Jean-Marc Pierson, directeur de l’Institut de recherche en informatique de Toulouse (Irit). Crédit : Pascal Nguyen.
Par Pascal Nguyên
Notre vie numérique est de plus en plus gourmande en électricité, ce qui n’est pas très compatible avec les objectifs de réduction de notre empreinte écologique. Mais des équipes de recherche travaillent à Toulouse à alimenter les datacenters en énergies renouvelables.
« Que vous consultiez des sites Web, envoyiez des mails, regardiez des vidéos à la demande ou encore jouiez en réseau, vous sollicitez les services de centres de données », lance Jean-Marc Pierson, directeur de l’Institut de recherche en informatique de Toulouse (Irit), qui nous accueille dans le laboratoire où son équipe mène des travaux de recherche sur des centres de données plus écologiques. Plus communément appelés datacenters, ces salles informatiques renferment un plus ou moins grand nombre d’ordinateurs, appelés serveurs. Et le fonctionnement de ces infrastructures nécessite de l’électricité pour fonctionner. Beaucoup d’électricité. 3 et 4 % de la consommation d’électricité mondiale selon un article du CNRS de 2018. Un chiffre ramené à 1 % en 2020 dans une étude publiée par Science. Même à ce niveau, cela représente tout de même 205 térawattheures, ce qui équivaut à 44% de la consommation électrique française totale. Et ces chiffres devraient poursuivre leur augmentation avec la progression des usages.
Réduire la consommation électrique des centres de données
L’Occitanie compterait une dizaine de datacenters publics. « Ce sont des centres de données, surtout installés dans les grandes métropoles, qui mettent à disposition des locaux pour accueillir le matériel des entreprises, précise Yves Grandmontagne, rédacteur en chef de Datacenter Magazine, la seule revue française spécialisée dans le domaine. Mais il y a en a beaucoup d’autres au sein des entreprises. On estime à 5 000 le nombre total de datacenters privés en France ! » Certes, l’Occitanie ne pèse pas le même poids en équipement numérique que l’Île-de-France ou la région Paca, mais elle abrite tout de même près de six millions de personnes et plus de 120 000 entreprises, avec les besoins numériques qui en découlent. Réduire la consommation électrique des centres de données en Occitanie participe de la volonté nationale de réduire l’empreinte environnementale du numérique avancée par le Sénat en début d’année. Une piste pour y parvenir serait d’alimenter les datacenters avec des énergies renouvelables. Ça tombe bien ! L’Occitanie bénéficie d’un bon potentiel d’énergie renouvelable (1) et s’est fixé en 2019 l’ambition de devenir la première région à énergie positive d'Europe à l'horizon 2050 . Reste qu’il ne suffit pas de connecter deux panneaux et trois mâts à un datacenter pour que cela fonctionne de manière parfaitement autonome. Pour preuve, des équipes de recherche dont celle de l’Irit planchent sur cette problématique depuis plusieurs années déjà.
« Depuis 2015, nous menons des recherches sur l’alimentation en énergie renouvelable des datacenters à travers un premier projet intitulé Datazero qui a pris fin en 2019. Un second, Datazero2, a démarré en 2020 et nous amènera jusqu’en 2023 », détaille Jean-Marc Pierson en nous faisant visiter les installations numériques de l’Irit et de l’université. L’Irit coordonne le projet qui implique aussi un autre laboratoire toulousain, le Laplace (plasma et conversion d’énergie), un laboratoire strasbourgeois, le Femto-ST, et l’industriel Eaton qui fournit des solutions d’alimentation électrique des datacenters.
Mais dans les locaux de l’Irit, nous n’avons pas l’ombre d’un panneau solaire, ni d’une pale d’éolienne. « Pour Datazero, nous avons simulé informatiquement le fonctionnement, avec de l’énergie photovoltaïque et éolienne, d’un datacenter de 1 MW, explique le directeur. C’est un petit datacenter, d’une surface de 500m² environ, alors qu’en Occitanie, environ 80 datacenters ont une superficie allant jusqu’à 1 000 m², une dimension encore moyenne pour ce type d’infrastructures. Par comparaison, ceux d’Amazon occupent plusieurs dizaines de milliers de m² ! » Mais grâce à ces simulations, les équipes de recherche sont parvenues à montrer qu’il était possible d’alimenter un datacenter avec des énergies renouvelables, d’origine solaire et éolienne. Elles ont également mis au point les logiciels nécessaires pour le gérer.
