[ENTRETIEN] Clémentine Autain : « Comment des hommes arrivent-ils à considérer la femme comme un objet ? »

Publié le dim 08/03/2020 - 07:57

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Propos recueillis par Magali Chouvion

Clémentine Autain, politique et journaliste, députée dans la onzième circonscription de la Seine-Saint-Denis sous l'étiquette La France insoumise, est aussi féministe. Les combats pour le droit des femmes et contre leurs mauvais traitements, elle connaît. Rencontre avec une femme libre, résolument tournée vers l’autre.

Vous avez choisi à 20 ans votre DEA sur le Mouvement de libération des femmes (MLF), mais quelle est votre première expérience concrète en tant que féministe ?

Mes débuts en tant que militante féministe datent de l’association Mix-Cité, que j’ai cofondée notamment avec Thomas Lancelot-Viannais. Nous avons mené en avril 1999 un happening devant les galeries Lafayette qui avaient décidé de mettre des mannequins vivants en vitrine pour vendre de la lingerie, rappelant les prostituées en vitrine à Amsterdam. Grâce à un important battage médiatique, cette action a eu un retentissement national et international. Les gens étaient choqués ! Le magasin et la marque ont été contraints de retirer les femmes en vitrine…

À peu de personnes, on peut donc interpeller massivement la population et gagner une avancée. Ce happening a aussi permis de parler du corps des femmes et de la manière dont elles sont traitées dans la publicité et dans la société en général.

Quelle leçon tirez-vous de l’expérience #metoo ?

Une immense joie parce que – dans la même veine - j’avais initié, avec d’autres en 2013, le « Manifeste des 313 ». Il s’agissait de 313 femmes déclarant publiquement et de manière nominative avoir été victimes de viol. Nous avions fait la Une de l’Obs. Mais à l’époque, il a été très difficile d’obtenir des signatures de femmes artistes, de chanteuses, de politiques… car elles avaient peur d’être enfermées dans le statut de victime. Même mon entourage me l’a déconseillé !

Il est clair que #metoo a soulevé une chape de plomb. Or la libération de la parole est le préalable pour lutter contre les violences faites aux femmes. Cet élan planétaire a permis qu’une multitude d’anonymes osent enfin parler de ce qui leur est arrivé. C’est un mouvement de société d’une profondeur colossale.

Le name is shame est-il, selon vous, l’une des solutions au harcèlement ?

Je n’aime pas cette expression du name is shame qui donne l’impression qu’on veut mettre au pilori les hommes un à un. Évidemment, il y a toujours le risque d’accusations infondées, mais on est à la marge de la marge. En attendant, combien de victimes murées dans le silence, en immense souffrance ? Je ne vois pas comment faire autrement que de dire les choses pour bousculer les normes existantes… Pour moi, l’atout essentiel de #metoo, c’est la honte qui change de camp. J’aime beaucoup ce que dit Adèle Haenel dans Médiapart : « les hommes qui violent ce sont nos maris, nos amis, nos pères… » L’objectif est bien de faire cesser les violences faites aux femmes, et donc de changer les comportements virils qui aboutissent au harcèlement et au viol.

Quels sont les grands combats féministes à venir ? Ont-ils évolué au fil du temps ou ne sont-ils qu’une éternelle poursuite ?

Même si #metoo rebat les cartes, la bataille que nous menons se tourne désormais vers les pouvoirs publics. Il faut qu’ils accompagnent par les actes, en financement, la démarche. Aujourd’hui, nous avons uniquement un féminisme de communication au gouvernement mais pas de loi cadre avec des moyens financiers : avec 1 milliard d’euros comprenant les subventions aux associations, le budget de Mme Schiappa est stable, voire en régression si l’on prend en compte l’inflation. Si la lutte contre les violences faites aux femmes est grande cause nationale, pourquoi le gouvernement ne trouve-t-il pas 1 milliard pour elles ? Des milliards, il en a trouvé pour en finir avec l’ISF… Financer les associations, former policiers et magistrats, dégager des hébergements d’urgence en nombre suffisants pour les femmes… autant d’actes concrets qui exigent des sous et porteraient leurs fruits.

Que répondre à ma fille qui me demande la différence entre drague et harcèlement ?

