[INTERVIEW] Cécile Diguet : « Il faut se demander si on a besoin d’accumuler autant de données »

Publié le mer 28/07/2021 - 17:39
Cécile Diguet. Crédit : Institut Paris Région.

Propos recueillis par Catherine Stern

Pour Cécile Diguet, directrice du département urbanisme, aménagement et territoire de l’Institut Paris région et autrice, avec Fanny Lopez, d’un rapport sur l’impact spatial et énergétique des datacenters sur les territoires, il est urgent de devenir plus sobre dans le stockage de nos données.

Que représentent les datacenters en termes d’émissions de gaz à effet de serre ?

Le secteur du numérique augmente au global ses émissions de carbone de 8% par an alors qu’il devrait les baisser de 5% pour rester dans les objectifs d’augmentation de température de 2° d’ici 2050. Cela ne va pas dans le bon sens. Les datacenters, en tant qu’objets isolés, ont beau augmenter leur efficacité énergétique, tous les gains d’énergie sont aussitôt consommés par l’augmentation de la demande.

Est-ce que travailler sur l’amélioration énergétique des datacenters peut suffire face aux enjeux ?

Si on ne se pose pas de questions en amont, notamment sur l’accumulation infinie de données et les modèles économiques des géants du numérique, cela ne suffira pas. Il faut se demander si on a besoin d’accumuler autant de données (les capacités de stockage illimité des boîtes mail sont une catastrophe). Les datacenters se dédouanent du fait qu’on consomme de plus en plus de numérique mais leur business plan, c’est justement d’héberger de plus en plus de données. Il faudrait se pencher sur la sobriété. Mais un datacenter qui voudrait être sobre dirait à ses utilisateurs de ne pas dupliquer leurs données. Or lors de l’incendie du datacenter d’OVH en mars, les gens qui n’avaient pas dupliqué leurs données les ont perdues. La sobriété, ce serait mettre en place des pratiques qui pourraient passer pour un recul (stocker moins et chez soi). Il s’agit de modifier le fonctionnement global d’internet et du numérique. C’est un problème de société, une question de démocratie technique.

Est-ce que les énergies renouvelables sont tout de même une piste d’avenir pour les datacenters ?

En France, les datacenters n’ont pas un grand intérêt pour les ENR parce qu’on a un système énergétique fiable avec un nucléaire décarboné. C’est différent aux Etats-Unis où le système est fragile, avec des blackouts et des coupures. C’est pourquoi les géants du numérique développent leurs propres centrales de production. Ainsi, Facebook a co-investi avec Apple dans deux centrales solaires de 15 MWh chacune dans l’Oregon où il a un gros datacenter. Ce qui les intéressent dans le renouvelable, ce sont des coûts peu élevés qui vont être stables dans le futur, contrairement aux énergies fossiles. Ils pourraient même devenir eux-mêmes opérateurs électriques. Ils mettent aussi la pression sur les opérateurs traditionnels pour qu’ils développent plus d’énergies renouvelables, ce qui n’est pas du tout le cas en France.

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