[DOSSIER] Pour plus de paysans, faciliter l’accès au foncier agricole

Publié le mar 21/12/2021 - 11:00
© Estelle Pereira

Par Estelle Pereira

Chapeau : De nombreux programmes existent pour faciliter l’installation et permettre aux candidats de tester leur activité sans s’endetter. Mais leur efficacité et leur développement dépendent de la prise de conscience des agriculteurs et des propriétaires de foncier agricole de l’importance de céder leur ferme.

Dans une serre de cinq cents mètres carrés, Martial Botton met en pot, d’un geste assuré, des jeunes plants de menthe. Au cœur du Parc régional des Baronnies provençales, dans la Drôme, le quarantenaire entame sa troisième année de production d’herbes et de plantes aromatiques au sein d’un espace-test agricole. Un dispositif qui permet à des personnes qui souhaitent s’installer en tant qu’agriculteur de tester la viabilité économique de leur projet pendant un à trois ans.

Titulaire d’un diplôme en biologie, le néo-producteur a entamé une reconversion professionnelle après avoir travaillé pendant quinze ans pour une association de protection de la nature : « J’avais le projet de m’installer dans la région. Mais n’étant pas du coin, je ne connaissais personne ici. Il fallait que je démarre petit, que je me constitue un réseau, que je me teste», raconte-t-il.

La communauté de communes des Baronnies cherchait alors un candidat pour la mise en place de son premier espace-test. « Pour eux, l’idée est d’installer une activité agricole différente de la vigne ou de l’olivier. Des produits qui pourront être valorisés localement », analyse-t-il. Le défrichage des terres, l’irrigation, le matériel lourd, les aides de la collectivité ont été précieuses. En ce qui concerne les frais quotidiens (achat de terreau, de matériaux de production), ils sont pris en charge par une « couveuse » (1), avec laquelle il a signé un contrat d’appui au projet d’entreprise (CAPE). Un statut juridique qui lui permet d’être considéré comme salarié et de bénéficier d’une couverture sociale, et ce, même si son activité n’est pas encore rentable.

Les cédants appelés à l’aide

Martial Botton peut ainsi appréhender plus facilement les écueils incombant au démarrage de tout projet. Comme, par exemple, le départ de son associé, la première année, ou encore l’erreur d’un prestataire privé dans la préparation de ses boissons aromatiques qui a entraîné la perte d’une grande partie de sa production. « L’espace-test permet de rebondir et prendre le temps de réfléchir à mes circuits de transformation et de commercialisation. Dorénavant, je pense faire les infusions moi-même », conclut-il. L’année prochaine, celui a quitté un CDI pour se lancer, aimerait poursuivre son activité et renouveler les baux de location auprès des agriculteurs voisins : « ça prend du temps d’avoir leur confiance, c’est un lien qui s'établit sur le long-terme », précise-t-il.

L’augmentation de la valeur du foncier, le coût du matériel de production et la taille des exploitations compliquent la transmission des fermes. De 1997 à 2020, le prix des terres agricoles a augmenté de 48 %. Il varie fortement en fonction des départements (de 2 330 euros à 15 840 euros l’hectare) et est plus élevé dans les zones urbanisées et touristiques.(2) En raison de retraites très faibles, la vente du foncier est pour les agriculteurs un moyen d’assurer un revenu pour leurs vieux jours. C’est pourquoi, selon Marie-Noëlle Orain, agricultrice à la retraite et membre de la Confédération paysanne, un travail de sensibilisation est à mener auprès des paysans sur la nécessité d’anticiper leur départ. « Le message que l’on doit envoyer aux cédants est que leur métier est un métier d’avenir. Bien sûr que c’est compliqué d’avoir une telle vision quand on peine à se dégager un revenu », concède-t-elle. « Mais un petit coup de pouce à la nouvelle génération, ne serait-ce que de mettre en location un bout de terrain ou de salarier un futur repreneur peut enclencher des projets plus grands. »

