[ BIODYNAMIE ] Dans le Beaujolais, des vignerons engagés pour un terroir et des vins vivants

Publié le ven 29/11/2019 - 13:30

Souvent décriée en raison de son approche perçue comme « ésotérique », la biodynamie reste une démarche viticole méconnue et encore mineure à l’échelle du vignoble français. Selon le label Demeter, le nombre de domaines viticoles certifiés et en conversion en biodynamie s’élève à 374 en France en 2019, soit une surface viticole de 6 363 hectares. À l’échelle de la Bourgogne et du Beaujolais, seuls 37 domaines sont actuellement labellisés. Cependant, la biodynamie fait aujourd’hui son chemin auprès d’une jeune génération de vignerons, inspirés par l’expérience de quelques aînés et désireux de revenir à une viticulture sans chimie, favorisant la biodiversité, un terroir vivant et des vins naturels.

Par Emmanuelle Berne                            

Bio par nature, la biodynamie est l’étape suivante d’une démarche de conversion. Mais qu’apporte-t-elle de plus en viticulture : meilleur respect des terroirs,  biodiversité, vins naturels ? Au pays du gamay, plusieurs générations de vignerons ont fait le choix de suivre cette voie.

À Blacé, face au Mont Brouilly, les vignes de Sylvère Trichard prennent leurs couleurs d’automne. Ses parcelles s’étendent sur 8,5 hectares, en appellations Beaujolais et Beaujolais Villages. Son domaine Séléné, - clin d’œil à la déesse grecque de la lune, le calendrier lunaire étant suivi en biodynamie -, est en conversion, via le label d’agriculture biodynamique Demeter.

Avant de s’installer en 2012, Sylvère Trichard a observé son oncle. Il reprend ensuite ses vignes converties dix ans plus tôt en bio, dont trois ans en biodynamie. « J’étais très intéressé par ses préparations à base de plantes. Le terrain était préparé ». Labour, enherbement, pulvérisations de plantes (ortie, prêle, camomille, consoude...), de bouse de corne(1) (la « 500 »), diluées et dynamisées(1), amendement des sols avec du compost, font partie des spécificités du travail de la vigne, du sol à la plante, en biodynamie.

« Le cahier des charges du label Demeter est plus strict qu’en bio, et va de la vigne au cuvage », souligne Sylvère Trichard. « Il s’agit de réduire les doses de cuivre et d’effectuer au minimum deux préparations par an, la « 500 » et la « 501 » (silice), à pulvériser sur le sol et la plante. Il y a un vrai plaisir à faire ses propres traitements ». Au niveau des vins, aucun intrant, ni levure rajoutée ou sulfites, et pas de filtration : « Je ne sais pas si mes vins sont meilleurs mais ils sont plus digestes ». Et nature.

ÊTRE LABELLISÉ OU PAS

Sur les coteaux de Vauxrenard, le domaine des Côtes de la Molière se compose de 8,5 hectares. Ses parcelles, aux rangs larges et enherbés, profitent d’une belle exposition. Les cuvées sont en Beaujolais Villages, Moulin à Vent et en Vins de France.

C’est en 1999 qu’Isabelle et Bruno Perraud prennent le virage du bio, après dix ans de viticulture conventionnelle, puis demandent le label AB. Pour eux, la certification est « un engagement moral. La culture bio, comme la biodynamie, demandent un travail sur le long terme », affirme Isabelle Perraud. Le domaine est labellisé Demeter en 2018, après trois ans en biodynamie.

« Nous étions arrivés à la fin d’un cycle en bio. Il manquait quelque chose à nos vins », précise Bruno Perraud. « Nous avons remarqué un grand changement depuis notre conversion en biodynamie. Nos sols sont plus vivants et aérés, grâce à l’enherbement, les pulvérisations de bouse de corne, le compost », souligne Bruno Perraud. « Nos vignes n’ont plus de maladies. Du coup, nous utilisons très peu de cuivre et de soufre. On essaye d’être à l’écoute ». Au niveau des vins, sans intrant ni filtration, qu’ils revendiquent nature, la biodynamie a également un impact : « Ils sont plus amples, énergiques et ouverts ».

