Tout le monde s’est rassemblé autour d’une grande télé, dans les ateliers des Fées Spéciales, studio d’animation montpelliérain organisé en société coopérative. C’est l’heure du visionnage du making off de trois jours de production expérimentale d’un nouveau projet : une série animée inclusive, adaptée aux personnes sourdes et malentendantes. Parmi les spectateurs se trouvent trois élèves de CM1 de la classe bilingue (Langue des Signes Française/ français écrit) de l’école Paul Blet de Poitier. Ils ont participé au travail de développement du dessin animé en prêtant leurs corps aux personnages, grâce à la technique de motion capture.
« Cette série est destinée à un public familial, autant sourd qu’entendant », explique Carolina Cascajares, chargée de production. Dans l’histoire, basée sur un texte de l’écrivain Anthonio Rodriguez Yuste, les personnages signent en même temps qu’ils parlent. Une première, selon Carolina Cascajares : « Il n’existe pas de dessin animé de la sorte. Nous ne voulons pas nous contenter des petites vignettes en bas de l’image qui traduisent les paroles. » Les productions audiovisuelles sont généralement inadaptées aux besoins des personnes sourdes et malentendantes : « Les sous-titres ne sont pas une solution car les sourds sont fréquemment analphabètes ou ont des difficultés pour lire en français ». Sans compter le rythme souvent trop rapide du défilée des dialogues écrits…
Dernière séance de travail de la résidence au studio d'animation des Fées Spéciales © CP
De la langue des signes française à l’universalité
Face à la caméra, les enfants sourds ne communiquent pas dans leur langue maternelle, la langue des signes française (LSF), mais en langue des signes universelle, qui n'existe pas encore mais est en cours d'élaboration. « C’est très différent », souligne Cathy Cotreau, professeure de français en langue des signes à l'école Blet de Poitier, « les gestes sont nouveaux pour les élèves. » Elle accompagne Manon et Célia dans cette aventure avec les Fées Spéciales. « Il a fallu se familiariser avec le sens de l’histoire, les élèves ont commencé par l’apprendre par cœur en LSF », précise l’enseignante. Le passage d’une langue à l’autre n’a pas été simple. Aline Marck, également professeure et accompagnatrice du projet, se souvient : « A l’école, lorsque les élèves ont montré à leurs camarades la première scénette où ils mimaient la construction d’un château de sable, personne n’a compris. Pourtant sensibles au langage du corps, ils y ont vu une histoire de cuisine ! » Au studio des Fées, les apprentis comédiens ont dû accentuer leur jeu et leurs expressions.
L' expérience de co-construction d’un dessin animé international a permis aux élèves de l’école de Paul Blet de rencontrer de nombreux professionnels, dont le comédien Anthony Guyon qui leur a prodigué de nombreux conseils de jeu. Manon et Célia tirent un bilan enthousiaste : « Nous n’avons jamais vu de graphistes, c’est inédit ! », « J’ai beaucoup aimé avoir été filmée pendant trois jours ! » Aline Marck, leur enseignante, assure que la découverte du monde de l’animation peut faire naître des vocations : « Les personnes sourdes ont de grandes compétences visuelles. »
Cette résidence de trois jours est une première étape du développement de cette série animée. Les Fées Spéciales doivent encore œuvrer pour trouver le style et la technique d’animation qui permettent la compréhension universelle d’une histoire, par-delà les frontières et les langues.