[DOSSIER] Le vent de la discorde en baie de Saint-Brieuc

Publié le lun 27/12/2021 - 11:00
© Aurélie Crété

Par Aurélie Crété

Le parc éolien offshore de la baie de Saint-Brieuc, avec son projet d'implantation de 62 éoliennes au large du Cap Fréhel, n'en finit pas d'exacerber les tensions. Principale cause d’inquiétude : l'impact environnemental d'une telle installation sur une baie réputée à bien des égards pour sa biodiversité exceptionnelle. Au-delà des considérations partisanes, des chercheurs, ingénieurs et spécialistes travaillent depuis des années, améliorant ainsi les connaissances scientifiques en la matière.

28 octobre 2021 – Plérin : ce soir, c'est le lancement officiel d'un collectif citoyen contre le parc éolien offshore de Saint-Brieuc. Ils sont une bonne centaine réunis dans cette petite salle communale. Leur idée : se fédérer et mettre et place des actions pour se faire entendre. L'objectif : faire stopper la construction du parc qui va « défigurer la baie et mettre en péril sa biodiversité marine et avifaune ». Le mot de ZAD a même été prononcé ! Au côté des militants de la première heure, Gardez les Caps et le comité départemental des pêches des Côtes-d'Armor, l'association de défense des océans Sea Shepherd réaffirme son soutien. Mais on trouve aussi de nouveaux venus. Thibaut Demeneix est arrivé à Saint-Brieuc en mai dernier et a découvert l'existence du projet. Il décidé alors de rejoindre le mouvement. Au premier chef de ses motivations, l'impact écologique sur les coraux d'eau froide entre autres, ou le puffin des baléares, classé en danger critique d'extinction. Pour le jeune homme déjà engagé au sein d'associations écologistes, un tel projet à deux pas de zones Natura 2000, « ce n'est pas possible ! ».  Selon lui, « ces éoliennes, c'est pour faire de l'argent et absolument pas un projet écologique ».

Données controversées

Incompréhension, rejet du promoteur et défiances envers les organismes de contrôle... Ces craintes résument à elles seules tout l'enjeu du projet. Et de ceux qui suivront : les énergies marines renouvelables (EMR) sont-elles vraiment écologiques si d'aventure elles détériorent la faune et la flore des espaces qu'elles intègrent ?
Il faut savoir que pour chaque projet EMR, une étude d'impact environnementale est réalisée. Financée par le porteur du projet certes, mais c'est la loi. « Ce n'est pas au contribuable de payer pour les projets des promoteurs privés », nous confie une source anonyme, rattachée à un cabinet d'étude environnental. Quid alors de l'impartialité des cabinets et bureaux d'étude ? Et de fait, de la fiabilité des données et des résultats produits ? « Les bureaux d'étude ont une éthique et une déontologie, précise cette même source. Les données sont aussi soumises à la validation de l'Autorité Environnementale (1). Si les conclusions ne sont pas crédibles, jugées trop arrangeantes ou pas assez poussées, l'étude est retournée avec des demandes de précisions. « L'État français est très regardant ».(2)

Sortie en mer et démonstration de force

Mardi 12 octobre, une visite de presse est organisée par Ailes Marines. Le promoteur du parc éolien de Saint-Brieuc effectue à cette saison des dizaines de mesures de suivi : bruit, turbidité, état de la réserve halieutique, décompte de la population d'oiseaux et de mammifères marins. Et l'entreprise ne lésine pas : 2 millions d'euros par an pour ces études en phase de construction du parc. Des mesures validées par le comité de gestion et de suivi, présidé par le préfet du département. « On a présenté au public les protocoles d’étude d’impact jusqu'à leur mise en œuvre, on est maintenant dans la présentation des résultats. » Marie Thabard, responsable de l'équipe environnement pour Ailes Marine, ajoute qu'un comité scientifique est également à l’œuvre : « S'il y a des besoins d'adaptation de ces protocoles, une discussion peut être engagée. ». Cette docteure en biologie marine de formation prend l'exemple de la turbidité : « la préfecture a souhaité être accompagnée sur ce sujet par le service hydrographique de la Marine, le Shom, qui mène une contre-expertise sur les résultats obtenus. »

Les premières années d'exploitation feront aussi l'objet « d'un suivi resserré ». Quand aux adaptations éventuellement nécessaires ? « Ce sera à discuter en temps et en heure. » Marine Thabard conclut : « L'incidence la plus notable sur cette phase du projet, c'est le bruit. Et concrètement, ce que l'on montre aujourd'hui, c'est que l'on est sur des mesures conformes à celles modélisées pendant l'étude d'impact. Il y a des bruit de travaux certes, mais on est dans l'enveloppe de ce que l'on a estimé.» Entre 179 et 190 db à la source mesurés ces derniers mois, avec une perte de propagation rapide, de l'ordre de 40 db à partir de 100 m. Un navire de pêche de 12 m navigant à 7 nœuds émettrait environ 150 db. À ce sujet, en janvier dernier, le comité scientifique a tout de même émis des réserves sur les conclusions d'Ailes Marines et des demandes de précisions.

Coquillage et chauve-souris

Cela fait 8 mois que les forages en baie de Saint-Brieuc ont démarré. L'Aeolus, le navire plateforme affecté à cette tâche, a levé l'ancre le 31 octobre, pour laisser le champ libre aux pêcheurs de coquilles Saint-Jacques. La saison 2021 s'annonce exceptionnelle. La ressource ne s'est jamais aussi bien portée d'après Spyros Fifas, le référent de l'espèce pour l'Ifremer. Dans son dernier rapport d'octobre 2021, la biomasse exploitable (animaux atteignant la taille réglementaire de 102 mm) est proche de 44000 t, soit 19 % de plus par rapport à l’année 2020. C'est pourtant une inquiétude majeure des professionnels de la mer : le parc pourrait-il faire péricliter le gisement ? « Un scénario catastrophe n'est pas attendu », affirme le chercheur, qui souligne tout de même qu’il ne dispose pas de données récentes sur le gisement secondaire concerné par l'implantation du parc.(3)« Mais on peut considérer que cette zone aura aussi bénéficié de cette dynamique positive ». Pour Spyros Fifas, les raisons majeures à cette augmentation de la ressource sont multifactorielles : les politiques de réglementation très strictes de la pêche, la pandémie qui a diminué la demande et donc la pêche, et …  « la première cause, c'est que la coquille Saint-Jacques bénéficie du réchauffement climatique sous nos latitudes de la Manche ! »

Il convient cependant de distinguer les impacts en phase de travaux ou en phase d'exploitation : c'est en tout cas l'avis d'un confrère de Spyros Fifas, chercheur au sein du laboratoire Lemar. François Le Loch parle « d'un impact non négligeable » lors de l’installation d'une ferme d'éoliennes, du fait des remous des sédiments et de la remise en suspension de particules. Cependant, il évoque aussi un fait déjà établi dans les parcs du nord de l'Europe : le fouling. « Des espèces qui vont venir se fixer sur les pieds des éoliennes comme des moules ou des huîtres et qui vont constituer une biomasse importante ». Pouvant même devenir des réserves pour les poissons, surtout si la pêche est interdite dans ces zones. Ce qui ne sera pas le cas à Saint-Brieuc. Sans se positionner en faveur des parcs éoliens, François Le Loch se dit beaucoup plus inquiet de l'impact du changement climatique ou des micro-plastiques sur la biodiversité et la biomasse.

« Servis de caution »

Son de cloche un peu plus « prudent » pour France Nature Environnement. Pour commencer, l'association regrette de ne pas avoir été associée aux réflexions dès le démarrage du projet. « Saint-Brieuc, c'est un cas d’école », explique Denez L'Hostis, président d'honneur de l’association, qui ne souhaite cependant pas généraliser cette mauvaise expérience. Le comité scientifique du parc est d’ailleurs à l'arrêt suite à la démission de son président Yann Février(4). En cause : des dysfonctionnements qui auraient entraîné une démotivation des membres. « On a l'impression d'avoir servi de caution mais de ne pas avoir été réellement écoutés » complète Thomas Dubos, chargé de mission au Groupe mammalogique breton, lui même membre du comité scientifique. Selon le GMB, c’est pour les chiroptères (chauve-souris) que les inquiétudes sont les plus fortes : « dès lors que des chauve-souris viennent chasser à proximité d'éoliennes, il y a un risque de mortalité plus ou moins élevé en fonction des circonstances, mais qui peut même compromettre l’existence de certaines espèces. La noctule commune notamment. »

Présent dès les débuts des réflexions autour du parc, le GMB dénonce une attitude d'écoute polie de la part d'Ailes Marines sans toutefois que ses propositions aient été prises en compte. « Le bridage préventif des éoliennes, c'est-à-dire la possibilité qu’elles s'arrêtent durant la période du passage migratoire, n'a pas pas été accepté. On s'assoit sur le principe de précaution », se désole Thomas Dubos.

Saint-Brieuc devait être le premier parc éolien offshore de France. Sa mise en service est programmée pour 2023 (5), mais déjà celui de Saint-Nazaire semble le devancer. De gros aléas de chantier sont survenus ces derniers mois : des têtes de forage cassées et deux pollutions à l'huile hydraulique. Pour sa première phase, 12 forages seulement sur les 186 (3 par éolienne) ont été réalisés. Ces incidents pourraient venir confirmer ce que certains prédisent : la durée des travaux va largement dépasser les 2 ans annoncés. Ajoutez à cela les actions judiciaires en cours, et vous avez là un projet qui, bien que toujours soutenu par la Région et l'État, a selon certains « du plomb dans l'aile ».

 

Notes :

 (1) https://www.ecologie.gouv.fr/lautorite-environnementale.

(2) À noter que la législation a dernièrement changé : désormais, c'est l'État qui assurera les études établissant l'état initial de référence. Les porteurs de projets retenus lors des appels d'offre devront alors racheter ces données pour établir leurs études d'impact.

(3) Mesures datant de 2012, 2013 et 2014, soit près de 8 ans !

(4) Chargé de mission au GEOCA – groupe d'études ornithologiques de Côte-d'Armor

(5) Reprise du chantier en mars 2022. Il a été interrompu, depuis le 31 octobre, le temps de la campagne de pêche de la coquille Saint-Jacques, et parce que les conditions hivernales ne permettent pas de poursuivre le chantier dans de bonnes conditions.
 

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