[REDIFF-THEMA] : Vers une nouvelle expression politique

Publié le ven 29/12/2023 - 11:00

Propos recueillis par Magali Chouvion

D’un côté, un déclin de la participation électorale classique. De l’autre, une tendance à recourir à des formes de mobilisation plus explicites et plus directes, comme le boycott, les manifestations… La jeunesse modifie ses modes d’expressions politiques, nous explique le sociologue Laurent Lardeux. Pour autant, ces actions plus contestataires et plurielles, associées à une forte abstention, sont-elles efficaces ?

 

Laurent Lardeux est sociologue de la jeunesse, chargé d’études et de recherche à l’INJEP, l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire. Il est aussi chercheur associé au laboratoire Triangle CNRS de Lyon. Il est l’auteur, avec Vincent Tiberj, de l’ouvrage collectif Générations désenchantées ? Jeunes et démocratie publié à la Documentation française en 2021.

Sans transition ! : Hausse de l’abstention, affaiblissement des allégeances partisanes, défiance à l’égard du personnel politique, intérêt supposé pour des régimes non démocratiques… nombreux sont les observateurs qui dénoncent une « érosion » démocratique de la jeunesse. Êtes-vous aussi de cet avis ?

Laurent Lardeux : Les résultats de la dernière enquête européenne Valeurs conduite en 2018, à laquelle j’ai participé, montrent plutôt de nouvelles aspirations chez les plus jeunes pour une démocratie plus directe et davantage tournée vers des valeurs d’égalité et de justice globale. Par exemple, du point de vue des jeunes citoyens, la démocratie contemporaine est inadaptée pour faire face à l’accroissement des inégalités, l’insécurité sociale croissante ou le dérèglement climatique. La défiance observée n’a finalement pas grand-chose à voir avec un sentiment de dépossession politique ni un rejet de la démocratie.

Qu’espèrent alors les jeunes de par leurs nouveaux modes d’action plus contestataires ?

LL : Les actions de désobéissance civile ne sont pas nouvelles. Il y a toujours eu des activités protestataires fortes, parfois violentes. Toute l'histoire politique le montre. Les jeunes le font car ils estiment que le vote ou même les manifestations ne permettent pas une médiatisation suffisante de leurs revendications, notamment sur le climat. Ce qui est nouveau, c'est ce sentiment d'urgence face à une classe politique dont ils dénoncent l'immobilisme et qu'ils veulent interpeller à tout prix.

On considère parfois la jeunesse plus éruptive et plus protestataire que les autres catégories d'âge, sans qu'aucune étude vienne démontrer que les actions de protestation seraient spécifiques à la jeunesse. Mais en fait, les études nous montrent que les modalités de participation alternatives progressent dans toutes les tranches d'âge, à l'exception des générations les plus âgées, les seules finalement à rester fidèles au vote.

Certains, comme les membres de Youth for climate, s'attachent aussi à créer une synergie avec les membres d’autres collectifs, pour créer un réseau unique de jeunes qui porteraient une convergence des luttes. Cette stratégie est-elle efficace ?

LL : Des mouvements – tel Youth for climate - ont conscience que leurs sympathisants sont assez homogènes d’un point de vue social et démographique. S’ils souhaitent diversifier leurs profils et leurs territoires d’action, il leur faut nécessairement élargir leur spectre de préoccupations et se mettre en réseau avec d’autres mouvements. Cette stratégie leur permet de toucher le public des quartiers populaires par exemple. Et au passage de ne pas rater d’autres urgences spécifiques aux habitants de ces quartiers, comme celle des discriminations, de la justice sociale, des violences policières, etc..

Je pense que cette convergence ne crée pas forcément de la confusion mais plutôt de la mise en cohérence entre différentes jeunesses qui désirent se faire entendre sur différents enjeux. Quand on élargit la cause, on élargit le public et donc on a plus de légitimité à parler au nom de cette génération.

Les nouvelles formes d'engagement de la jeunesse, protéiformes, plus diffuses et mouvantes, permettent-elles aux jeunes de "faire société" ?

LL : Il faut bien distinguer les différents niveaux dans l’engagement. Il existe d’abord l’engagement pour soi. Pour se rassurer d’une situation d’anxiété ou d’éco-anxiété par exemple. Pour trouver dans l’action une nouvelle force et faire face à des émotions négatives. Mais l’engagement permet aussi l’appartenance à une génération qui voit les choses autrement et revendique la façon dont elle va prendre sa place sur cette planète.

Cette appartenance et cette identification générationnelles fortes, sont-elles suffisantes – comme leurs membres le revendiquent - pour créer du rapport de force et faire évoluer les choses ?

LL : Je vous propose de prendre votre question sous un autre prisme : les politiques prennent-ils suffisamment en compte les aspirations de la jeunesse ? Car finalement, lorsque l’on a moins de 25 ans, quelle autre marge de manœuvre a-t-on que celle qui est exprimée ici, sachant que très peu ont la possibilité d’être élu, de siéger dans des instances ou des conseils d’administration ? On a tendance à opposer une culture de démocratie représentative et l’engagement des jeunes. Or s’ils s’impliquent, c’est justement pour créer un dialogue avec les institutions et le pouvoir en place. Finalement, la question n’est pas tant sur les modalités d’actions que les jeunes proposent, que sur la façon dont les élus les écoutent, et prennent en compte leurs aspirations.

Comment alors rendre plus représentative des jeunes, la démocratie ?

LL : Il y a toujours eu cette difficulté pour les jeunesses de parvenir à la représentativité dans la politique institutionnelle. Et cette problématique est encore plus prégnante avec la nouvelle génération « climat », des 14-15 ans, dont les adolescents ont de plus en plus souvent des raisonnements construits et des postures d’adultes. Avec le renouvellement générationnel en cours et la généralisation de ces formes d’expression politique alternatives, la question des modalités d’inclusion de ces plus jeunes citoyens dans le débat démocratique se pose fortement. Pour cette génération, voter et suivre un parti ou un président ne suffit plus.

À lire : Générations désenchantées ? Jeunes et démocratie, Vincent Tiberj et Laurent Lardeux, publié à la Documentation française, 2021.

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