La différence est dans l’asymétrie. C’est-à-dire qu’on attend des hommes des comportements différents de ceux des femmes, c’est un mécanisme social et culturel, fruit d’une histoire. L’ensemble des codes de séduction est en cause. C’est une vraie difficulté. Comment des hommes arrivent-ils à considérer une femme comme un objet et non comme un sujet ? Mais pour répondre à votre question, c’est la loi qui définit précisément le harcèlement sexuel.

Êtes-vous satisfaite du Grenelle sur les violences faites aux femmes sorti en novembre ?

Absolument pas ! Il y a une inflation des mots sur le sujet, mais pas de budget, pas de moyens. Ainsi, par exemple, on a retravaillé fin janvier à l’Assemblée sur la dimension répressive de la loi avec la question : les médecins doivent-ils alerter sur les violences faites aux femmes observées dans leur cabinet ? Personnellement, je ne le pense pas. Ce serait briser le secret médical et infantiliser les femmes. Et proposer une cellule d’accompagnement – c’est à dire un lieu discret avec des professionnels pour accompagner les victimes -, ne suffit pas ! Rien pour la prévention ni pour le traitement des hommes violents… Le cadre de l’austérité empêche le gouvernement de dégager des solutions.

Vous affirmez être contre la gestation pour autrui, la GPA. Pour quelles raisons ? Le féminisme n’est-il pas, non plus, d’accepter la volonté des femmes qui souhaitent faire « don » de leur corps et donc de leur utérus ?

Je suis contre la marchandisation en général et celle du corps en particulier. Comme nous évoluons dans un univers marchandisé et que de très nombreuses femmes sont dans la précarité, le risque de la GPA est l’émergence d’un marché de l’utérus. Je m’y oppose !

Quant aux femmes qui seraient prêtes à porter un enfant gratuitement, je n’en ai jamais rencontré… Dans un monde qui échapperait aux normes marchandes, les choses seraient-elles différentes ? Nous n’en sommes vraiment pas là… malheureusement…

La possibilité de procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes a été adoptée cet hiver, et vous l’avez soutenue. Ne faudrait-il pas un système équivalent pour les hommes ?

Je ne suis pas pour le droit à l’enfant. Il existe une différence physique entre hommes et femmes, donc en la matière pas d’équivalent possible. Je comprends que des hommes aient envie d’avoir ensemble un enfant. C’est pourquoi l’adoption devrait être encouragée pour eux.

Vous menez aussi un combat important contre le racisme. En tant que féministe, quelle est votre position sur l’évolution de la tenue vestimentaire de certaines femmes musulmanes ? Où doit se placer la limite entre liberté individuelle et principes de la République ?

Je pense que le curseur de la loi est aujourd’hui au bon endroit. Liberté de croire ou non, la loi de 1905 sur la laïcité pose en effet des principes qu’il nous faut préserver. Mais je constate une instrumentalisation de la laïcité à des fins de stigmatisation des musulmans dans notre pays. Ça fait partie de la « lepénisation » des esprits.

Combattre le djihadisme demande beaucoup de rationalité. Or je constate que parfois on prend des mesures sans efficacité en France pendant qu’on vend des armes à l’Arabie Saoudite… Selon moi la folie du débat public nourrit la force de frappe des intégristes. Que l’on cesse avec l’inflation et l’obsession sur les femmes voilées et cette espèce de trait d’union entre musulman et djihadiste, car la grande majorité des musulmans est en voie de sécularisation et sont nos alliés contre le djihadisme. En attendant, le travail minutieux de prévention de l’embrigadement djihadiste n’est pas pris en charge sérieusement par l’État. Là, il faut des moyens humains.

Quel est le lien, selon vous, entre féminisme et écologie ? Peut-on, aujourd’hui, être féministe sans être écolo ?

Très bonne question. D’autant que je vois fleurir ce lien dans la littérature, les essais… Pour ma part, je ne fais pas de trait d’union inconditionnel entre les deux. Je vois, par exemple, comment l’écologie selon Eugénie Bastié, réactionnaire assumée, est très loin de ma vision du féminisme. Eugénie Bastié veut revenir à un temps ancien : éloge de la maternité, enfermement dans l’identité de genre… Il n’empêche que l’on peut être pour une écologie progressiste et féministe. Comme moi ! Mais dire que qu’on est les deux ou rien me paraît réducteur, voire trompeur.

À lire : Dites-lui que je l’aime, Clémentine Autain, éd. Grasset, 2019, 16 €

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