[DOSSIER] : Jacques-François Marchandise : « Il est temps de refonder la vision du numérique »

Publié le jeu 21/01/2021 - 12:00

crédit Fing/Viola Berlanda

Propos recueillis par Virginie Jourdan

Jacques-François Marchandise est délégué général de la Fondation internet nouvelle génération, la Fing, co-initiateur du projet Reset « pour un nouvel internet »plus démocratique, sobre et de proximité. Il est aussi l’auteur de plusieurs études sur les fractures numériques. Pour lui, le numérique n'a pas fini de générer des inégalités.

 

La fracture numérique révèle les limites d'un accès universel au numérique. Est-ce la fin d'un rêve ?

Demandons-nous plutôt où est la société civile numérique ? Il est temps de trouver un juste milieu entre ceux qui dénoncent les excès des réseaux et ceux qui prônent les pleins pouvoirs du numérique. Car dans les deux cas, la parole revient à celui qui parle le plus fort. Il est possible de fonder un Internet de proximité, basé sur la mutualisation des infrastructures. Un numérique plus sobre et choisi plutôt que subi.

La fracture numérique est révélatrice d'inégalités. N'est-elle pas non plus un accélérateur ?

La fracture numérique peut parfois être d’abord une fracture administrative. La massification des usages d'internet ou des équipements ne signifie pas qu'il y a une appropriation. Par exemple, pour l'attestation en ligne qui est proposée pendant le confinement contre la Covid-19. Elle peut être pratique si on a un téléphone mais pas d'imprimante. Mais, avec ses paragraphes à rallonge, elle est incompréhensible pour certains. Il y avait donc besoin de fabriquer une attestation dite facile à lire et à comprendre (Falc).

La stratégie de l'inclusion numérique est-elle pertinente ?

L'e-inclusion telle qu'elle est conçue date d'une vision des années 1990. Elle est exclusivement tournée vers une intention sociale. On s'adresse à des publics fragilisés sur le plan social parce que l'on se rend compte que le web et le numérique ne s'intéressent qu'aux marchés. En 2018, Mounir Mahjoubi qui est alors secrétaire d'Etat au numérique, relance cette idée d'aller vers les publics les plus éloignés du numérique. Mais, à ce jour, on voit que la donne ne change pas. Il faut laisser cette approche restrictive de l'e-inclusion derrière nous pour avoir une démarche plus globale. Le numérique est un domaine dans lequel tout change très vite. La version d'un site Internet peut vous convenir et le lendemain son design change et devient incompréhensible. Pour certaines personnes, se tourner vers le numérique créée plus de problèmes qu'il n'en résout. Il faudra toujours courir derrière un Internet qui se transforme très vite. Peut-être faut-il ralentir ?

Il faudrait renoncer à une partie du numérique ?

Pendant le confinement, l'isolement a été accentué par la fracture numérique. Paradoxalement, le numérique a permis d'organiser des solidarités et de donner des informations sur les lieux de collecte et de dons alimentaires de manière très efficace. Idem sur l'information. Le numérique a permis de démocratiser l'accès à un nombre d'articles de presse bien plus importants que lorsque les journaux n'existaient qu'en format papier. Mais Internet créé aussi de l'infobésité. Finalement, la question à se poser, c'est de savoir si Internet est capacitant ou incapacitant.

Est-il temps de rendre l'instruction du numérique, comme usage plutôt que comme technologie, obligatoire dès l'école ?

Peut-être. Le numérique est partout e­t il pourrait se raconter ou être utilisé depuis la géographie jusqu'aux sciences de la vie et de la terre avec des données environnementales qui sont aujourd'hui collectées. Dans les écoles d'ingénieur, la question peut aussi se poser. Il y est très peu question d'éthique des algorithmes par exemple. La question des enjeux environnementaux du numérique et des enjeux sociaux qu'il pose ne sont pas non plus vraiment abordés. Et cela produit naturellement des aberrations avec des applications qui se préoccupent parfois peu des libertés et de leurs conséquences sociales.

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