[DOSSIER] S.O.S océan en danger

Publié le mar 15/02/2022 - 09:48

Par Marie Albessard et Élodie Horn

Dernier espace de vie sauvage sur Terre, l’océan subit de plein fouet l’activité humaine, avec des conséquences désastreuses : pollution, destruction des habitats marins, disparitions des espèces… Pour le sauver, une forte volonté politique est nécessaire, ainsi qu’un changement de paradigme : il est une entité complexe à sauver et pas seulement une ressource à exploiter.

 

Longtemps cantonné à un imaginaire lointain auquel peu de gens ont directement accès, l'océan subit pourtant de plein fouet les conséquences des activités humaines, de la surexploitation de ses fonds aux impacts du réchauffement climatique et à la pollution, notamment plastique. Cet océan, dernier espace de vie sauvage sur Terre, est en grave danger. Depuis des années déjà, des voix s’élèvent et alertent sur les conséquences d’un écosystème en détresse. Scientifiques, associations de défense de l’environnement et amoureux de l’océan se battent pour sa reconnaissance et sa protection. Car il constitue un écosystème majeur, qui en plus d'abriter 90 % de la biosphère, permet à l'humanité d'y vivre. « Plus de 90 % de la chaleur qui découle des émissions de gaz à effet de serre des activités humaines est absorbée par l'océan. Il nous permet clairement de survivre malgré le changement climatique », affirme Françoise Gaill, chercheuse et vice-présidente de la plateforme Océan et Climat, qu’elle a cofondé en 2015. L’océan nous est indispensable. Pourtant, l’impact de l’Homme est majeur. La pollution plastique est un exemple criant  : 10 millions de tonnes de déchets s’échouent chaque année en mer. Cet “océan plastique” concentre 80 % des déchets plastiques mondiaux. L’ampleur du désastre est telle qu’il n'est malheureusement plus possible de débarrasser le poumon de la terre - l'océan produit plus de la moitié de notre oxygène- du plastique fragmenté qui y est répandu. 

Des menaces croissantes

Sans une réduction significative des émissions de gaz à effet de serre, la température sur Terre augmentera de 2 à 7 degrés, selon le scénario le plus pessimiste des scientifiques du Giec, à l’horizon 2100. Avec des conséquences en chaîne sur l'océan. « L'océan est un puits de carbone et cette introduction massive de gaz carbonique va changer le pH de l'eau, qui va devenir plus acide. L'acidité est un stress pour le vivant », précise l'ancienne chercheuse au CNRS. Concrètement, d'ici 2050, à cause de cette acidification, certaines espèces d'algues, qui composent le phytoplancton pourraient disparaître. Ce plancton végétal produit notamment l'oxygène que nous respirons. Selon Françoise Gaill, « l'impact le plus préoccupant reste celui de l'élévation de la température de l'eau, qui fait fondre les glaciers continentaux, des calottes polaires et engendre une hausse des niveaux de la mer ».Une élévation de 80 cm est prévue par certains scénarios scientifiques d'ici 2100, et pourrait bien rayer de la carte des îles entières, comme les Maldives dans l'océan Indien, ou les Kiribati dans le Pacifique. Quand bien même le réchauffement climatique serait limité à une augmentation de 2°C, une étude de l’ONU de 2019 affirme qu’à terme la hausse du niveau des océans pourrait déplacer 280 millions de personnes dans le monde. Les chercheurs ont aussi constaté la multiplication de “zones mortes”, zones sans oxygène dans l’océan provoquant la mort massive de poissons et crustacés. Selon une étude publiée en 2018 dans la revue Nature, au cours des cinquante dernières années, ces “zones mortes” se sont considérablement étendues, augmentant de plusieurs millions de kilomètres carrés, équivalant la surface de l'Union européenne ! L’effondrement de la biodiversité est une autre conséquence terrible des activités humaines. 

