[DOSSIER] Agriculteur : « Plus qu’un métier, c’est un mode de vie »

Publié le mar 21/12/2021 - 11:00
© Estelle Pereira

Par Estelle Pereira

chapeau : La transmission dans le cercle familial est une épreuve humaine, que ce soit pour les parents cédants que pour l’enfant repreneur. Entre bilan et réflexion, nous avons rencontré, dans la Drôme, un éleveur de brebis et sa fille en pleine réflexion sur le devenir de leur ferme.

« Je ne dis pas que j’en ai marre, mais parfois c’est chiant », soupire Sébastien Rigaud. C’est l’amertume qui parle, celle d’un éleveur qui a toujours voulu faire les choses « au mieux » mais qui peine à se dégager un SMIC. Propriétaire de 130 brebis, sur 70 hectares, il produit toute l’alimentation nécessaire à son troupeau. Il cultive également six hectares de vigne en conventionnelle « sinon ce ne serait pas rentable », destinée à Jaillance, la plus grande coopérative de Clairette de Die de la région. « En 2016, j’ai fait les démarches pour obtenir le label biologique pour des raisons économiques, même si je n’ai jamais employé aucun pesticide sur les parcelles d’élevage. Je vends également toute ma production d’agneaux en direct », raconte-t-il.

Toutes ces adaptations ont été nécessaires pour récupérer un peu de la valeur ajoutée qui nourrit les intermédiaires. Alors quand il entend les débats médiatiques autour du bio, de la pollution des sols, des pesticides, qui sous-entendent que « les agriculteurs sont tous des pollueurs », Sébastien Rigaud n’est pas imperméable. « Il faut arrêter de nous mettre tous dans le même sac », défend sa fille Clémentine Rigaud, 21 ans, en voyant son père maugréer.

À seulement 48 ans, le patriarche a entamé une première étape dans la transmission de l'exploitation qu’il a lui-même rachetée à son oncle en 2006. Avec l’installation de sa fille, il espère pérenniser l’activité et pouvoir lui transmettre un projet viable économiquement. Dès le collège, Clémentine Rigaud savait qu’elle voulait être agricultrice. Elle choisit de faire son stage de découverte dans un élevage de chèvres laitières, « même si ma conseillère d’orientation me disait que le métier n’avait pas d’avenir », se rappelle-t-elle.

Je sais dans quoi je m’engage”

Déterminée, elle rentre dans l’enseignement agricole public, en Isère, où elle effectuera ses années lycée, ainsi que de nombreux stages en élevage de brebis laitières, de bovins et de poulets. Elle poursuit ses études avec un BTS en production animale : « Je sais dorénavant dans quoi je m’engage », résume-t-elle à propos de l’avenir de la ferme familiale.

À son niveau, la reprise d’une exploitation n’est pas seulement une affaire de patrimoine, d’ailleurs son père loue la plupart des terres, mais c’est l’adoption d’un mode de vie. « On devient agriculteur seulement si l’on a la passion de l’agriculture. Si tu ne l’as pas, tu ne peux pas l’être », lui répète son père, en référence aux néo-ruraux, qui « changent de vie à 50 ans en reprenant une exploitation pendant quatre ans et en la transformant ensuite en gîte. Ça, désolé, mais ce n’est pas de l’agriculture ! »

La ferme des Rigaud est située sur un plateau venteux, d’où l’on aperçoit les premiers sommets du Vercors. Une partie de la maison a été aménagée en petite boutique. Bolognaise d’agneau et rillettes en pots trônent sur des étagères, avec les produits des voisins producteurs, cosmétiques, noix, huiles, etc. Clémentine veut créer une plus grande boutique, au village de Beaufort-sur-Gervanne, cette fois. « Cette année, la coopérative nous a baissé les quotas pour la vigne, on gagne moins d’argent. C’est avec ce type de projets que l’on essaie de compenser le manque à gagner », explique-t-elle.

Ne pas reproduire les erreurs du passé

Il y a la paperasse à remplir pour les subventions, les normes sanitaires toujours plus strictes, le sentiment d’être épié par les « associations écologistes extrémistes » : le tableau dressé par son père pourrait lui donner envie de rebrousser chemin. Mais Clémentine possède la motivation de celle à qui l’avenir appartient. C’est par la sensibilisation, le partage, qu’elle souhaite poursuivre l’activité familiale en ouvrant une ferme pédagogique. « Pour que les gens découvrent notre façon de travailler, notre rapport avec les animaux. Quand on explique comment fonctionne une ferme en polyculture-élevage, les citoyens sont plus enclins à nous soutenir ».

La jeune femme a vu son père se tuer à la tâche quand elle était encore petite. « Il travaillait nuit et jour », se souvient-elle. Son père poursuit : « Quand je me suis rendu compte que je ne gagnais pas plus d’argent alors que je ne voyais pas mes enfants grandir, j’ai accepté de remettre à demain ce que je ne pouvais pas faire dans la journée ». S’ils aimeraient plus de vacances ? Clémentine n’en ressent pas le besoin. « J’ai mes week-ends, mes soirées et partir deux jours me convient ». La dernière fois qu’elle s’est absentée une semaine, ne pas voir ses bêtes la préoccupait. « C’est une passion. Malgré les galères récurrentes, avec un tel cadre de vie nous ne ressentons pas le besoin de partir en vacances comme pourrait l’avoir un urbain » poursuit-elle, son père oscillant la tête en signe d’approbation. Le monde rural n’a pas encore dit son dernier mot.

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