[DOSSIER] Des initiatives citoyennes pour lutter contre les inégalités sociales de santé

Publié le dim 28/03/2021 - 07:38

crédit : Avosoins

Par Guillaume Bernard

Aide alimentaire, camion apportant le soin en quartiers populaires, défense des hôpitaux... Depuis le début de la crise de la Covid, de nombreuses initiatives citoyennes se sont déployées pour pallier les failles de notre système de solidarité.

La porte en fer, type vieux garage désaffecté, ne paye pas de mine. Difficile d'imaginer qu'il se passe des choses derrière. Et pour cause, l'ancienne maison de maître, située dans le centre ville de Lyon, est inhabitée depuis 2014. Il a fallu attendre 2020 pour que le marché rouge redonne vie au lieu.

«On a commencé modestement, avec quelque chose comme 200 kg de fruits et légumes. Aujourd'hui c'est une tonne qui transite sur le marché rouge, de quoi nourrir environ 80 familles », explique Sam, un des membres fondateurs du marché. Le succès du marché rouge s'explique par sa formule défiant toute concurrence : concombres, tomates, courges, persil, choux ; tout est à 1€ le kilo. Les légumes sont achetés en gros, le matin même, par une équipe de bénévoles qui privilégie les producteurs locaux, tente de négocier les prix à la baisse, récupère les invendus et les produits déclassés.

Mais ce n'est pas tout : des boulangeries fournissent leurs invendus au marché rouge, les jardins partagés de la ville leurs excédents de poireaux. «On veut créer une solidarité alimentaire à l'échelle d'un quartier, et ça a vocation à se multiplier, d'autant plus en temps de crise », conclut Sam.

En France, 8 millions de personnes, soit environ 10 % de la population française, ont besoin de l'aide alimentaire pour vivre, selon le Secours catholique, qui s'exprimait en novembre 2020. L'effet covid est facilement observable : en 2018, ils n'étaient « que » 5 millions. Si Emmanuel Macron s'est prononcé en faveur du « chèque alimentaire », une mesure proposée par les 150 citoyens de la Convention climat, son déploiement se fait toujours attendre et de nombreuses associations et collectifs citoyens ont décidé de boucher les trous en attendant l'intervention de l’État.

Or la nourriture est bien un enjeu de santé publique majeur. Selon une enquête de l'Institut de veille sanitaire en 2010, un tiers des cancers pourraient être évités par une alimentation plus équilibrée. « Bien manger » n'est pas seulement une affaire de volonté ou d'information : ils sont loin les cinq fruits et légumes par jour, quand on ne choisit même pas ce qu'il y a dans son assiette...

Déplacer la santé chez le patient

Tenter de pallier les insuffisances de notre système de solidarité en matière de santé ? Nicolas Blouin et l'association Avossoins qu'il codirige tentent de le faire depuis plusieurs années déjà. Avec ses collègues, il commence par installer un centre de santé dans la ville. Puis en 2017, lui vient l'idée du Marsoins : un camion pour faire du dépistage, des préconisations (sans ordonnances) et avoir des discussions avec les gens autour de leur santé. « L'idée est simple : avec un véhicule, on se rend auprès des gens au lieu de les obliger à venir à nous », commente-t-il.

Pour lui, la lourdeur des démarches administratives ne permet pas aux personnes les plus précaires de se saisir des dispositifs de santé pourtant prévus pour eux. Il en va ainsi pour l'accès à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) ou pour l'aide au paiement de la complémentaire santé (ACS) (voir encadré) mais aussi tout simplement pour savoir où aller et à qui s'adresser.

« Les gens qui nous rencontrent pensent avant tout à se nourrir, la santé passe après. Alors imaginez quand il faut faire des démarches longues, complexes, dans une langue qu'ils ne maîtrisent pas toujours... ils ne le font tout simplement pas. De plus, avec la covid, l'isolement est grandissant. »Rajoutez à cela l'augmentation des déserts médicaux et vous avez là la recette pour creuser les inégalités sociales de santé.

Lutter contre les déserts médicaux

Les initiatives citoyennes sont aussi défensives parfois : au lieu de s'organiser pour porter de l'aide ou acquérir de nouveaux droits, il s'agit de se battre pour ne pas en perdre.

C'est ce qui s'est passé à Sisteron (Alpes-de-Haute-Provence). Après avoir été fermées pendant 14 mois, les urgences de nuit de la ville rouvrent enfin. Et cela ne s'est pas fait tout seul.

Tous les lundis soirs, pendant 14 mois, (sauf pendant la période du premier confinement), une centaine de manifestants se sont rassemblés devant l’hôpital de cette petite ville de 7500 habitants pour exiger le maintien d'un service essentiel. Une colère qui s'explique par des chiffres très simples : sans urgence de nuit dans leur ville, ils doivent rouler 45 minutes pour aller se faire soigner de nuit à Gap ou à Manosque, 1h15 pour ceux qui vivent dans la vallée du Jabron. Autant dire que les urgences de santé n'ont pas intérêt à être vraiment urgentes.

Si la conclusion de la bataille des urgences de Sisteron est heureuse, cela reste néanmoins une exception. Dans la région Sud, sept services de réanimations sont censés fermer dans les années à venir, selon le Plan régional de santé. À l'échelle nationale, les services de santé se concentrent et les déserts médicaux se multiplient également. Selon une étude de la Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques (Drees), publiée en février 2020, le nombre d'individus ayant accès à moins de 2,5 consultations par an est passé de 2,5 millions en 2015 à 3,8 millions en 2018. Un creusement des inégalités de santé que seules les mobilisations héroïques semblent pour l'heure capable d'enrayer..

Plus d'infos : www.lemarsoins.fr

 

 Couverture universelle, accès restreint

Limiter la pauvreté permet de limiter les risques en matière de santé. Le système social français l'a bien compris puisqu'il redistribue chaque année environ un tiers de son PIB aux plus précaires, via les prestations sociales. Or, si le montant du budget consacré aux aides sociales semble considérable, une partie de ces dépenses n'arrive en fait jamais dans les poches de ceux à qui elles sont destinées.

Loin des clichés sur « ces assistés qui ruinent la France en touchant le RSA », une enquête de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) révélait que 50 % des personnes potentiellement éligibles ne recourent pas à cette aide en 2011. De même pour les prestations de santé. En 2018, entre 32 % et 44 % des personnes qui ont droit à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) n'y ont pas recours. Pour l'aide au paiement de la complémentaire santé (ACS), le taux s'envole puisque 53 % à 67 % des potentiels bénéficiaires pour l’aide au paiement de la complémentaire santé (ACS) ne la demandent pas.

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