Innover en viticulture bio : entre tradition et modernité

Publié le lun 16/01/2017 - 18:26

 

Par Sébastien Vives et Julie Chansel

La modernité passe-t-elle forcément par les nouvelles technologies ? Peut-on innover dans la production de vin sans utiliser la chimie et de gros outils ? La coopération n’est-elle pas une des solutions pérennes pour changer ses pratiques ? Le monde du vin poursuit son évolution vers plus de « nature », entre retour aux traditions et nouvelles technologies. Enquête dans les vignobles occitans.


L’innovation par la réflexion et la coopération

Par Sébastien Vives

Pour faire face aux tensions financières, le secteur viticole a entamé sa mue depuis quelques années. Pour certains vignerons, la modernité se caractérise par l’échange de pratiques, la réflexion constante et la conversion vers l’agriculture biodynamique. C’est le cas de Diane et Philippe Cauvin, propriétaires du domaine de La Colombière, près de Fronton. Immersion…

Diane et Philippe Cauvin, producteurs de vin de Fronton à Villaudric, près de Toulouse, tentent de faire naître des raisins avec l'expression « la plus marquée possible du terroir », tout en préservant le vivant. Leurs vins sont identitaires, diversifiés et conçus selon le principe de l’agriculture biodynamique. C’est cette approche globale, presque holistique, qui a séduit ces Occitans qui exploitent 14 hectares de vignobles. « Chaque vigneron est au centre de sa production », précise Philippe.

Afin de parfaire leur savoir-faire, Diane et Philippe Cauvin échangent régulièrement avec des confrères, membres du syndicat international de vignerons en culture biodynamique Biodyvin. « Nous gagnons du temps, note Diane, nous nous distillons des conseils précis sur l’utilisation d’outils efficaces lors de rencontres organisées par le syndicat, en se rendant les uns chez les autres ou bien encore par le biais de petits films que nous nous envoyons par Internet. » Un exemple ? Un vigneron, qui emploie un disque pour la gestion de l’enherbement au pied des souches de vigne – le travail consiste à introduire de la biodiversité afin d'éviter l’utilisation de produits phytosanitaires –, a partagé un petit film par Internet. Convaincus par la démonstration, Diane et Philippe ont acheté le disque en question. En discutant avec d’autres vignerons, ils ont aussi décidé d'investir dans un nouveau pulvérisateur, plus efficace dans le traitement naturel des maladies des vignes. Des conseils qui leur sont utiles.

Concernant leur pratique de la biodynamie, ils ont suivi des stages animés par Bruno Weiller, ingénieur agronome et propriétaire du domaine Les Promesses de la Terre, à Lagrasse, dans l’Aude. Ces formations, dispensées sur la ferme biodynamique ProméTerre, alternent théorie et pratique. Le formateur leur a enseigné les différentes plantes, la gestion de l’eau, l’observation et le ressenti du terroir et du vignoble.

Un échange efficient de pratiques

Les 110 adhérents de l'association Biodyvin se réunissent plusieurs fois par an. Le couple haut-garonnais y croise Christine et Éric Saurel, propriétaires du domaine de Montirius, qui produisent du Côtes-du-Rhône. « Ces jeunes sont très intéressants », avoue Éric Saurel, vice-président de Biodyvin et en charge des contrôles en biodynamie pour Ecocert. « Ils veulent avancer. De manière générale, l’association est une petite famille unie qui partage des moments de libre-échange. Elle permet une certaine ouverture d’esprit car on peut discuter avec des vignerons de France et d’Europe qui ont des problématiques différentes. »

Nos vignerons occitans partagent aussi leurs expériences avec d’autres producteurs du frontonnais, au sein du réseau Dephy. Le ministère de l’Agriculture a lancé, en 2009, ce projet, s’adressant aux agriculteurs souhaitant améliorer leurs pratiques, dans le cadre du plan Ecophyto. Des groupes d’une dizaine d’exploitations partagent leurs expériences en termes de réduction de l’usage de produits phytosanitaires et permettent de collecter des données agronomiques, environnementales et économiques. Cette année, le réseau compte 220 groupes et 2630 exploitations.

Diane Cauvin à la tâche dans ses vignes

Des agriculteurs heureux

Diane et Philippe sont sans arrêt en mouvement. Dynamique et organisée, Diane Cauvin l’est du soir au matin. Avant d’aller chercher ses trois enfants à l’école, la jeune vigneronne s’active sur son domaine. Pour elle, la modernité n’est pas matérielle, mais intellectuelle : « Nous essayons d’optimiser notre travail car chaque passage dans la vigne a une incidence sur le sol, le coût et l’humain. Nous nous questionnons toujours sur la manière d’obtenir un résultat efficace. »

Un défi qui devait se concrétiser forcément dans le respect de l’environnement, au vu de leurs convictions. « Nous traitons nos vignes comme notre jardin, dit joliment Diane. Nous souhaitons vivre sur notre exploitation sans avoir à nous cacher les jours de traitement ni à protéger le vigneron qui est sur son tracteur. Nous voulons aussi bénéficier d’une qualité de vie : travailler au rythme des saisons, de la vigne, tirer un bénéfice sur des bons produits au juste prix. Essayer de vivre heureux en étant agriculteur, c’est possible (rires) ! » Un discours positif qui tranche avec la morosité actuelle…

