[ BIODYNAMIE ] Corne de vache et zodiaque : la biodynamie trace son sillon en Occitanie

Publié le ven 06/12/2019 - 13:30

En viticulture, si le nombre d’hectares certifiés et en conversion bio a augmenté de 20 % en 2018, le nombre de domaines viticoles en biodynamie ne représente actuellement que 15 % de ce vignoble. En Occitanie, les domaines labellisés restent rares, à l'image de celui du viticulteur Patrick Maurel.

Par Anaïs Maréchal

Démarche agricole méconnue, la biodynamie est souvent perçue comme « ésotérique ». Pourtant, la marque Demeter, certifiant la qualité biodynamique des produits, a été élue « super label préféré des consommateurs »  de produits bio en 2018 ([1]). En Occitanie, où la filière viticole est l’une des filières bio les plus dynamiques, seuls 67 domaines sont aujourd’hui labellisés Demeter, dont le petit domaine familial Terres du Pic de Patrick Maurel.

Un chemin caillouteux serpente dans la garrigue du Pic Saint-Loup, emblématique pic héraultais aux portes de Montpellier. De nombreux panneaux artisanaux en bois renseignent le visiteur : olivier, figuier, chêne vert... Mais le bout de la route ne mène pas à un jardin botanique : le domaine viticole Terres du Pic étale ici ses vignes sur 5 hectares. Bonnet gris vissé sur la tête, Bob son chien toujours sur ses talons, Patrick Maurel, le propriétaire des lieux, est fier de présenter ses quatre vaches : « Les animaux contribuent à équilibrer le domaine. Un domaine sans animaux est mort ! » Et particulièrement la vache, qui tient une place très importante dans la biodynamie, pratique agricole employée ici depuis les années 90.

La biodynamie est l’application en agriculture des principes de l’anthroposophie, « courant de pensée proche de la nature et qui voit le monde comme mû par des forces spirituelles » ([2]). Elle vise à promouvoir des pratiques respectueuses de l’environnement, le considérant dans son ensemble : sol, espèces sauvages, animaux domestiques et les Hommes. « Tout ce qui vient de l’extérieur doit être considéré comme un médicament et évité », résume Patrick Maurel. Ce fils de viticulteur a repris au début des années 90 le domaine familial, alors cultivé avec des produits phytosanitaires. « Je voulais faire du vin sans mettre aucun produit, pour la santé de la terre et la nôtre. À l’époque, la seule alternative qui me permettait de soigner les plantes par les plantes était la biodynamie. »

Odeur de sous-bois

En ce jour d’automne où le soleil se lève après une nuit orageuse, le viticulteur rechigne à marcher dans ses vignes pour ne pas tasser les sols. La biodynamie impose de respecter au maximum la structure et la vie des sols. « J’ai travaillé les sols l’année dernière, mais cela faisait dix ans que je n’avais rien fait. » Le résultat ? Les pieds des vignes sont jonchés d’herbes folles, le sol y est mou et une odeur de sous-bois se dégage lorsque Patrick Maurel en arrache une motte. Une senteur caractéristique de la décomposition de la matière organique. « Les sols sont vivants, et nos pieds de vignes vigoureux. » Aujourd’hui, certains ont plus de 70 ans, et le viticulteur travaille des cépages qui ont presque disparu comme le Carignan et l’Œillade. Mais ce choix lui impose de ne bénéficier d’aucune appellation, alors même qu’il se situe sur l’AOC du Pic Saint-Loup. Les pieds sont massifs, et Patrick Maurel, posture bien droite au milieu de ses vignes, n’est pas peu fier : « Regardez comme elles sont belles ! ».

