[COTES D’ARMOR] Les biodéchets se compostent en grand

Publié le ven 01/10/2021 - 12:00
© David Désille

Par David Désille

L’association Emeraude ID a créé un composteur grand format pour digérer les biodéchets de structures collectives. Après avoir été testé dans le restaurant de l’association, l’éco-station a été adoptée, entre autres, par la cuisine centrale de St-Brieuc et le camping de Jugon-les-Lacs.

550 couverts le midi. À des kilomètres à la ronde, impossible de dénicher un restaurant disposant d’une telle capacité d’accueil. Comment expliquer cet appétit des clients pour le self d’Emeraude ID à Lannion (Côtes-d’Armor) ? Tout d’abord son emplacement, au cœur d’une technopole de 4 000 emplois ancrée là depuis soixante ans. Mais aussi un concept singulier : une grande diversité de plats (poisson quotidien, grillades, pizza, salades dont la moitié en circuit court…) préparés sur place, y compris un îlot bio, et un rapport qualité-prix défiant toute concurrence à une dizaine d’euros pour un repas complet.

Emeraude ID est aussi un modèle d’économie sociale et solidaire. Sur les 250 personnes salariées de l’association, créée en 1983, 80 % sont en situation de handicap. Elles interviennent au sein du restaurant mais aussi d’un établissement de services médico-sociaux et d’une entreprise adaptée proposant des prestations de nettoyage, d’entretien des espaces verts ou de bricolage.

Du composteur à l’Emeraude station

Mais le produit phare d’Emeraude ID depuis 2003, la spécialité-maison, c’est le composteur en bois pour particulier. « Dans notre menuiserie semi-industrielle, nous fabriquons 60 000 exemplaires par an, détaille Solène Ollivier-Jobic, chargée du développement commercial. Nous sommes distribués dans toutes les grandes enseignes de jardinage et de bricolage et nous avons parmi nos clients 500 collectivités dont Toulouse, Bordeaux ou Caen. »

Ces champions du compostage ont changé d’échelle en 2018. « On s’est aperçu que pour les gros producteurs de biodéchets, il était compliqué de retourner à la fourche de telles quantités », poursuit-elle. Dès 2012, le service création a phosphoré avec l’Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture) de Rennes pour enfanter un composteur grand format. Le faire-part de naissance a été posté au salon Pollutec de Lyon (Salon de l’environnement et de l’énergie) en 2018.

Le bébé mesure trois mètres de long, 1,75 mètre de haut et pèse 850 kg. Sa particularité : il a une faim de loup ! Chaque jour, il peut ingurgiter jusqu’à 35 kilos de biodéchets qu’il digérera en un compost répondant aux normes.

Technologie brevetée

Avant de la commercialiser, Emeraude ID a testé son éco-station en interne. Jean-Michel Deshayes en est le tuteur. « On m’a désigné référent volontaire », plaisante ce livreur, reconnu travailleur handicapé et salarié d’Émeraude depuis huit ans.

À partir de 14h, à la fin du service, il se livre à un drôle de ballet durant une demi-heure. Il arrive à la plonge du restaurant où la clientèle a trié ses déchets. Il retire le seau des restes de repas, embarque aussi celui des serviettes et emballages papier. Puis il fait un petit tour en cuisine pour collecter les épluchures, le marc de café, « qui absorbe les mauvaises odeurs », et les restes de repas invendus. Il charge alors le résultat de sa collecte sur un chariot, direction le parking où trône l’Émeraude station, véritable « estomac » de métal inoxydable. Commence alors le rituel : il actionne deux petits robinets et imbibe deux languettes pour mesurer le PH, c’est-à-dire le degré d’acidité du mélange. Un apport de matière sèche sous forme de granulés de bois équilibrera l’apport et « aérera la biomasse ». Puis il glisse un thermomètre dans les entrailles du composteur. « Il est recommandé de maintenir une température de 70 degrés pour éliminer les agents pathogènes », signale-t-il. Une fois ces contrôles effectués, Jean-Michel Deshayes vide ses seaux dans la machine, un gros tube cylindrique où macère la matière. Tout y passe, y compris les restes carnés, comme les os de poulet. « L’idéal est qu’il soit rempli à la moitié », commente-t-il. Il n’y a plus qu’à donner quelques tours de manivelle pour brasser l’ensemble. L’appareil, dont la technologie est brevetée, est entièrement mécanique. À l’autre bout, il expulse un précompost dans un bac. « Le volume des déchets réduit de 60 % au bout de quinze jours et de 80 % en fin de maturation, précise-t-il. Pour 100 kg introduits, on produit environ 20 kg de compost. » Et pas de souci pour l’épandre, l’équipe des espaces verts en fera bon usage !