+ D’INFOS

www.chateaulacolombiere.com

www.biodyvin.com

www.vignevin.com


Un projet tarnais 2.0 est lancé

Un projet vignoble 2.0 a vu le jour au printemps 2016 dans le Tarn, à l’initiative de l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) et en partenariat avec la Chambre d’agriculture du Tarn et la cave coopérative Vinovalie. Il s’inscrit dans le cadre du dispositif Partenariat européen pour l’innovation (PEI), soutenu par la région Occitanie. Un groupe de vingt vignerons (en biologique et conventionnel) a été constitué. « Aujourd’hui, on recense sur le marché beaucoup de nouvelles technologies comme les capteurs, la cartographie, les robots, les drones et l’autoguidage par GPS », note Christophe Gaviglio, ingénieur à l’IFV, en charge des alternatives au désherbage chimique sous le rang. « Des agriculteurs en utilisent déjà pour des grandes cultures afin d’optimiser leur travail en matière de semis ou d'autres travaux. En viticulture, ce n’est pas très développé. Pour autant, les vignerons s’interrogent sur la valorisation de ces nouvelles technologies. La robotique peut être une alternative aux produits phytosanitaires. » Ces producteurs précurseurs testent les nouvelles technologies puis analysent l’éventuelle plus-value, directement sur leurs parcelles.


Le goût de la tradition

Par Julie Chansel

Photo Van © J. Chansel : Le Collectif a pris le parti d'être « anonyme » pour valoriser le travail d'équipe. Leur vin est le fruit de la collaboration.

Au-dessus de Banyuls, trois vignerons originaires d'Australie, d'Allemagne et de Grande-Bretagne se sont associés en Collectif Anonyme pour exploiter de vieilles vignes en coteaux surplombant la Méditerrannée. Leur credo ? Le retour à des méthodes traditionnelles, dans un bel esprit d'équipe.

Vendanges manuelles, transport en hottes, pressoir alimenté par une bicyclette… Kris, Julia et Jackie ont choisi un vignoble correspondant à leur philosophie : ici, le relief empêche toute mécanisation. Producteurs de vin naturel depuis 2012, ils ont acquis une partie des 10,5 hectares qu'ils cultivent. Ils ont « appris en faisant », en vendangeant dans différentes régions et en travaillant pour des vignerons, ici, dans les Pyrénées-Orientales, avant de se lancer. Le collectif explique faire du « bio scientifique » : « Nous travaillons sans œnologue, en suivant nos envies. Nous utilisons un bricolage de permaculture, de biodynamie et de pratiques traditionnelles pour trouver la meilleure façon d'exprimer nos raisins. Mieux vaut ne pas être trop spécifique et expérimenter beaucoup. »

En conversion depuis 5 ans, leurs vignobles n'ont depuis connu aucun pesticide. Le sol schisteux, plutôt riche bien que légèrement acide, est protégé de l'érosion par le « gazon », des herbacées que les trois membres du collectif laissent volontairement pousser entre les ceps. « Nous avons semé du trèfle souterrain pour en faire un couvre-sol, puis travaillé avec les graminées naturelles locales. Elles meurent en été, ne sont pas très hautes et concurrencent efficacement l’espace aux plantes invasives. »

Le collectif propose des vins « de niche et de qualité », une micro-cuvée « 100 % manuelle, artisanale, bio et collaborative ». S'il est « anonyme », c'est parce que ses vins, aux étiquettes et aux noms très originaux, les représentent tous, ils sont le produit d'un travail d'équipe. Pour eux, fabriquer du vin tout en étant « son propre patron », c'est « le meilleur métier du monde ! »

+ D'INFOS

G.I.E. Collectif Anonyme, 10, Rue Henri-Dunant. 66660 Port-Vendres

www.collectif-anonyme.org/fr


Une coopérative en marche

Ces dernières années, les conversions vers l'agriculture bio des producteurs indépendants ne cessent de progresser. Mais les coopératives traditionnelles ne sont pas en reste. La cave coopérative de Montpeyroux (Hérault), rebaptisée Castelbarry Coopérative Artisanale, a engagé le changement depuis le début des années 2000. Aujourd'hui, 60 % du vignoble est exploité en agriculture « raisonnée » et 10 % en bio. L'objectif affiché est d'atteindre 80 % d'ici 2 ans. Alors, la transition est-elle plus difficile à mettre en place du fait du collectif ? Pas vraiment, nous explique Bernard Pallisé, le directeur général de la coopérative qui compte 110 adhérents : « Bien sûr, il y a eu des vignerons réfractaires au changement (30 % du vignoble est encore en conventionnel), mais à partir du moment où on a prouvé que cela ne changeait rien au niveau du rendement », la conversion a pu être mise en place. Et contrairement aux a priori, « les personnes plus âgées étaient finalement davantage partantes que les plus jeunes. » L'explication ? Une prise de conscience de ces vignerons que la recrudescence de maladies (cancers et autres...) était liée à l'utilisation de produits chimiques. L'autre motivation est pécuniaire : une rémunération incitative est proposée à ceux qui s'engagent dans la démarche RSE (Responsabilité sociale et environnementale). 

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