[INTERVIEW] Dominique Paturel « Plein de gens n’ont pas intérêt à ce qu’on réfléchisse au système alimentaire »

Publié le mer 21/07/2021 - 17:07

Propos recueillis par Catherine Stern

Chercheuse à l’Institut national de la recherche agronomique de Montpellier, Dominique Paturel travaille sur la démocratie alimentaire, les questions d’accès à l'alimentation durable, notamment de personnes en situation de précarité.

Vous suivez l’expérience de l’Après-M depuis le début. Connaissez-vous d’autres exemples de réussites de projets de ce type-là ?

Il y a eu plein d’exemples dans l’histoire ! Les coopératives espagnoles, italiennes, françaises, sont nées grâce à des personnes qui se sont réunies pour résoudre des problèmes d’alimentation. Mais, entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et maintenant, est passé le rouleau compresseur du système agro-industriel qui a réduit l’alimentation à des denrées alimentaires, ultra-transformés pour baisser les coûts, captant l’accès aux ressources agricoles et nous a fait perdre la mémoire. Des expériences comme celle-là sont importantes parce qu’elles nous reconnectent à la mémoire de comment reprendre la main sur les activités nécessaires pour se nourrir. Mais cela ne pourra se faire qu’avec une vision politique plus audacieuse, affirmant que le problème majeur est que notre alimentation soit devenue une marchandise comme les autres. Tant que nous continuerons à penser des solutions dans ce paradigme-là, nous ne pourrons que moderniser, améliorer, faire en sorte que les gens dans la grande précarité soient traités plus dignement, mais sans rien résoudre sur le statut de cette alimentation. Il existe une multitude d’initiatives partout mais qui ne font pas système. Pour faire système, il faut une politisation de la question, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Comment repolitiser l’alimentation ?

En posant la question en termes de système alimentaire et pas seulement de production agricole ou de logistique. Mais il y a plein de gens qui n’ont pas intérêt à ce qu’on réfléchisse système alimentaire, comme McDo par exemple. C’est une façon de penser complètement différente : on part de l’alimentation et on regarde ce qui se passe pour produire les aliments qui arrivent dans nos assiettes. On ne pourra rien faire tant qu’on acceptera que les produits alimentaires, les productions agricoles, fassent l’objet de traités commerciaux à l’échelle internationale. Il faudrait un pays ou un continent un peu courageux... Mais on n’y est pas.

Il faudrait un mouvement social comme celui des Gilets jaunes qui poserait la question politique de l’alimentation à l’échelle du pays ?

Oui tout à fait ! Il y a tellement de petites initiatives et d’apprentissages collectifs qui permettraient d’instituer un rapport de force. Je suis choquée que dans ce pays on puisse tranquillement se dire que c’est normal que 8,5 millions de personnes accèdent à l’alimentation par l’aide alimentaire, y compris la jeunesse étudiante. C’est pour sortir de cela qu’avec le collectif Démocratie alimentaire, nous travaillons sur une proposition de sécurité sociale de l’alimentation. Même si cela va demander du temps, du travail sur la transition, je reste convaincue que les gens vont comprendre que ce n’est pas utopique.

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