Stocker l’énergie pour pallier l’intermittence des ENR
En effet, les contraintes de ce type d’installation sont de deux ordres : « la disponibilité de l’énergie est aléatoire et, la nuit, les panneaux solaires ne génèrent pas un kW, rappelle Jean-Marc Pierson. Idem avec les éoliennes en l’absence de la moindre bise. La seconde contrainte est que le datacenter n’a pas un fonctionnement lissé. Les serveurs sont sollicités de manière variable selon le type de services qu’ils fournissent, le moment de la journée et la saison. » Pour pallier l’intermittence de la production, l’équipe a tablé sur un stockage de l’électricité via des batteries lithium-ion et des piles à combustible utilisant de l’hydrogène fabriqué à partir d’électricité renouvelable quand elle est en surplus. « Les batteries interviennent sur l’alternance jour/nuit alors que les piles à combustible sont sollicitées pendant de plus longues périodes. Ces dernières ont la capacité d’emmagasiner plus d’énergie que les batteries puisqu’elles dépendent d’un stock d’hydrogène », détaille Jérôme Lecuivre, responsable R&D chez Eaton. Mais ces capacités de stockage ne sont pas illimitées. Ne serait-ce que pour que ce soit économiquement viable. Il faut les dimensionner correctement, tout comme la puissance des panneaux solaires et des éoliennes. Enfin, il est nécessaire de mettre en adéquation la demande d’électricité à un instant T à la fourniture de celle-ci via les sources renouvelables ou les unités de stockage.
À la fin du projet Datazero, les scientifiques ont réussi à mettre au point les bases de solutions logicielles pour dimensionner un datacenter fonctionnant avec des panneaux solaires et des éoliennes. Le premier logiciel est destiné aux constructeurs de datacenters pour évaluer la quantité de panneaux, d’éoliennes, de batteries, de piles à combustible à hydrogène nécessaires selon la charge informatique attendue, la localisation géographique (pour les données météo) et le nombre de serveurs. Un second outil permet de tester la configuration et de faire des simulations pour différents scénarios. Enfin, le troisième logiciel est celui qui doit être mis en œuvre par l’opérateur du datacenter pour le faire fonctionner : répartir les charges informatiques qui arrivent sur les serveurs et rechercher la meilleure source d’énergie. « Cette partie n’a pas encore été testée sur un vrai datacenter », confie Jean-Marc Pierson. Cela le sera sans doute avec la suite du projet.
Intégrer le bilan carbone
Datazero2 a pour objectif d’améliorer la gestion et la conception des datacenters alimentés uniquement par énergie renouvelable. Il devra également intégrer les calculs d’analyse de cycle de vie afin d’évaluer le bilan carbone, depuis l’extraction des minerais nécessaire à la fabrication des matériels jusqu’à la destruction du centre, en passant par son exploitation. Avec Datazero , l’équipe de recherche avait prouvé qu’il était possible d’alimenter un datacenter avec des énergies renouvelables et avait conçu les premières versions des logiciels nécessaires. Avec Datazero2, elle devrait réaliser un prototype et optimiser les applications pour le gérer. Le relais devra ensuite être pris par les industriels. Dans un avenir pas si lointain, des datacenters à énergie renouvelable pourraient sortir de terre. Et les datacenters des laboratoires Irit et Laplace seront peut-être à leur tour couverts de panneaux solaires et d’éoliennes pour alimenter leurs datacenters universitaires.
(1) L’Occitanie est la deuxième région pour sa production photovoltaïque et hydro-électrique et troisième pour l’éolienne.
+ d’infos
Projet Datazero 2 : www.irit.fr/datazero/index.php/en/datazero2
Carte des datacenters : datacenter-magazine.fr/carte-des-datacenters