[SUPERMARCHÉ] Breizhicoop, l’épicerie coopérative à Rennes

Publié le jeu 19/03/2020 - 17:00

Crédit photo : Virginie Jourdan. 

Par Virginie Jourdan

Dans la lignée des pionniers nord-américains et de la Louve à Paris, des Rennais ont ouvert le premier supermarché participatif breton. Depuis mars 2019, les sociétaires de l'épicerie, située dans un quartier populaire de la capitale rennaise, gèrent leur propre commerce pour donner du sens à leurs achats.

 

Installée derrière une caisse-enregistreuse, Christine demande conseil à un de ses collègues bénévoles. « Hamid !, lance la femme depuis son poste, je viens d'entrer les nouveaux prix des fruits et légumes dans le logiciel, il faut que je redémarre la caisse ? » Au fond de l'épicerie, devant les réfrigérateurs destinés aux poissons fumés et à la viande, Chanterelle s’attelle à relever les températures de chaque colonne froide et les reporte sur un tableau de papier qu'elle classera ensuite dans les archives du magasin. Comme Jean-Pierre, Morgan et Hélène après elles, Christine et Chanterelle sont venues donner trois heures de leur temps à la boutique Breizhicoop, le premier supermarché participatif breton.

Pour répondre à toutes les questions, Hamid a pris le rôle de bénévole référent pour la journée. Ce jeune retraité de 63 ans vient dans ce quartier du sud de Rennes entre une à trois fois par semaine depuis Pleumeleuc (35), une commune rurale située à une vingtaine de kilomètres de Rennes. Comme Alexis, également présent ce jour dans le magasin, il fait partie des membres fondateurs de cette épicerie pas comme les autres. Ce qui lui a plu ? «  Développer une consommation saine. Et c'est aussi une forme d'auto-gestion », sourit-il. Ouverte en mars 2019, dans un petit centre commercial historique d'un quartier populaire du sud de Rennes, la boutique est la propriété de ses clients. Au total, près de 3 ans auront été nécessaires pour qu'elle voie le jour. En France, une trentaine de supermarchés coopératifs du même genre a ouvert depuis 2016. « C'est encore mieux que ce que je pensais, confie Hamid, car les habitants du quartier commencent à venir et il n'y a pas que des jeunes. »

Une boutique, 450 propriétaires

Pour lancer ce commerce, 250 premières personnes ont acheté des parts sociales dans la société coopérative. En plus d'une subvention publique, un prêt a été contracté auprès d'une banque. Ces huit derniers mois, la dynamique a été confirmée autour du projet. Fin janvier, près de 200 personnes de plus sont devenues sociétaires. « 20% des coopérateurs vivent dans le quartier le Blosne, peut-être un peu plus. Le reste des sociétaires vit à Rennes ou aux alentours », précise Alexis Gruyer. Pour ouvrir le projet à un maximum de personnes, deux tarifs différents ont été créés. Car pour venir faire ses courses dans l'épicerie, les familles doivent d'abord acquérir une part sociale dans la coopérative dont le tarif classique est fixé à 90 euros et à 30 euros pour les personnes qui répondent à certains critères sociaux comme la recherche d'un emploi. Ensuite, chacun peut participer à sa gestion et donner son avis sur les produits qui y sont vendus, ou sur le contenu des rayons.

À Rennes, comme dans les autres supermarchés participatifs, les coopérateurs ne se contentent pas de faire leurs courses et de participer aux assemblées générales annuelles. Chaque mois, ils donnent au minimum trois heures de leur temps pour participer bénévolement aux tâches communes. Tenir la caisse, faire le ménage entre les rayons, remplir et surveiller les silos de vrac, faire la trésorerie du magasin ou décharger la marchandise qui est livrée sur place. Une aventure humaine qui leur permet aussi de reprendre la main sur leurs achats et sur leurs coûts.