RECONQUÊTE D’UN ÉCOSYSTÈME

Christian Ducroux s’apprête à semer des céréales et légumineuses entre les rangs de sa parcelle pour en enrichir le sol. Ses vignes au feuillage haut dégagent une grande vitalité. À Lantignié, son domaine en biodynamie depuis le milieu des années 80, a été ramené au fil du temps à quatre hectares. À l’exception des vendanges, il travaille seul, de la vigne au cuvage, accompagné de deux chevaux pour le labour, les pulvérisations de plantes, le transport du raisin et les semis. Certifié AB, Christian Ducroux n’est plus en Demeter, ce qui ne l’empêche pas d’élaborer des vins singuliers, naturels, sans intrants ni filtration.

Il débute aux côtés de son père « en conventionnelle » dans les années 70. Dix ans plus tard, il convertit son domaine en bio et cinq ans après, en biodynamie. Peu à peu, il reconstruit un écosystème inspiré de l’agroforesterie, restructure ses parcelles en arrachant des rangs pour planter des allées d’arbres fruitiers, forestiers et des haies. Pour ses pulvérisations, il cueille le plus possible ses plantes aux alentours et n’utilise ni cuivre ni soufre dans ses vignes.

Christian Ducroux découvre la biodynamie en lisant le Cours aux agriculteurs de Rudolph Steiner, scientifique autrichien du début du XXe siècle, à l’origine de sa théorisation. « Je suis quelqu’un d’assez ouvert. L’idée de concrétiser du spirituel dans le physique m’a immédiatement parlé. Cette dimension m’intéresse autant que l’aspect pratique dans la biodynamie. C’est un cheminement intime, une manière de considérer la plante comme un être vivant et de favoriser le plus possible ses ressources ».

Sur ses vignes, Christian Ducroux a reconstruit un écosystème inspiré de l’agroforesterie (crédit : Emmanuelle Berne)

MÉTIER : PAYSAN

Près de Vauxrenard, le domaine de Michel Guignier réserve des surprises. Ses vignes descendent vers les près où paissent ses vaches à la frontière des bois. « C’est un circuit global, autonome », remarque-t-il. Michel Guignier se considère ainsi plus paysan que vigneron. Depuis près de 40 ans, il poursuit l’activité de polyculture de son père, au sein de la ferme familiale. Après une vingtaine d’années en viticulture conventionnelle très raisonnée, via le label Terra Vitis, Michel Guignier choisit de passer en bio, puis en biodynamie. À la fin des années 90, la rencontre de Christian Ducroux lui permet de se former et de convertir  progressivement son domaine.

« En cinq à six ans, la biodynamie a boosté les vignes. Les préparations, comme la 500, ont du sens car elles apportent de la vie au sol, tandis que la silice permet à la feuille de capter les rayons du soleil et tire la vigne vers le haut ». Pour entretenir ses sols, Michel Guignier laboure en grande partie à cheval et laisse un enherbement naturel. Il élabore en appellations Beaujolais Villages et en Vins de France des cuvées qu’il qualifie de « purs jus ».

RENOUVEAU D’UN VIGNOBLE

À Lantignié, Frédéric Berne s’est lancé en bio dès son installation en 2014, suite à la reprise de parcelles en conventionnelle. Depuis, il développe au Château des Vergers dix hectares de vigne, converties en biodynamie depuis deux ans, en vue d’une labellisation Demeter.

« En cinq ans, j’ai vu les choses évoluer. Les sols sont désormais couverts d’herbes, alors qu’avant tout était à nu. On sent que les cycles naturels reprennent ». Une régénération renforcée par la biodynamie : les pulvérisations de plantes, de silice, de bouse de corne sur la vigne et le sol et le respect du calendrier lunaire. « On ne peut pas quantifier l’impact des traitements biodynamiques. C’est un ensemble, qui va de sols vivants à une plante en bonne santé. On expérimente beaucoup. C’est par méconnaissance que la biodynamie est perçue comme ésotérique ». Côté vinification, aucun intrant ni filtration et un nouveau millésime bien parti en termes de fermentation, ce qui est de bonne augure…

(1) Bouse de corne : Préparation consistant à remplir de bouse une corne de vache, enterrée durant l’hiver et ressortie au printemps. La matière compostée est diluée dans l’eau, dynamisée (remuée dans un sens et dans l’autre) et pulvérisée sur les sols,  leur apportant des éléments minéraux et favorisant la vie microbienne. 

Plus d’infos

https://www.bio-dynamie.org

https://www.demeter.fr

http://www.biodyvin.com

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