Déclin de la biodiversité

Selon le dernier rapport du WWF Planète Vivante Océans de 2016, de 1970 à 2010, les populations marines ont connu un déclin de 49 %. La surpêche est particulièrement pointée du doigt. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dénonce les politiques en vigueur : entre 2016 et 2018, sur les 39 pays étudiés, 9,4 milliards de dollars ont été alloués par les pouvoirs publics à la filière pêche, notamment industrielle. Angel Gurria, secrétaire général de l'OCDE, en appelle donc à réorienter les subventions vers une pêche plus durable, à l’instar des discussions sur la politique agricole commune (PAC) et l’agriculture. Plutôt que l’instauration de quotas de pêche en fonction des espèces, la véritable solution pour protéger l'océan et ses populations serait la création d’aires marines protégées. « Les scientifiques sont unanimes. Cet outil permet à la biodiversité de prospérer et à l'écosystème de se régénérer puisque laissé en paix. Mais ce que l'on constate, c'est encore une absence de volonté politique pour les faire respecter », déplore Frédéric Le Manach, directeur scientifique de l'association Bloom, qui lutte contre la surpêche (voir encadré). Malgré le nombre de conséquences désastreuses, Françoise Gaill l'assure, il n'est pas trop tard pour agir. 2021 marque d’ailleurs le début de la décennie de l'océan déclaré par l’ONU. Mais pour Frédéric Le Manach, les effets d’annonce ne suffisent plus : « Il y a des annonces tous les 6 mois sur les océans qui donnent l'impression que l’on va être sauvé, mais derrière, il n'y a pas de volonté politique. »Si rien n’est fait pour enrayer la destruction de l’océan, ce sont les générations à venir qui paieront le prix fort : avec l’augmentation des températures - l’océan ne jouant plus son rôle de régulateur - la crise des réfugiés climatiques, l’épuisement des ressources halieutiques… Il serait donc temps que l’humanité se saisisse enfin de la préservation de ce bien commun. Car pour sauver la planète, il faut aussi sauver l’océan.

Plus d'infos : ocean-climate.org

 

Aires marines protégées... en danger !

Pour protéger ses 11 millions de km2 de domaine maritime, la France a choisi une politique d'aires marines protégées (AMP). 23,5 % de ses zones marines côtières, aussi bien en métropole que dans les Dom-Tom, sont placées sous ce statut, afin de protéger les espèces et leurs habitats. France Nature Environnement, qui a mené des investigations entre 2015 et 2018, dénonce la surexploitation de ces zones, malgré leur protection : « La surpêche et le recours à des techniques de pêche destructrices se déroulent aussi dans les aires marines protégées, avec presque autant d’intensité qu’en dehors. En 2018, dans le golfe de Gascogne, on évalue à plus de 174,000 le nombre d’heures de pêches destructrices dans ces aires protégées, contre 235,000 en dehors. Et les bateaux sont à 95,8 % français ! », précise l'association. Les AMP n’auraient-elles de protégées que le nom ? Le 18 janvier, le gouvernement annonçait l’objectif de classer 30 % du territoire français en AMP, dont un tiers en protection renforcée d'ici 2022. Les scientifiques estiment que cet objectif de 30 % est déjà atteint en termes de surface mais qu'il ne peut suffire. Sans gestion adaptée et en l’absence de contrôles, il laisse largement la place au chalutage de fond ou la pêche à la drague (un engin rigide traîné sur le fond pour pêcher les coquillages, NDLR), qui continuent d'abîmer durablement ces écosystèmes, en raclant les fonds marins.

 

L'océan, le vide juridique

L'océan relève d’une juridiction complexe. « La surface, c'est l'Organisation maritime internationale (OMI) qui s'en occupe. Le fond, c'est l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM). Il est considéré comme un patrimoine commun de l'humanité et n'appartient donc à personne. Au milieu, il y a encore les organisations régionales qui se chargent des pêches et des poissons intéressants pour l'alimentation. Le reste de l'océan [NDLR: la haute-mer représente 64 % de l'océan]n'est pas géré et dépend d’aucune juridiction », souligne Françoise Gaill. Cette législation date du XVIIe siècle et des premiers écrits du droit de la mer. Elle stipule que les États ne détiennent « que » les eaux intérieures. Puisque l'océan n'appartient à personne, la « liberté de la mer » est de mise : chacun peut y puiser à volonté. En 1982, la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer (www.un.org/fr) est signée. Un régime de droit global pour les océans et les mers est adopté (il établit les règles détaillées touchant toutes les utilisations des océans et l'accès à leurs ressources). La juridiction des États côtiers est ainsi mise en place et étend la gestion des « ressources » de la mer aux États, jusqu'à 370 kilomètres de leurs côtes. Au-delà, dans les espaces dits de haute-mer, un vide juridique subsiste encore. C'est tout l'enjeu de négociations en cours depuis plus de seize ans à l'ONU, qui devaient aboutir à un traité sur la gouvernance de l'océan en 2020, repoussé en raison de la pandémie...

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