer des gens différents, c'est toujours plus enrichissant », Marc, 49 ans, naturiste depuis près de 25 ans.

Yves et sa compagne Josiane, eux, accourent au camping de la Pinède dès que la météo le permet. Le couple profite ici d'un total lâcher-prise. « Je ne me sens nulle part ailleurs aussi détendue, aussi zen », apprécie Josiane. Des bienfaits physiques mais aussi une déconnexion mentale, comme le souligne Jean-Pierre : « Fini le stress du boulot, les contraintes du quotidien. C'est une autre vie qui commence. »

« La spécificité de la nudité est secondaire quand on est pratiquant depuis des années », juge Olivier, randonneur naturiste. Pour plus de discrétion, les circuits sont préalablement repérés pour être le moins traversant (de routes, de villages) et les rendez-vous donnés en semaine. ©Stéphanie Biju

Voire une seconde vie, dans le cas de Nathalie. A l'écouter, la première n'a pas été des plus légères. « J'ai passé toute une partie de ma vie à me sentir l'esclave des autres : mes parents, mes maris, mes enfants que j'élevais seule. J'étouffais… Il fallait que je sorte de cette boite », confie la Finistérienne de 50 ans. Une mise à nu salutaire et par étape. Dans son jardin, puis sur la plage et, plus récemment, au camping de La Pinède. « Ici, il n'y pas d'obstacle à être soi. Pas de regard de travers. On n'est pas là pour s'observer ou se juger. Ce que l'on voit, c'est l'âme des personnes. »

Sortir des espaces confinés

Maigre, gros, grand, petit, riche ou pauvre… Au final, « on est tous égaux dans la nudité, tous pareil », estime Marie (1). « Pour moi, les habits sont faits pour être esthétiques ou pour tenir chaud. Si je décide de mettre un maillot, c'est parce que je le trouve joli, pas pour me cacher. De toute façon, je n'ai jamais compris pourquoi il faudrait que je cache davantage mes fesses que mes coudes ou mes genoux », lance la Vannetaise, tombée dans le naturisme quand elle était petite. A 36 ans, elle continue de se rendre, chaque été, dans des centres de vacances dédiés. Des sites dont elle apprécie l'espace, la sérénité ambiante… et où elle regagne, à chaque fois, un peu de confiance en elle. « Au bout de 15 jours de naturisme, je me sens toujours mieux dans mon corps qu'au début », indique celle qui regrette un certain manque de tolérance à l'égard des naturistes. Au-delà de tout féminisme, Marie revendique surtout « le droit de pouvoir faire ce que je veux, à partir du moment où c'est dans des endroits où je suis sûre de ne pas gêner ».

En l'occurrence, en France et selon l'article 222-32 du Code Pénal, on n'a pas le droit d'être nus en dehors des espaces réservés. Une loi contre laquelle l'Association des randonneurs naturistes de Bretagne (ARNB) s'inscrit en faux. « On prend certaines libertés », reconnaît Jacques Luneau, le secrétaire. « La loi ne fait pas explicitement la différence entre nudité et exhibitionnisme. Or le naturisme, ce n'est pas de l'exhibitionnisme. C'est un loisir, que nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir pratiquer en dehors d'espaces confinés ». Une dizaine de randonnées naturistes sont ainsi organisées chaque année en Bretagne… dont, ce matin de fin mai, autour du lac de Careil (35). Une dizaine d'adeptes en prennent le départ, en mode « textile », avant de vite se retrouver en « tenue de peau ». Le short à portée de main, en cas de rencontres impromptues. « Les rares fois où c'est arrivé, ça s'est bien passé. Il suffit de discuter pour faire taire les préjugés », note Marc, 49 ans, partisan d'une législation assouplie, « telle qu'elle existe dans les Pays Nordiques ou en Espagne ». Dans ces pays voisins, la nudité est autorisée partout sauf là où elle est interdite. Une autre façon de voir les choses.

  1. le prénom a été modifié

Plus d'infos :

www.ffn-naturisme.com

www.naturisme-bretagne.fr

www.cnbs56.com

www.arnb.fr

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