Des fermes familiales cédées à des projets collectifs

Dans le Tarn, les vaches de la famille Coutarel-Bouisset continuent de paître sur les plateaux du Haut-Languedoc. La ferme familiale, qui a traversé les générations, a été cédée à quatre trentenaires qui ont créé la Ferme des Zazous, en polyculture élevage. Aline Coutarel, fille des cédants, ne se voyait pas reprendre la suite toute seule. Lors de ses études à Paris, elle rencontre trois acolytes cherchant à s’installer. Depuis avril 2021, leurs quatre activités cohabitent au sein de l’exploitation : élevage d’ovins et bovins, transformation laitière, maraîchage et meunerie-boulangerie et bientôt l’ouverture d’une ferme pédagogique.

Cela a été possible grâce à la signature d’un bail emphytéotique de 40 ans avec les cédants, dans lequel est spécifiée une exigence d’amélioration des terres et des bâtiments, avec des clauses environnementales très exigeantes. « L’idée, à terme, est de créer un fonds de dotation, constitué par les membres actuels de la ferme, des consommateurs, voire des collectivités. Nous réfléchissons à comment définanciariser la terre agricole, en faire un bien commun à préserver », relate Aline Coutarel.

Les fermes partagées font partie de la solution, selon Terre de liens, pour la reprise des grandes et moyennes exploitations. En 2010, les futurs retraités de la ferme des Baraques, en Savoie, ont fait appel à l’association pour préserver leur foncier agricole. Leur vingt hectares, situés dans la zone péri-urbaine de Chambéry, sont un îlot menacé par l’urbanisation. Désormais, sur ces mêmes terres, trois paysans boulangers parviennent à vivre de la vente de céréales, de farine, et de la fabrication de pains et de viennoiseries.

Trois cents fermes à ce jour sont soutenues par la structure qui fonctionne grâce à l’épargne citoyenne, aux legs et donations, y compris d’exploitations. Toutes les fermes sont collectives et leurs membres se sont engagés à pratiquer une agriculture de proximité, biologique et à taille humaine.

C’est dans cet esprit que la plateforme Objectif’Terre a été lancée, « un site de petites annonces qui permet de mettre en relation les cédants, les chercheurs de terre, ou ceux qui veulent trouver de nouveaux collaborateurs », détaille Vincent Jannot, responsable des programmes et partenariats.

Vivre de sa production, plutôt que de la vente future de son capital

Malgré les difficultés, la grande majorité des fermes Terre de liens sont rentables, car toutes privilégient les activités et la transformation à haute valeur ajoutée. Gille Cigero, de la ferme des Baraques, raconte : « Au début du projet, nous étions deux et nous avions pour objectif de nous dégager un salaire net mensuel de 2 000 euros et de prendre nos cinq semaines de congés par an. Les premières années, nous sommes parvenus à nos objectifs de rémunération ». Désormais, avec ses deux associés, il gagnent chacun 1 800 euros net chacun et parviennent à prendre leurs congés et week-ends. « Socialement, c’est très bien », réagit-il. Actuellement, il recherche un éleveur de chèvres pour rejoindre l’aventure.

« Vous démontrez que c’est possible, qu’en vous arrachant c’est possible d’avoir une agriculture accueillante, qui laisse de la place à chacun et qui permet de mener des vies agréables », dira Bertrand Coly, auteur d’un rapport sur la transmission pour le CESE, en s’adressant aux porteurs de projet. Après avoir échangé avec eux pour la réalisation de son rapport, il est persuadé, que non sans difficulté, le bonheur est dans les prés. La prochaine révolution agricole sera aussi dans la perception du métier.

PLUS D'INFOS

 

Notes :

  1. La couveuse « Start’ter Aura », relevant du régime agricole, a été créée par l’association Îlots paysans. Depuis sa création, en 2012, 41 personnes ont pu tester leur activité dans « le cadre le plus réel possible ». (https://reneta.fr/Ilots-paysans)

  2. Chiffres de l’Agreste, institut de statistiques dépendant du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation

 

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !