[SUPERMARCHÉ COOPÉRATIF] : À Saint-Étienne, la Fourmilière la joue collectif

Publié le sam 21/03/2020 - 07:57

Crédit photo : Niko Rodamel

Par Niko Rodamel

Popularisés dans la foulée de la crise économique de 2008, les supermarchés coopératifs fleurissent en France, dans la lignée des pionniers nord-américains et de la Louve à Paris. Dans ces commerces, les clients gèrent leur magasin pour choisir leurs approvisionnements et trancher eux-mêmes la question des marges commerciales. Un choix engageant, comme ici à la Fourmilière de Saint-Étienne.

À Saint-Étienne, moins d’un an après l'ouverture du premier supermarché coopératif ligérien, la Fourmilière transforme l’essai en passant la barre des 600 collaborateurs. Le bilan humain est d'ores et déjà des plus positifs : un tissu de bonnes volontés s'est créé entre le collectif de « clients-propriétaires » et les producteurs locaux.

De sa gestation à ses tout premiers pas, la Fourmilière a bénéficié d'un incroyable alignement d'étoiles. Tout est parti d'une expérimentation menée en mars et avril 2017, à l'occasion de la 10ème biennale du design qui avait pour thème « les mutations du travail ». Un espace éphémère de consommation collaborative associe habitants et producteurs locaux, reposant sur un mode d’approvisionnement qui met en œuvre des véhicules doux. Deux mois plus tard, la projection du film Food Coop au cinéma Le Méliès enfonce le clou. Chez une poignée de Stéphanois, l'exemple du supermarché coopératif new-yorkais fait naître l'envie concrète de se retrousser les manches. En septembre 2018, forte de 75 souscripteurs, l'association originelle devient alors société coopérative à but non lucratif et se met aussitôt en quête d’un local. Le 1er avril 2019, après trois mois de travaux, la Fourmilière ouvre son magasin et totalise déjà 250 Fourmis. 200 000 euros ont été réunis, dont un emprunt, une aide de la fondation Macif et le précieux soutien de la branche stéphanoise des Cigales (Clubs d'investisseurs pour une gestion alternative et locale de l'épargne solidaire). Philippe, coopérateur de la première heure, fait la visite : « Le local comprend 500 m2 d’espace de vente, deux chambres froides, un espace de stockage, un quai de déchargement et quelques bureaux. Le recrutement des nouveaux adhérents se fait pour beaucoup grâce au bouche à oreille et nous proposons plusieurs fois par mois une réunion d’information d’une heure trente. Le principe est des plus simples. Chaque nouvelle recrue achète des parts de capital à hauteur de 80 euros et s’engage à donner 3 heures de service toutes les 4 semaines, condition indispensable pour devenir client du magasin. » Chaque coopérateur est donc à la fois co-propriétaire du magasin, co-décisionnaire et chaland, faisant de lui un acteur à part entière de sa consommation. Cet hiver, la barre des 600 associés actifs vient d’être franchie. Essai transformé !

Fourmis et Super Fourmis

À terme, sont prévus quatre équivalents temps plein pour un plafond de 1000 collaborateurs. Mais pour l’heure, épaulée par une alternante et une stagiaire, Chloé est l'unique salariée de la structure. Même si l'on se défend ici de toute hiérarchie, la jeune femme est assurément la référente légale et la coordonnatrice en chef de la coopérative. Après un double cursus Sciences Po et école de commerce, la jeune femme a tout d'abord évolué à des postes mettant en question le développement durable au sein de grands groupes en région parisienne. Son expérience au sein de La Louve, premier supermarché coopératif et participatif parisien, a alimenté chez elle un vif intérêt pour les sujets d’alimentation et de consommation responsable. « J'ai pris le train de la Fourmilière en marche en arrivant à Saint-Etienne, où j'ai suivi mon compagnon. Après un bilan de compétence, je me suis très vite investie dans le projet et mon objectif reste aujourd'hui très clair : contribuer au développement de modes de consommation plus responsables ayant un impact social positif. Je m'attache à structurer notre gamme de produits et notre stratégie d'approvisionnement. Nous travaillons bien sûr avec des producteurs locaux, auprès desquels nous ne négocions pas les prix. C'est justement un principe essentiel dans notre démarche : soutenir l'agriculture paysanne en payant le prix juste. » Faire ses courses à la Fourmilière revient certes un peu plus cher que dans la grande distribution, mais c'est le prix du consommer sain et local. Dans l'ensemble, les coopérateurs jugent les prix des produits bios inférieurs à ceux pratiqués par les autres magasins spécialisés de la ville.