Valoriser 25 kg de biodéchets par jour

À ce jour, Emeraude ID a vendu huit stations, essentiellement à des organismes de restauration collective. « Elles pourraient tout à fait convenir à des chaînes de restaurants », ajoute Solène Ollivier-Jobic. Des structures qui seront contraintes au tri et au recyclage des déchets organiques à partir de 2023 (lire encadré).

La municipalité de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) a acquis une station en avril 2021 au prix de 15 000 €. Sa cuisine centrale prépare 2800 repas par jour en période scolaire et 700 pendant les vacances. « Il y a quelques années, nous avons analysé la façon dont on traitait nos déchets : nous étions bons dans le recyclage du bois, du verre, du carton, mais pas dans les restes alimentaires comme les pelures ou les plats cuisinés non consommés, se souvient Jean-Luc Pennec, responsable de cette cuisine centrale. Nous jetions environ 25 kg non valorisés chaque jour. » L’Émeraude station a fourni une solution à ce problème avec un retour d’expérience est convaincant. « Nous sommes engagés dans la lutte contre le gaspillage, nous tendons vers le 100 % bio à la cantine et nous sommes en avance sur les exigences de la loi EGAlim », se félicite Nadia Laporte, élue déléguée à la restauration scolaire de cette nouvelle municipalité de gauche.

Camping zéro déchet

À quelques kilomètres de là, un client d’un tout autre genre a sauté le pas : le camping de Jugon-les-Lacs. Ce complexe quatre étoiles au bord d’un lac ne badine pas avec le recyclage. À l’arrivée, campeurs et campeuses reçoivent deux sacs, un blanc et un jaune, transparents et floqués au numéro de l’emplacement. Ainsi, « s’il y a un problème de tri ou un dépôt sauvage, on retrouve les responsables », prévient Éliane Rivière, la gérante des lieux. Les containers sont surveillés par des caméras et un haut-parleur rappelle à l’ordre le vacancier ou la vacancière qui se tromperait dans son tri. « On ne prend personne en traître !, justifie-t-elle. Notre politique zéro déchet s’affiche en grand sur notre site Internet. »

Le camping de 190 emplacements par jour en haute saison a même embauché un salarié chargé de contrôler les pratiques de la clientèle et de faire de la pédagogie. Alors que le camping essaye de ne plus générer aucun déchet depuis cinq ans, les résultats sont spectaculaires. « Nous produisons aujourd’hui à peine 2 % de déchets, souvent des couches bébé car nous sommes un camping familial. Avant, nous avions trois enlèvements par semaine. Aujourd’hui, le camion benne passe une seule fois », se félicite la gérante. Même les mégots de cigarettes sont recyclés par une PME pour fabriquer du mobilier urbain !

Ici, l’Émeraude station tourne à plein régime. « Au mois d’août, on peut générer 75 kg de biodéchets quotidiennement. Il nous faudrait deux ou trois stations ! Du coup, on échelonne les apports, précise Éliane Rivière qui peut se targuer d’être la seule gestionnaire de camping à contraindre, sans heurts, 600 personnes à ne produire aucun déchet. Ce qui prouve bien que quand on donne aux gens les moyens d’y arriver, on obtient des résultats. »

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !