[SOCIAL] À Marseille, un McDo transformé en fast-food social

Publié le mer 21/07/2021 - 17:03
© Pierre Isnard-Dupuy

Par Pierre Isnard-Dupuy (Collectif Presse-Papiers)

Les ex-salarié·es d'un McDonald's des quartiers nord de Marseille veulent installer un restaurant d'insertion, travaillant des produits locaux, dans leur fast-food fermé fin 2019. Le lieu réquisitionné, rebaptisé L'Après M, est aussi devenu une plateforme d'aide alimentaire depuis le confinement de mars 2020.

« Hymne à la solidarité / A L'après M cet après-midi / Le Marseille qu'on aime est ici ». Gari Grèu, l'un des chanteurs du Massilia Sound System, improvise sur un beat ragga devant l'ancien McDonald's de Saint-Barthélémy, dans les quartiers Nord de Marseille (14ème arrondissement). Ce samedi 15 mai, l'artiste se produit en soutien au futur « fast social food », un restaurant qui formerait des jeunes et des personnes en insertion, que d'ex-salarié·es veulent faire émerger. Avec lui, Imhotep, l'architecte rythmique d'IAM, fait la musique de cet improbable concert au cours duquel de jeunes rappeurs se succèdent également. Le public qui déconfine son enthousiasme est très divers. On y croise autant des familles qui habitent les immeubles des alentours que des figures du militantisme social et écologique du centre-ville. Ailleurs autour de l'édifice, des enfants jouent et font des tours de manège dans une ambiance de kermesse.

Au-dessus de la petite scène dressée pour les discours et la musique, le logo en forme de M jaune trône toujours. Mais la forme et l'ordre des lettres blanches de l'enseigne ont été modifiés pour former L'Après M, le nouveau nom du lieu qui signe les nouvelles valeurs défendues ici. Un pas de côté par rapport au symbole de la marque américaine. La façade a elle aussi changé de tons, repeinte en un « camouflage urbain » aux teintes de bleu, de mauve et de rose.

Garder cette place du village

Le bâtiment bas, à l'architecture caractéristique d'un McDonald's, est entouré des grands ensembles d'habitation des cités environnantes et jouxte un boulevard urbain avec son énorme rond-point. Le lieu n'est plus exploité par un franchisé de la marque américaine depuis décembre 2019. Durant deux ans, les salarié·es et leurs soutiens se sont battus pour garder ouvert cet endroit qu'ils considèrent comme leur « place du village ». En plus d'être l'un des seuls lieux de rencontre, il a été aussi l'un des seuls lieux de formation et d'emploi, au milieu de quartiers qui font souvent la Une de la presse pour des règlements de compte liés au trafic de drogue. 77 personnes travaillaient là au moment de sa fermeture, décidée par liquidation judiciaire.

L'objectif de cette journée du 15 mai est de lancer la « Société citoyenne immobilière » dénommée La part du peuple. En réalité, une association plutôt qu'une classique SCI, qui ambitionne de réunir 1,25 million d'euros pour racheter le site et y investir. A 25 euros l’adhésion, elle souhaite donc atteindre 50 000 adhérent·es. Le restaurant serait, lui, encadré par une Société coopérative d’intérêt collectif (Scic) dont la gestion serait assurée par les salarié·es.

« Avec toute la lutte qui s'est menée ici, il n'y a qu'une solution : que le lieu revienne aux habitant·es. Pour cela, on propose une chose très simple, que les citoyen·nes deviennent propriétaires du lieu avec nous », déclare Fathi Bouaroua, le président de l'association L'Après M, qui préfigure l'avenir du lieu. « Ce qui nous intéresse, c'est la propriété d'usage », dit au public celui qui fut directeur régional de la Fondation Abbé Pierre et coprésident de la communauté Emmaüs Pointe-Rouge. Mais McDonald's, toujours propriétaire, ne souhaite pas vendre aux occupant·es qui comptent sur la ville de Marseille pour faire l'intermédiaire et racheter le commerce à la firme avant de le revendre à La part du peuple.

Réquisitionné pour la solidarité

La renaissance du fast-food a commencé en mars 2020, au moment du premier confinement. D'ex-salarié·es et leurs soutiens ont « réquisitionné » l'endroit pour en faire une plateforme d'entraide gérée par des bénévoles et financée par des dons. Chaque lundi matin, jusqu'à 2000 colis alimentaires sont distribués ici. Plus de 100 000 personnes auraient été aidées depuis le début de la crise sanitaire. Le reste de la semaine, les denrées sont collectées pour composer les colis alimentaires. Elles viennent de dons de particuliers, d'entreprises, de paysans du département ou encore de commerçants spécialisés dans le déstockage alimentaire.

Maxime Delestrée, maraîcher à Mallemort, a tenu à participer à l’événement festif de ce 15 mai. Il y a quelques mois, des militant·es écologistes qui s'investissent dans le projet de L'Après M l’ont aidé dans des travaux sur son exploitation. En échange, il donne « des légumes [qu'il a] en rab et qui serviront à la confection de repas distribués en maraudes. » Plusieurs fois par semaine, des équipes de maraude cuisinent à L'Après M et offrent des repas à des personnes sans-abri ou à des étudiant·es précaires. A terme, les producteurs et productrices qui participent pourraient trouver un débouché en fournissant le restaurant d'insertion.  

Après le premier confinement, d'autres activités se sont ajoutées grâce à plusieurs associations montées sur place : du soutien scolaire, une friperie, des livres jeunesse et des fournitures scolaires mises gratuitement à disposition. Et l'été dernier, des sorties familiales en mer et des colonies de vacances ont été organisées. Les mercredis et samedis, des enfants viennent participer à certaines activités. Ce samedi, Miral, alias Mimi, 7 ans, s'est fait faire un maquillage qui scintille de paillettes. Elle participe régulièrement au jardin potager qui a été planté sur les terre-pleins entre la voie publique et le parking. « J'aimais venir quand c'était McDonald's, mais je préfère maintenant parce qu'on peut jouer comme on veut », se réjouit-elle.

Retrouver le goût du travail et de la cohésion

Figure de la réappropriation du lieu, l'ancien délégué syndical Kamel Guemari, y voit un exemple « d’intelligence collective » qui fait bien plus que de s’opposer à une multinationale spécialiste des contrats précaires. « On ne peut pas faire perdurer ce système qui écrase la dignité humaine, pose le nouveau président de La part du peuple. On n’a pas le droit de quitter ce territoire. Ce serait handicaper ses habitant·es. »

Issu d'une famille monoparentale, Kamel Guemari a connu la rue et assure qu'il aurait pu être absorbé dans la délinquance lorsqu'il était adolescent. En 1999, à 16 ans, il a commencé à travailler au McDonald's de Saint-Barthélémy jusqu'à en devenir sous-directeur. « Je veux rendre tout ce que l'on m'a donné ici, affirme-t-il. Mon rêve, c'est que demain j'y voie des jeunes et même des moins jeunes, des personnes en précarité, y retrouver le goût du travail, de la cohésion d'équipe et de la sociabilisation. »

Ironie de l'histoire, en cette même année 1999, José Bové démontait, avec des militant·es de la Confédération Paysanne, le McDonald's de Millau pour dénoncer la malbouffe. En décembre dernier, l'altermondialiste et ancien eurodéputé EELV est venu soutenir l'équipe de L'Après M. « Ce sont ces gens qui ont été abandonnés, dans des immeubles construits à la va-vite, qui ont été victimes de tout mais qui ont décidé de faire autrement, collectivement, s’enthousiasmait-il alors. Ils montrent que tout est possible, qu’on n’est pas enfermé dans un destin. »

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