[DOSSIER] Pauvreté et santé : l'impossible équation ?

Publié le dim 28/03/2021 - 07:15

Par Guillaume Bernard

La Covid-19 nous rappelle à quel point une pandémie touche avant tout les plus fragiles. Logement, âge ou encore situation professionnelle, nous passons en revue les facteurs socio-économiques qui creusent les inégalités en matière de santé. Car une fois encore le constat est là, terrible : plus on est pauvre, plus on est malade !

 

Plus encore que les autres départements, la Seine-Saint-Denis n'était pas prête à affronter l'épidémie de Covid-19. Les chiffres de mortalité le montrent. Entre le 1er mars et le 19 avril 2020, le nombre de morts dans le 93 a augmenté de 134 % par rapport à l'année précédente, d'après une étude publiée fin juillet 2020 par l’Institut national d’études démographiques (Ined). Le département devient alors le deuxième département où la Covid fait le plus de morts après le Haut-Rhin.

Et ce n'est pas un hasard. La Seine-Saint-Denis concentre les différents paramètres identifiés par l'Insee comme augmentant les inégalités sociales de santé : situations de surexposition à la maladie, concentration de publics vulnérables et manque d'accès aux soins. De fait, c'est le département qui présente le plus haut taux de pauvreté de France métropolitaine et se trouve également parmi les plus densément peuplés. Sa situation nous rappelle à quel point nous sommes loin d'être tous égaux en matière de santé.

Logements surpeuplés

Les personnes qui vivent dans des logements surpeuplés sont plus exposées aux maladies. Qu'est-ce qu'un logement surpeuplé ? Tout logement abritant plusieurs personnes et offrant moins de 18 m² à chacune (définition I'Insee). En France, plus de cinq millions de personnes sont concernées. Or une enquête EpiCov de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), parue en octobre 2020, démontre que ces personnes ont été deux fois plus touchées par la Covid-19 que les autres. Promiscuité oblige.

« Il existe des logements où les gens étaient confinés à quinze, certains payaient la location d’un balcon ! », témoigne Paulo, éducateur en prévention spécialisé, implanté dans un quartier populaire de Seine-Saint-Denis. Bien entendu, plus un territoire est pauvre et dense, plus il est sujet au surpeuplement. Dans le 93, 20,6 % des logements sont surpeuplés contre 12,7 % en moyenne en Île-de-France et 5 % en France. La cohabitation multigénérationnelle, également plus élevée que dans les autres départements, a exposé encore davantage les personnes âgées à la maladie, rappelle l’Institut national d’études démographiques (Ined).

Pour les sans-abri, la réalité est encore pire. Médecins Sans Frontières s’est intéressé, dans une étude d'octobre 2020, aux personnes en grande précarité hébergées dans des lieux de promiscuité en Île-de-France. Sur les 818 interrogées durant l’été, plus d’une sur deux a été testée positive au virus, contre 10 % pour le reste de la population francilienne.

Exposition à la maladie et facteurs aggravants

Si on dispose de statistiques montrant que les mal logés ont été davantage touchés par la Covid que les autres, il n'est pour l'heure pas possible de « distinguer les décès survenus au cours de la période selon la profession », prévient l'Insee dans son portrait social de la France 2020. Néanmoins, l'institut de statistiques s'empresse d'ajouter : « on sait déjà en revanche que certains ont été plus exposés que d'autres ».

C'est le cas du personnel soignant - composé à 70 % de femmes - mais également des ouvriers et employés qui ont moins bénéficié du télétravail que les autres. Pendant le confinement, seul un tiers des cadres ont été obligés de sortir de chez eux contre les trois quarts des employés et 96 % des ouvriers, selon la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees).

L'Insee démontre également que les personnes d'origine étrangère vivant en France sont davantage mortes de la Covid que les autres. En mars et avril 2020, les décès ont augmenté de 54 % pour celles nées au Maghreb, de 114 % pour les autres pays d'Afrique, et de 91 % pour l'Asie, contre 22 % pour celles nées en France. Cela s'explique par le fait qu'elles habitent bien souvent en Île-de-France, région particulièrement touchée par le virus. C'est le cas pour une personne sur trois résident en France et née au Maghreb et pour la moitié des personnes nées dans un autre pays d’Afrique ou en Asie.

Enfin, nous ne sommes pas non plus égaux face aux facteurs aggravants. Les 20 % de personnes ayant les niveaux de vie les plus faibles souffrent 1,5 fois plus d'obésité ou d'une pathologie augmentant les chances de développer une forme grave de la Covid (antécédents cardiovasculaires, diabète) que les 20 % les plus riches, assure l'Insee. Bref, là encore les inégalités sont cruelles.

Quel accès au vaccin ?

Ces personnes seront-elles alors, naturellement, les premières soignées en tant que public à risque ? Et bien non. Début février, alors que le vaccin est disponible depuis bientôt deux mois, c'est la panique en Seine-Saint-Denis. Les médecins constatent que la population du département ne parvient pas à prendre rendez-vous et leurs centres de vaccination sont en réalité remplis de... Parisiens ! « Les réservations en ligne sont déjà un peu contre-intuitives pour les plus de 75 ans, mais c’est carrément un non-sens pour les populations précaires de notre département », explique le Dr Fabrice Giraux, responsable du centre de vaccination d’Aubervilliers (93) interrogé par Libération.

Les centres de Pierrefitte et de Noisy-le-Grand, gérés par le conseil départemental, évaluent à 34 % la part de rendez-vous pris par des habitants de Seine-Saint-Denis sur la période du 18 janvier au 13 mars. « Ce sont les personnes âgées les plus éduquées, les plus informées, familières d’Internet et des nouvelles technologies, qui tirent avantage de ce système», abonde un responsable de centre.

Connu de longue date, (voir article suivant) le manque d'accès au soin pour les populations les plus précaires devient ainsi criant lorsque apparaît un produit médical prisé, ici, en l'occurrence, un vaccin. Et la Covid-19 devient alors, comme d’autres maladies avant elle, un révélateur cruel des inégalités face à la maladie puis des inégalités aux soins.

Plus d'infos : Article Inégalités sociales de santé : des déterminants multiples.(www.santepubliquefrance.fr)

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