[INTERVIEW] Rob Hopkins : « Faire vivre cette autre vision du futur »

Publié le lun 27/09/2021 - 16:00
Photo : Conférence à toulouse le 19/09/2020. © Bénédicte Bernard

Rob Hopkins est actuellement en tournée avec Sans Transition! dans toute la France. Ne manquez pas ses conférences ! Retrouvez les différentes dates et villes prévues ici.

Propos recueillis par Julien Dezécot - Interprétariat : Rachelle Brévière et Xavier Combe

Comment s’est passé le confinement pour vous Rob ? En avez-vous profité pour faire travailler votre imagination ?

J’ai passé beaucoup de temps chez moi avec trois de mes quatre fils. C’était un moment privilégié en famille. Au début, c’était un peu comme un congé : j’ai jardiné, je me suis consacré à des tâches que j’avais remises à plus tard. J’ai beaucoup lu. Et puis j’ai pu dessiner. Dans ma vie, c’est par l’art que je m’exprime pour faire travailler mon imagination. À l’âge de 17 ans, je faisais de la litho-impression. Je n’ai pas eu l’occasion de faire ça depuis très longtemps mais la lumière de ce printemps était si merveilleuse que ça m’a relancé. Cette possibilité de regarder la nature, de me concentrer pendant quelques heures nourrit mon imagination, me donne de l’espace, du temps, et me permet de comprendre qu’il faut mieux lui prêter attention. Je crois que cette période était ce que l’on peut appeler d’extraordinaire. Un moment de pause et de réflexion. Et comme beaucoup de personnes, je me sens différent à l’issue du confinement. 

En quoi la transition, que vous racontez dans vos ouvrages, est-elle une réponse collective enthousiasmante pour un monde d’après, plus juste et solidaire ?

Les sondages que j'ai pu lire pendant le confinement montrent que beaucoup de gens se disent : « Nous ne voulons pas du monde d’avant, nous devons exploiter cette opportunité pour avancer, pour mettre en place quelque chose de différent et de meilleur ». À Milan, par exemple, 130 km de pistes cyclables vont être construites. Des zones piétonnes se sont étendues dans différentes villes. On regarde aussi l’alimentation de manière différente, avec de nouvelles opportunités, plus locales et biologiques. Les questions sur le monde d’après sont vraiment très présentes dans le mouvement de transition. Celles et ceux qui se posent des questions, mais qui ne connaissent pas le mouvement de la transition, regardent notre mouvement et se disent : « C’est peut-être là que se trouve l’espoir d'un monde plus juste et solidaire ». Et peut-être y aura-t-il, dans les mois à venir, une deuxième vague de pandémie. Peut-être, alors, y aura-t-il aussi une deuxième vague de transition.

Pouvez-vous nous dessiner, à l’échelle d’une ville ou d’un territoire, cette transition concrète construite avec les citoyens ?

L’imagination fleurit lorsqu’elle n’a pas de limite. Lorsqu’une ville ou une région facilite l’imagination de manière explicite et puis la convoque, le champ des possibles s’ouvre. Nous pouvons envisager un modèle économique nouveau, qui maximise le temps et les connexions à notre disposition. Mais nous devons absolument nous éloigner de ce modèle économique d’extraction (extractive top-down economy), en commençant pas nous extraire le plus possible des hydrocarbures pour décarboner nos villes. Pour cela, utilisons les institutions, les hôpitaux, les écoles, les institutions publiques pour mettre en place un modèle où le pouvoir de dépenser de l’argent sera transformé. Donc cette ville en transition, ou cette région, repenserait la démocratie avec des assemblées de citoyens, la mise en place de budgets participatifs, de nouveaux modèles démocratiques qui créeraient des bureaux de l’imagination civique, comme c’est déjà le cas à Bologne. Le but : faire revivre la démocratie et l’imagination, précieuses car vitales. À mesure que les choses se développent, les municipalités, les régions, réétudieraient l’école et la pédagogie : moins de sanctions, de notes et ainsi de suite ; plus d’acquisition de compétences, de culture de l’imagination, plus de rapport avec le lieu, le « local » où se trouve l’école. Je crois que le message principal est : toutes les choses dont nous avons besoin ou que nous pourrions faire pour changer le monde existent déjà, quelque part. Tout existe, tout est à notre disposition. Nous devons simplement utiliser les bonnes ressources à la bonne échelle pour aller de l’avant.

C’est le puzzle de la transition.

Oui. Et ce sera l’époque la plus extraordinaire de l’histoire. La promesse des élections municipales françaises va en ce sens. Dans votre pays les régions, les villes, seront désormais gérées à l’aune de l’urgence climatique. Cette dynamique montre aussi que, dans les années à venir, il faudra une révolution de l’imagination en France. Cette idée est tout à fait stimulante et passionnante.

Comment se construit et évolue le réseau des Villes en transition  que vous avez largement contribué à bâtir ?

La transition, ce n’est pas quelque chose qui fonctionne comme une franchise Coca-Cola. Ce n’est pas contrôlé à partir d’un noyau central. C’est un exemple tout à fait fascinant de comment une idée peut trouver son propre rythme dans le monde. Dans tous les endroits que je visite où la transition est en marche, il y a des choses qui me paraissent familières. J’entends par là, une certaine manière d’envisager le travail, de rêver ensemble, d’imaginer ensemble, de s’engager collectivement, de travailler sur le terrain de manière tangible. Ce qui est vraiment formidable, c’est que chaque endroit, chaque culture, crée sa propre version de la transition. Souvent sans financement, juste avec des bénévoles. 

Aujourd’hui, combien de villes sont en transition dans ce réseau mondial, ou se déclarent comme telles ?

C’est une question difficile. Dans la plupart des villes, la transition se met en place dans des quartiers. À Paris par exemple, il existe 15 ou 20 groupes en transition dans différents quartiers. À Londres, on en compte 45 ou 50. « Transition Londres » n’est qu’un réseau très informel. Le pouvoir de la transition, c’est qu’elle part du terrain. Elle naît à l’échelle d’un quartier, et parfois même à l’échelle d’une rue, d’une école, d’un immeuble. À Sao Paulo, au Brésil, les groupes en transition travaillent dans des quartiers de classes moyennes mais également dans des favelas. L’estimation de leur nombre est donc, de fait, très difficile. Et puis un groupe peut être très actif pendant une certaine période de temps, puis entrer en latence et un autre groupe prend le relais. Je crois qu’au Royaume-Uni, on a recensé quelque 400 groupes. La moitié d’entre eux travaillent en zone urbaine. À l'échelle mondiale, je dirais que plusieurs milliers de groupes sont actifs aujourd'hui.

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