Fruits et légumes, laitages, viandes et charcuterie, œufs, bières, sirops, une grande part des produits d’alimentation proposés par la Fourmilière, bio et non bio, sont produits à moins de 50 km du magasin avec une évidente traçabilité. Dans la partie centrale du magasin, le long rayon vrac, où l'on remplit ses propres contenants, connaît un vrai succès. Régulièrement, des producteurs viennent à la rencontre des Fourmis pour présenter leurs produits car pour la plupart d'entre eux, la Fourmilière représente un nouveau débouché, complémentaire de la vente à la ferme ou sur les marchés. Un partenariat a également été mis en place avec De la Ferme au Quartier, un groupement d'achat qui distribue les produits d'une cinquantaine de fermes du bassin stéphanois. Une organisation qui donne du travail aux Fourmis volontaires, selon leurs possibilités et leurs envies. En charge des achats de viande, Xavier explique : « Les Fourmis désireuses de s'impliquer davantage dans la coopérative peuvent prendre part aux différents groupes de travail, devenir des Super Fourmis qui superviseront des domaines comme les finances, l’approvisionnement, la communication, etc. » Au sein du groupe communication, Thibault œuvre pour améliorer la présence de la Fourmilière sur les réseaux sociaux. « Nous avons recruté beaucoup de monde lors du salon Tatou Juste, nous devons donc désormais lister les autres événements régionaux auxquels la coopérative pourrait participer. » Technicienne dans un bureau d'études dans le secteur du bâtiment, Clémentine s'apprête quant à elle à redevenir simple Fourmi. « J'ai pu apporter mes compétences personnelles dans la mise en place des locaux. Je me suis beaucoup investie. Maintenant que les choses sont en place, je vais pouvoir souffler un peu. »

Des consomm'acteurs heureux

Christian et Chantal, mari et femme, sont entrés ensemble dans le projet, tout comme Annie et Julia, mère et fille. À la Fourmilière, plusieurs générations se côtoient. Le tutoiement est de rigueur, entre deux rayons on prend le temps de discuter, de faire connaissance. Citoyens lambdas, bobos et baba cools font bon ménage, tendant de pair vers une balbutiante décroissance. On fait ses courses avec son sac à dos, un carton récupéré à l'entrée ou à l'aide de caddies recyclés. À l'une des deux caisses du magasin, Agathe partage son ressenti. « Tout est bien calé, programmé, mais comme le planning permet une certaine souplesse, les trois heures de service ne sont pas une corvée. Le magasin est ouvert près de 20 heures par semaine, du lundi au samedi. C'est sympa d'être à la caisse, mais pas forcément évident car nous avons plus de 2000 références dans les rayons. » Pointant à l'accueil du magasin avec son badge, Maurice, un sympathique retraité qui a passé une partie de sa vie active à photographier des produits pour le groupe Casino, explique : « J'habite dans le quartier et je fais ici près de 90% de mes courses. Je trouve le vin encore un peu cher. Le coût de la vie est très raisonnable à Saint-Étienne, il est donc possible de faire un effort pour se nourrir sainement tout en préservant environnement. »

Agnès, enseignante spécialisée, a rejoint le projet au moment de l'ouverture du local. « Je vis dans un autre quartier de Saint-Étienne, fortement marqué par l'esprit associatif. Jusqu'ici je me fournissais au marché, dans une Amap du centre-ville et dans un magasin de producteurs en dehors de Saint-Étienne. Le caractère coopératif de la Fourmilière m'a attiré, comme le fait de donner du temps pour faire tourner un magasin qui échappe au business-profit habituel. Je trouve ici du bio, mais aussi différentes gammes de produits qui toutes ont été sélectionnées de façon réfléchie. » Les Fourmis rencontrées expriment toutes la même idée-force : en s'impliquant concrètement dans le fonctionnement du lieu, par le temps donné et le pouvoir décisionnaire, chacun se sent partie prenante du projet, avec au final le sentiment de pouvoir faire changer les choses. Indéniablement, il y a derrière l'adhésion à la Fourmilière un acte militant, social et politique. Le supermarché est aussi un lien d'échange où se joue une aventure humaine collective.

Plus d'infos : 

La Fourmilière, supermarché coopératif, 19 rue Nicolas Chaize, 42100 Saint-Etienne

https://coop-lafourmiliere.fr/    http://www.cigales.asso.fr/    https://www.tatoujuste.org/

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