[ BIODYNAMIE ] À Rasteau, la biodynamie pour de meilleurs vins

Publié le ven 06/12/2019 - 10:06

Domaine Gourt de Mautens, avec Jérôme Bressy, viticulteur en biodynamie. Crédit M. Martinez

Par Marie Martinez

Encore controversée, déconsidérée par certains à cause de l’ésotérisme qui l’accompagne, la biodynamie est pourtant pratiquée par quelques viticulteurs en France, certains producteurs de grands crus. Pratique encore minoritaire qui ne touche que 1 à 1,5 % des vignobles, elle semble pourtant répondre à une volonté croissante d’être en adéquation avec la nature. Quand la vigne s’aligne sur le calendrier lunaire…

Avec seulement 1 à 1,5 % des vignes en France, la biodynamie, plus respectueuse de l'environnement et de la santé, progresse et fait doucement ses preuves sur le terrain, parmi les meilleurs vins et auprès des consommateurs. Pourtant, elle reste controversée et encore peu étudiée par les scientifiques. Visite chez un vigneron inventif et perfectionniste dans le Vaucluse, à Rasteau.

À Rasteau, dans le Vaucluse, terre de vignobles, se trouve le domaine Gourt de Mautens, hors normes et si discret qu'aucune pancarte ne l'indique. Le vigneron, Jérôme Bressy, expérimente et invente en permanence sa façon de travailler pour créer de grands vins. Chacun de ses choix en découle, du complexe et long processus de la culture de la vigne jusqu'à la mise en bouteille.

En faisant quelques pas dans une parcelle, l'originalité saute aux yeux : les pieds de vigne sont taillés en godet, isolés les uns des autres, et certains sont centenaires, plantés par le grand-père. Mais surtout, les cépages, minutieusement choisis en fonction de leur appartenance historique au terroir (grenache, cournoise, cinsault, picardan...) sont déjà mélangés dans les rangées. Autour aussi, la diversité se retrouve dans le paysage composé de haies et d'arbres fruitiers (figuiers, cerisiers, cognassiers, abricotiers, amandiers, etc. ) avec, ici, quelques ruches et, plus loin, un jardin potager.

La biodynamie va plus loin

Passionné depuis l'enfance par la vinification, Jérôme Bressy a pris les rênes du domaine familial. Il s'intéresse à la biodynamie depuis 1993. Son domaine est en bio depuis 1989 et a obtenu les certifications Demeter en 2008 et Biodyvin en 2015. « La biodynamie va plus loin que le bio en donnant des réponses et du sens. On refait vivre, on réactive tout un processus. Le sol exprime toute sa quintessence et le raisin se gorge de saveurs. Pour moi, c'est une évidence », explique-t-il. Il s'inspire aussi de méthodes ancestrales et suit son intuition, sa sensibilité : « La biodynamie n'est pas une recette. Il y a des fondamentaux, mais il faut se les approprier et les adapter au lieu, au microclimat, à la météorologie, et surtout à ses propres objectifs en termes de vins. Par exemple, le calendrier nous indique les jours favorables pour intervenir, mais il y a des paramètres que l'on sent, que l'on observe, et qui nous font déterminer le moment idéal. Le vigneron vit en harmonie avec son lieu, accompagne, n'impose rien. Et ce qui fonctionne une année doit être remis en question l'année suivante. » 

Une méthode basée sur l'observation

La biodynamie souffre parfois d'une réputation mystérieuse, voire ésotérique, notamment parce qu'elle prend en compte des influences subtiles de la terre, de la lune et du soleil dans le développement de la plante et de ses défenses naturelles. Elle utilise également des préparations végétales et minérales (de type homéopathique) pour soigner et équilibrer les plantes et les sols. Jean-Michel Florin, coordinateur, formateur en biodynamie du Mouvement de l'agriculture bio-dynamique, reconnaît : « Certaines préparations peuvent surprendre, mais ce n'est pas parce qu'on n'arrive pas à expliquer un phénomène avec les concepts scientifiques actuels que ça ne marche pas. En France, on manque d'études scientifiques, faute de moyens, alors qu'on est demandeurs et qu'on a plein de questions. Mais en biodynamie, on n'a rien à vendre. Au contraire, on cherche à rendre le paysan le plus autonome possible. En agriculture conventionnelle, les principaux conseillers sont souvent des représentants de commerce. Je regrette que la recherche ne soit pas à la pointe sur des sujets comme la diminution de la biodiversité ou l'épuisement des sols car alors elle s’intéresserait beaucoup plus à la biodynamie. »