Exit également les produits phytosanitaires : le viticulteur confie n’utiliser qu’occasionnellement du cuivre et du soufre. Pourtant, comme en bio, certains produits sont tout de même autorisés en biodynamie, souvent en quantité moindre. Si les deux pratiques semblent proches, les cahiers des charges de la marque Demeter et du label Biodyvin – les seuls certifiant la qualité biodynamique des produits – imposent l’utilisation de huit préparations bien spécifiques, comme la bouse de corne censée activer la vie microbienne dans les sols. Patrick Maurel s’attache à les réaliser lui-même : il guette attentivement les bouses fraîches produites par ses vaches, car il devra bientôt en remplir une cinquantaine de cornes de vache avant de les enterrer : « La bouse se transforme en humus dans la corne grâce aux forces de la vache. Nous en diluons ensuite une partie dans l’eau que nous dynamisons, c’est-à-dire que nous lui transmettons une information en la brassant. »

Influence cosmique

La biodynamie impose également d’être attentif à l’influence cosmique. Position des planètes, de la lune et influences lointaines du zodiaque : un calendrier des semis propose des indications pour les différents travaux agricoles. Patrick atteste de l’efficacité de la biodynamie : « Il m’est arrivé à plusieurs reprises de ne pas pouvoir traiter toute la vigne avec une préparation de silice de corne. J’ai observé que les champignons ont poussé là où je n’avais rien épandu. » Aujourd’hui, peu de chercheurs se sont penchés sur la biodynamie et notamment ses différences avec l’agriculture bio. Dans le cas de la viticulture, quelques études ont été menées sur la qualité du vin et l’activité microbienne sur les feuilles : elles ne résolvent pas la controverse autour des préparations utilisées en biodynamie, qui lui valent d’être qualifiée d’ésotérique.

« Les préparations biodynamiques sont décriées, mais le vin plaît. Les scientifiques veulent tout chiffrer, mais comment chiffrer le goût du vin ? » Dans la cave voutée de ce domaine du XIIème siècle, six cuves en inox et une en bois permettent au vigneron de produire 18 000 bouteilles de rouge et rosé chaque année. Patrick Maurel n’y ajoute aucun intrant : « À l’époque, Demeter étaient les seuls à avoir également un cahier des charges pour la vinification (ndlr : celui en AB arrive en 2012). C’est aussi cela qui m’a poussé vers la biodynamie. » Un vin qui semble plaire, puisque la cuvée 2018 est entièrement écoulée ! C’est d’ailleurs pour ces vins sans sulfites que Régis Rouaix, client fidèle depuis plus de dix ans, achète auprès du domaine : « Il n’y a pas de produits chimiques, contrairement aux vins bio. J’aime aussi ces vins pour leur goût très proche de celui du jus de raisin. »

Avec ses 22 000 pieds, le domaine Terres du Pic est l’un des plus petits de la région. « Il faut savoir poser des limites et ne pas chercher le rendement à tout prix : avec moins de surface, il est plus facile d’avoir des plantes en bonne santé », confie son propriétaire. Les vignes côtoient le potager, des abris à insectes sont installés dans le verger et les poules se baladent en liberté. Le cahier des charges Demeter impose au domaine de montrer un engagement dans le maintien de la biodiversité. « J’ai essayé de recréer différents habitats avec trois points d’eau, des espèces d’arbres diversifiées … » Finalement, le domaine ressemble – pratiques ésotériques en moins – à une exploitation conduite en agroécologie, s’appuyant sur les fonctionnalités offertes par les écosystèmes ([3]). L’agroécologie promeut en effet une réintroduction de la diversité, et la restauration du rôle de la biodiversité comme facteur de production, tout en présentant des preuves scientifiques de son efficacité. Serait-ce finalement la clé du succès ?

Plus d'infos : https://www.demeter.fr/wp-content/uploads/2019/08/Comparatif-vin-bio-vi…


[1]D’après une enquête de BIO Panel publiée dans la revue Biolinéaires, auprès d’un panel de 318 consommateurs de produits bio.

[2]D’après la définition formulée par Libération dans son article « L’anthroposophie est-elle une secte ? » (consulté le 25/10/19).

[3]Définition du ministère de l’agriculture sur le site : https://agriculture.gouv.fr/quest-ce-que-lagroecologie (consulté le 28/10/19)

 

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