[THEMA] Énergie : de l'électricité dans l'air

Publié le mer 06/04/2022 - 12:00

Par Quentin Zinzius

Alors que la demande mondiale explose, le mix énergétique reste majoritairement dépendant des énergies fossiles et particulièrement du pétrole, dont les réserves diminuent et les coûts augmentent continuellement. Alors pour éviter la crise énergétique, le monde va devoir s’adapter : place au « tout électrique ».

C’est un constat dressé par tous les plus récents rapports sur l’énergie(1) : du rapport RTE au scénario NégaWatt, tous indiquent que, pour limiter le réchauffement climatique, il est urgent d’en finir avec les énergies fossiles. Pesant toujours pour près de 80 % du mix énergétique mondial – 60 % pour la France, elles représentent non seulement un risque climatique, mais également un risque d’approvisionnement : les réserves s’épuisent, et les prix grimpent inlassablement. Alors pour en sortir, les annonces se multiplient : fin des financements, plans de « neutralité carbone », objectifs d’économie d’énergie… Mais encore faut-il le remplacer. Une piste majeure : l’électricité. Se distinguent alors deux principaux moyens décarbonés d’en produire : le nucléaire, et les énergies renouvelables (ENR).

Solution atomique

Controversé en raison des risques associés, le nucléaire a atteint, au début des années 2000, un plafond de production d’électricité autour de 2500 TWh. Ainsi en 2018, on comptait quelque 450 réacteurs toujours en activité dans le monde – pour 4,5 % du mix énergétique. Ils pourraient pourtant, à terme, être complétés par plus de 300 nouveaux réacteurs, selon le rapport Cartographie politique de l’électricité nucléaire, du Shift Project (2019). Sylvaine Dhion, qui a supervisé ce rapport, explique ce choix politique : « Que ce soient les pays développés ou en développement, tous vont avoir besoin d’électricité pour remplacer les énergies fossiles. Le nucléaire a alors l’avantage d’être extrêmement concentré : avec 1g d’uranium, vous produisez un million de fois plus d’énergie qu’avec 1g de pétrole ». Un avis que partage Maxence Cordiez, ingénieur dans le secteur de l’énergie : « Se poser la question du nucléaire à l’heure du réchauffement climatique, c’est se demander si on est pour ou contre la chimio quand on a un cancer ». Un constat qui a récemment poussé le Président Macron à annoncer le retour, en grande pompe, du nucléaire en France : six nouveaux réacteurs de type EPR seront construits d’ici à 2050.

Divergence énergétique

Mais il va falloir attendre un peu… Karim Megherbi, membre du think tank Dii Energy, rappelle : « Sur 6 constructions depuis 2005 dans le monde, seules 2 sont achevées. Elles n’ont produit de l’électricité que pendant 2-3 ans, et l’un de ces 2 réacteurs est même déjà à l’arrêt pour maintenance ». La France devrait donc pouvoir augmenter sa production d’énergie nucléaire d’ici 2035, mais pas avant ! « Et nous ne maîtrisons pas toute la chaîne de production, notamment l’approvisionnement en minerai et le traitement des déchets, s’inquiète de son côté Loïs Mallet, directeur de l’institut Momentum. Sans parler de l’incertitude liée à la géopolitique mondiale et des risques climatiques. ». Un pari que Maxence Cordiez et Sylvaine Dhion défendent : « Sur le sol français, nous avons actuellement dix ans de stock stratégique pour produire de l’énergie nucléaire ». À titre de comparaison, le stock de pétrole n’est quant à lui que de trois mois.

Les ENR ont donc un rôle à jouer : les trois scénarios RTE les mentionnent clairement comme un appui technique indispensable. « Nous avons besoin d’énergie, le temps de déployer les nouveaux réacteurs, explique Sylvaine Dhion, et les ENR ont cet avantage d’être plus rapidement déployables ». Elles pourraient ainsi produire 50 % minimum du total de l’électricité en 2050.

Mais pour NégaWatt, en accord avec certains scénarios de RTE, les ENR pourraient parfaitement subvenir, à elles seules, à nos besoins, à une seule condition : la sobriété. L’Institut Momentum va plus loin et propose de refonder notre rapport à l’énergie : « Reproduire un système énergétique global n’est pas la seule option, détaille Loïs Mallet, les énergies renouvelables déconcentrées et aux dimensions raisonnables peuvent permettre repenser un mode de vie écologique, plus convivial, et réinséré dans les cycles naturels ». Il s’agit là d’un changement radical du mode de consommation de l’énergie qui permettrait notamment de limiter les besoins en matières premières.

Électrifier les usages

Mais avant même d’envisager le passage au tout électrique, encore faut-il que les usages [mobilités, industries, etc] y soient adaptés. La concentration énergétique du pétrole a en effet permis l’utilisation de véhicules « lourds » - SUV et autres 4x4 de plusieurs tonnes – globalement efficaces énergétiquement, là où les véhicules électriques sont très vite limités en termes de batteries, gourmandes en métaux rares, et dont l’extraction est, là aussi, limitée. « Si on veut conserver un usage individuel des mobilités, basé sur un mix majoritairement électrique, il va falloir réduire et limiter la taille de nos véhicules », prévient l’ingénieur. Pour Loïs Mallet, ce type de mobilité devrait même être réduit au maximum, au profit des mobilités douces comme le vélo et les transports au commun. « Une société sans pétrole, c’est une société ou le rapport vélo-voiture s’est inversé », imagine-t-il.

Du côté des besoins énergétiques des logements, deuxième poste de dépense après le transport, le son de cloche est le même pour tout le monde : « Le premier chantier est un chantier de rénovation, afin de limiter les besoins énergétiques ». Car, nucléaire ou pas, il reste encore difficile de prédire si nous pourrons atteindre des niveaux de production d’énergie équivalents à ceux de nos consommations. « Il va falloir flexibiliser le système électrique, reprend Maxence Cordiez, car la fermeture de centrales fossiles va mécaniquement réduire le service de flexibilité qu’elles apportent. Il est donc nécessaire d’apprendre à davantage piloter la demande et développer le stockage pour maintenir la sécurité d’approvisionnement électrique, c’est-à-dire éviter des coupures ». « Il faut comprendre qu’il n’y a pas d’énergie propre, ni d’énergie verte, rappelle le directeur de l’institut Momentum. Et que sortir du pétrole ne sera pas une simple transition ». Vous voilà prévenus.

Notes de bas de page :

Scénarii RTE

Scénario NégaWatt

Scénario du Shift Project

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