Alors, qu’est-ce qui séduit les viticulteurs ? Selon Jean-Michel Florin, « ils voient que la biodynamie fonctionne et donne des résultats chez leurs voisins. Et là, il n'est pas question de croyances, mais d'expériences concrètes. C'est aussi une question de personnes qui s'impliquent et observent différents facteurs : le lieu, le terrain, les plantes... Beaucoup de viticulteurs en biodynamie inventent leurs recettes, adaptent à leur terroir, leur climat... C'est une méthode en mouvement qui est encore à développer. » C'est également ce que pense Jacques Fourès, œnologue, ancien vigneron dans le Bordelais, consultant en biodynamie : « Depuis 1924, après 90 ans d'expérimentations, si ça ne marchait pas, la biodynamie ne se développerait pas autant aujourd'hui. C'est une méthode expérimentale et empirique. » L'observation et la répétition des résultats peuvent être considérés comme une science.

Crédit M.Martinez

Des preuves scientifiques

Si les études scientifiques restent rarissimes en France — mais pas en Allemagne ou en Suisse, par exemple, où il existe des instituts de recherche spécialisés comme le FIBL —, elles commencent à germer et surtout à révéler certains atouts de la méthode : économie des ressources, meilleure résistance des sols à la sécheresse, amélioration de la biodiversité et de la vie des sols, donc meilleur développement des plantes, élaboration de vins plus complexes et subtils.

Jean Masson, directeur de recherche à l'INRA, étudie la santé de la vigne. De 2014 à 2018, il a développé une méthode originale à Westhalten, en Alsace, avec des vignerons qui travaillaient soit en méthode conventionnelle, soit en biodynamie (donc avec des visions complètement différentes), ainsi que des conseillers techniques, des élus et des associations. « Il s'agissait de partir sur un consensus de questions, une méthode unique en Europe où chacun apprenait des autres grâce à des ateliers de recherche participative. De ce consensus de questions, on aboutit à un consensus de conclusions irréfutables. C'est une première étape, d'autres questions restent à étudier », explique le chercheur. Il ressort notamment de ces travaux que les défenses naturelles sont plus élevées dans les vignes conduites en biodynamie par rapport aux stress climatiques, aux variations saisonnières et aux attaques de pathogènes.

En biodynamie, on crée de la vie

Encore marginale, avec 1 à 1,5 % des vignes en France(1), la biodynamie connaît une forte progression ces dernières années. À quoi cela est-il dû ? Jacques Fourès répond : « Il y a plusieurs raisons pour les vignerons à se convertir. D'abord la conscience que les pesticides sont dangereux pour eux et pour leurs clients. Si certains viticulteurs sont motivés par l'intérêt et la stratégie marketing de la biodynamie, ils finissent par adhérer complètement à la méthode, convaincus par les résultats et les changements à différents niveaux. En biodynamie, on crée de la vie. D'abord, cela rend les sols vivants et change vraiment leur nature, plus riche en humus, et les plantes se nourrissent mieux donc se transforment. Les paysages se transforment également avec des arbres, des haies, qui créent des écosystèmes. Et surtout on constate qu'au bout d'un certain temps, les parcelles converties font de grands vins. »

Des vins plus complexes et harmonieux

En effet, Olivier Poussier, élu meilleur sommelier du monde en 2000, déclare en 2019 dans la Revue du Vin de France : « Mes plus belles émotions gustatives proviennent de vins issus de la viticulture biodynamique. » La même revue compte, dans son dernier Guide des meilleurs vins de France, un tiers de vins en bio ou en biodynamie. Les sommeliers estiment ces vins davantage structurés, équilibrés, dotés de fraîcheur, de sapidité, d'une grande richesse aromatique. Si on y retrouve les meilleurs crus, comme Romanée-Conti en Bourgogne (le rouge le plus cher du monde) ou la Coulée de Serrant en Loire, de nombreux autres sont excellents et abordables.

Au domaine Gourt de Mautens, Jérôme Bressy, jour après jour, met tout en œuvre pour élaborer un vin expressif et équilibré, destiné aux plus belles tables.

 

  1. Le dernier chiffre de la fédération « Bio de Paca » date de fin 2018 et comptabilise 1007 exploitations viticoles en bio pour la région Paca, mais sans le détail concernant la biodynamie.

 

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !