[ BIODYNAMIE ]En Bretagne, la tentation de la vigne

Publié le ven 29/11/2019 - 10:06

Crédit photo : V.Jourdan / Mont-Dol

Virginie Jourdan

En Bretagne, une dizaine de petits vignobles a vu le jour ces cinq dernières années. Un effet collatéral de la montée des températures ? Pas vraiment. Professionnels, ces derniers traduisent plutôt des passions pour le nectar de Bacchus ou une envie de plonger les mains dans la terre. Au-milieu des ceps, une pratique paysanne de la viticulture s'affirme désormais.

 

Du vin en Bretagne ? Au pays du cidre et de l'hydromel, l'image peut faire sourire. Elle devient pourtant une réalité. Depuis 2016, un changement de la loi permet aux vignerons professionnels de s'installer dans la péninsule bretonne. Loin des excès des grandes exploitations viticoles françaises, les pionniers du vin breton y défendent une pratique paysanne. Dès 2013, à la frontière entre l'Ille-et-Vilaine et la Loire-Atlantique, Xavière Hardy a précédé le mouvement.

Dans le fond de la parcelle en pente douce, des brebis à viande pâturent l'herbe rase. En surplomb, de vieux chênes veillent sur la vigne qui grimpe à presque deux mètres le long de solides pieux de bois. Dans les rangs, les grains noirs et sucrés du grolleau noir attendent d'être vendangés. À la mi-octobre, ces derniers auront été pressés et mis en cuve avant de rejoindre leur barrique. Entre les ceps, plantés à partir de 2013, Xavière Hardy inspecte ses fruits élevés sans produits chimiques. Pour l'unique vigneronne du nord de la Loire-Atlantique, pas de doute, la maturité est propice à la vendange. Installée au cœur d'une zone d'élevage et de céréales où se rejoignent les départements d'Ille-et-Vilaine, du Maine-et-Loire et de la Loire-Atlantique, cette ancienne dirigeante d'un cabinet spécialisée dans l'ingénierie en environnement a osé passer le pas de la viticulture. « Je pensais que c'était impossible de faire du vin ici. Mon mari, qui est agriculteur, m'a dit  "pourquoi pas ?" et je me suis finalement lancée ». Contrairement à ses voisins bretons situés au-delà de la frontière des Pays de la Loire, Xavière Hardy a pu créer son domaine à la Chapelle-Glain dès 2014, en mode « agrandissement », car elle possédait une petite parcelle chez des vignerons du sud-Loire. Une chance, car avant le 1er janvier 2016 les vignes étaient régies par un système européen de bourses aux droits, censé éviter toute surproduction. Aucune nouvelle plantation pure de vignes professionnelles n'était alors possible en France. Dorénavant, avec la transcription d'une directive européenne, les créations de nouveaux coteaux sont possibles dans tout le pays, dans la limite de 8000 hectares par an sur l'ensemble du territoire.

Une vigne nouvelle et non intensive

Une aubaine pour les grands domaines du vin français, dont le marché se classe sur la deuxième marche du podium mondial en termes d'hectolitres produits. Et une opportunité nouvelle pour les néo-vignerons de régions peu viticoles, soucieux de renouveler les pratiques du métier. Pionnière, la démarche de Xavière Hardy n'est d'ailleurs plus isolée en Bretagne. Comme le constate Rémy Ferrand, secrétaire de l'association pour le renouveau de la vigne en Bretagne, l'ARVB, avec cette nouvelle autorisation, les projets pleuvent : Sarzeau et l’Île de Groix dans le Morbihan, Saint-Jouan des Guérets en Ille-et-Vilaine. « La région compte maintenant six petits vignobles professionnels et nous sommes en contact avec une dizaine d'aspirants sur de petits domaines. » Une manière de redonner vie à une culture qui couvrait 150 hectares au XIXème siècle et a totalement disparu des cartes bretonnes dans les années 1960. Pour autant, pas de grands crus à regretter. À l'époque, les vignes donnaient de l'eau de vie, du vin de messe et des armées. Quant à connaître la qualité des futurs millésimes, hormis celui de Xavière, il faudra attendre les premières vinifications prévues entre 2021 et 2024. Reste qu'entre les ceps, une approche non-intensive du métier se développe déjà. En clair : des circuits courts plutôt que l'exportation, du travail manuel pour les vendanges et mécanique pour le sol, et pas de recours aux produits pesticides. 

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Crédit : Virginie Jourdan. Pour donner de la vigueur à sa vigne et à ses fruits, Xavière Hardy a planté 8000 pieds sur un hectare pour « favoriser une concurrence naturelle ».

 

La biodynamie pour horizon

Dès son installation, Xavière Hardy a opté pour les pratiques biodynamiques. À l'approche de la pleine lune, elle s'apprête à appliquer les remèdes. Chez elle, tisanes et décoctions préventives sont préférées à l'usage curatif du cuivre pour nourrir le sol, renforcer la plante et favoriser son lien à la terre et à la lumière. « Je travaille avec l'Achillée, le miel, la prêle, l'ortie, etc. Je favorise certains jours du calendrier lunaire pour travailler », explique-t-elle. En France, la biodynamie reste une pratique marginale. Si les vignes cultivées en bio augmentent et couvrent dorénavant 12 % des surfaces viticoles du pays, seuls 15 % de ce vignoble bio est dédié aux vins biodynamiques. En Bretagne, la biodynamie bénéficie au contraire d'un fort attrait.

Dans le Morbihan, Mathieu Lesaux, jeune vigneron installé sur l'Île de Groix, s'engage dans ce sillage. À quelques encablures de l'est de l'île, ce trentenaire a planté un hectare de Chenin de Loire au printemps dernier. Un cépage blanc de type Anjou sec dont il espère récolter les premières cuvées en 2024. À terme, Mathieu compte cultiver cinq hectares de vignes face à la houle de l'Atlantique. Comme Xavière Hardy, il a choisi des cépages qu'il espère adaptés au terroir de schiste vert et bleu. Son credo ? « Une agriculture bio à tendance biodynamique », mais surtout « paysanne ». Dans sa ferme, les cultures de céréales côtoient l'élevage et, en matière de vinification, le soufre est proscrit. « Si les conditions climatiques le permettent, je ferai ce que j'aime, un vin biodynamique et 100% naturel », conclut-il.

Des contraintes climatiques

Mais la partie n'est pas gagnée. Si le climat breton a été particulièrement sec cet été, les vignes restent particulièrement sensibles à l'oïdium et le mildiou. Deux maladies liées aux printemps humides de Bretagne et qui nécessitent parfois l'usage du soufre et du cuivre. Autre écueil, le réchauffement climatique. Sur les quarante dernières années, la Bretagne a gagné un degré de température. « La végétation est plus en avance qu'avant et les épisodes de gel sont donc plus problématiques pour les cultures », constate Hervé Quénol, climatologue et spécialiste de la vigne.

Une réalité que confirme Xavière Hardy. Après une première cuvée en 2015, elle a subi deux dramatiques épisodes de gel. En 2018, elle a produit 6500 bouteilles de vin. Cette année, le gel a encore frappé et sa cuvée 2019 devrait être ramenée à 5000 bouteilles. Elle garde pourtant confiance : « Ces nouvelles vignes sont positives quoi qu'il arrive. Nous portons une vision de la culture de la terre à la fois diversifiée et protectrice de la biodiversité. » Un gage supplémentaire pour faire émerger une activité économique non seulement locale, mais aussi prometteuse pour relocaliser le système alimentaire.
 

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