Aujourd'hui, Hélène, une habitante du quartier, vient d'ailleurs faire son premier créneau bénévole. En décembre, elle avait déjà passé la porte de l'épicerie pour y acheter des œufs. « Mais je n'étais pas adhérente et j'ai fait demi-tour. Je suis allée dans le supermarché du quartier. J'ai fait la queue à la caisse pour des œufs qui n'étaient même pas bons alors qu'ici ils étaient frais et bio ! Je me suis trouvée ridicule et j'ai adhéré quelques jours plus tard », raconte-t-elle avec le sourire avant d'enfiler son tablier. De mars à fin juillet, l'épicerie a fonctionné de manière tout à fait bénévole avant que Noor, une salariée, rejoigne l'équipe pour 35 heures par semaine. « Cela est beaucoup plus simple pour le suivi des approvisionnements et les réceptions de livraisons », explique Alexis.

Pour les autres missions, telles que les achats, le financement, l'empreinte écologique, la maintenance des locaux, la communication ou le fonctionnement interne, les sociétaires peuvent s'engager dans une commission qui se réunit tous les 15 jours.

Fixer les marges pour favoriser la consommation responsable

« Un de nos prochains sujets de réunion sera d'abaisser les marges sur les cosmétiques solides. Nous voulons aussi améliorer notre appro en fruits et légumes frais », relève Alexis. Sur les étals, des choix ont déjà été opérés. Si les navets et autres oranges sont 100% bio, l'épicerie propose généralement deux références pour un même produit : bio et non bio. Vrac, légumes, surgelés, produits d'hygiène et d'entretien, produits pour les petits, « tout a été pensé pour que les clients puissent repartir avec l'ensemble de leurs courses », justifie Alexis. En restant maîtres de leurs approvisionnements, les membres du petit supermarché veulent défendre des valeurs. Notamment : « la juste rémunération des producteurs, la qualité des produits et la production locale. »

Désireux de s'installer dans une dynamique de territoire, Breizhicoop commercialise aussi des viandes et du cidre issus d'une démarche locale : Terre de source. Créée en 2017, cette marque regroupe aujourd'hui plus de 15 fermes situées sur une vingtaine de communes alentours. Leur particularité ? Toutes sont situées sur des zones de captage pour l'approvisionnement en eau potable de la ville de Rennes. Et toutes ont accepté de changer leurs pratiques pour diminuer les pollutions d'origine agricole. En contrepartie, les fermes ont accès à des commercialisations originales avec des marchés publics réservés à des restaurants scolaires et la fameuse marque vendue dans le magasin.

Dernier défi pour Breizhicoop : trouver un lieu pérenne pour poursuivre l'aventure. « D'ici trois ans, nos locaux auront disparu car le quartier va être réhabilité. Nous nous sommes positionnés sur une cellule commerciale qui devrait ouvrir à quelques centaines de mètres de là, mais nous n'avons pas de garanties car des commerces classiques essaient aussi de se positionner », explique Alexis. En attendant, la petite boutique poursuit son chemin. Fin mars, elle soufflera sa première bougie.

 

**À Brest et à Vannes, le coopératif prend aussi

Et de trois ! Après Rennes, la coopérative Ti Coop devrait ouvrir fin février à Brest. À ce jour, au moins 150 sociétaires ont rejoint le projet. À Vannes, l'association des Amis des Vénètes projette quant à elle d'inaugurer une épicerie participative à la fin de l'été 2020. La démarche n'est pas nouvelle. Dans les années 1980, une autre coopérative alimentaire, Scarabée, a vu le jour à Rennes. Après avoir rejoint d'autres groupes à Nantes et dans le sud de la France, les fondateurs ont créé la coopérative Biocoop. Contrairement à cette dernière, les nouveaux projets n'ouvrent leurs portes qu'à leurs sociétaires. « Les coopératives qui tiennent le mieux sont celles qui ont grossi, pas forcément celles qui ont essaimé. N'ayons pas peur de grandir », sourit Noor, la salariée de Breizhicoop. À New York, l'un des premiers supermarchés du genre à avoir vu le jour en 1973 compte maintenant 17 000  membres.

Plus d’infos :

À voir : Food coop, Tom Boothe, 2016. Un documentaire sur la coopértive de Slope park à New York.

À Rennes, www.breizhicoop.fr

À Brest, ticoop.fr

À Vannes, les Amis de la coopérative des Vénètes, www.coopdesvenetes.bzh

À Nantes, www.scopeli.fr

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