[THEMA] « Je me sens responsable » : les jeunes s’engagent face à l’inertie sociale

Publié le ven 18/11/2022 - 10:00

Déçus par l’insuffisance de leurs écoles, de leurs politiques et de leurs médias, certains jeunes décident de prendre les choses en main et de s’engager pour changer la société, faire taire leur anxiété et jeter les bases d’un futur désirable. Selon eux, ils « n’ont pas le choix ».

Bifurqueurs, démissionnaires, déserteurs … Depuis que la vidéo de leur « appel à déserter » est devenue virale sur les réseaux sociaux, totalisant pas moins de 12 millions de vues, les étudiants du collectif Des agros qui bifurquent ont été affublés de tous les qualificatifs. Leur pavé dans la mare semble aussi avoir éclaboussé leurs congénères : un désaveu des institutions semblable au leur résonne dans certains discours prononcés lors des mêmes cérémonies de remises de diplôme à HEC, à Sciences Po, et même à Polytechnique. Leur mantra : pour faire changer les choses, il faut prendre ses responsabilités et imaginer sa propre voie.

Constat d’échec

Audrey Bailly fait partie de ceux-là : à 21 ans, elle raconte une prise de conscience lente de l’impact des activités humaines sur la planète et les écosystèmes : « Je m’en suis rendue compte en me renseignant via des médias parallèles, en me tournant vers les réseaux sociaux, en ayant des informations dont on n’entendait jamais parler dans les médias généralistes. Ensuite, j’ai eu beaucoup de questions : pourquoi on ne nous donne pas ces infos ? Et surtout pourquoi on n’agit pas en fonction ? ».

Même son de cloche pour Hildegard Leloué, 23 ans, qui ne comprend pas le silence des instances décisionnelles : « Depuis le début de mon engagement, j’ai toujours fait ce même constat d’inaction gouvernementale, que ce soit sur les luttes féministes ou environnementales ».

Hugo, 26 ans, membre du collectif Pour un Réveil écologique, qui milite pour la promotion des connaissances sur les questions écologiques, va même plus loin : « J’ai rencontré des décideurs politiques, et j’ai clairement compris que ce qui comptait pour eux, c’était de préserver leurs intérêts personnels à court terme ».  

Faire face à ses émotions

Pour lui, c’est l’incompréhension face au cynisme généralisé. Ce sentiment fait écho aux conclusions d’une étude publiée en 2021 dans la revue The Lancet Planetary Health. 10 000 jeunes de 16 à 25 ans, originaires de dix pays du monde, y sont interrogés sur leur perception de l’action de leurs gouvernements respectifs. Résultat : 65 % d’entre eux considèrent qu’ils « laissent tomber les jeunes ». Pour les scientifiques auteurs de l’étude, cette tendance a des conséquences directes : « la perception de l’incapacité des gouvernements à faire face à la crise climatique va de pair avec une détresse accrue chez les jeunes ».

Et cela se constate dès la seconde conclusion de l’étude : 75% des jeunes interrogés considèrent le futur comme « effrayant ». C’est en partie ce que raconte Hugo : « J’ai eu plusieurs électrochocs. Le premier, quand je me suis rendu compte de ma responsabilité à l’échelle individuelle. Mais lorsque j’ai pris conscience que le problème était systémique, j’ai carrément ressenti de l’effroi ».

 « Ce qui provoque cette anxiété, c’est aussi le sentiment de ne pas avoir d’impact, alors que la cause est de plus en plus importante et que le monde va de plus en plus mal », selon Geoffrey Pleyers, sociologue et chercheur au FNRS – le Fonds de la recherche scientifique en Belgique. Il développe depuis vingt ans le concept d’alter-activisme pour qualifier l’engagement des jeunes, à la fois global et quotidien. Il complète : « Ce sentiment disparaît quand les jeunes vont manifester ou mener des actions ensemble : ils sont dans l’action et ils pensent que c’est utile. »

En effet, le constat est le même pour Hugo, Hildegard et Audrey : devenir des acteurs du monde les aide au quotidien à faire face à leurs émotions. « Aujourd’hui, on ne peut plus séparer l’engagement du reste de la vie », précise le sociologue belge. « Être écolo ou féministe, par exemple, c’est une manière d’être, de se déplacer, de manger, de se connecter à la nature, de se sentir partie prenante et donc responsable ».

Prendre ses responsabilités, mais comment ?

Chacun à leur manière, ils ont donc trouvé le moyen d’allier sentiment de responsabilité et choix de vie. Les deux jeunes femmes ont décidé de s’engager pour une meilleure diffusion de l’information : Hildegard s’investit dans le journalisme de solution, et Audrey est la créatrice de la chaîne YouTube « Rendez-vous écolo », sur laquelle elle sensibilise aux enjeux environnementaux. « Cette chaîne me permet de faire quelque chose à mon échelle », justifie cette dernière. « Je l’ai ressenti comme une sorte de devoir : il nous faut agir, et j’ai les outils et le savoir-faire en communication pour me lancer dans ce projet ».

Si leur engagement a des dimensions individuelles, il n’est pas pour autant individualiste, rappelle Geoffrey Pleyers : « La relation aux autres, à la planète, c’est aussi ce qui caractérise l’engagement des jeunes. Leur responsabilité vis-à-vis de la société, mais surtout envers eux-mêmes. Cette dernière est à la fois plus intime et plus globale ». Cette notion de devoir est bien présente chez Hildegard : « Je me dis que oui, la situation est catastrophique. Mais au moins je dédie ma carrière à faire quelque chose qui fait sens pour moi. Et qui peut contribuer à alerter les quelques lecteurs qui tombent sur mes articles ».

Comme les Agros qui bifurquent, toutes deux décident de « chercher d'autres voies, de refuser de servir ce système et de construire [nos] leurs propres chemins ». Hugo, quant à lui, a choisi de s’investir pour faire avancer la transition écologique au sein de l’enseignement supérieur. « Une nécessité » qui rappelle les manquements que les étudiants dénoncent dans leur discours. « Je me sens responsable en tant qu’individu, puisque mes actions ont des conséquences », témoigne le jeune homme. Et pour Audrey, Hugo et Hildegard, pas question de tout déserter : c’est bien au sein de la société qu’ils comptent faire changer les choses « dans l’intérêt de tous ».

Plus d’infos :

https://pour-un-reveil-ecologique.org/fr

https://www.instagram.com/eutopia_podcast  (Eutopia, les podcast d’Hildegard)

« Rendez-vous écolo », la chaine Youtube d’Audrey

 

Vague de contestation au sein des grande écoles

La fin de l’année scolaire rime, pour certaines écoles renommées, avec cérémonie de remise des diplômes. Mais cette année, pas de grandes célébrations sans quelques perturbations : après le discours des élèves d’AgroParisTech, c’est au tour de ceux de l’école militaire Polytechnique de s’appliquer à dénoncer les manquements de leur institution. Le parrain de leur promotion n’est autre que Patrick Pouyanné, le patron de TotalEnergies, ce à quoi les futurs ingénieurs s’étaient vivement opposés. À Sciences Po aussi, on grince des dents dans le public de la grand-messe lorsque Marine Le Gloan, l’une des étudiantes diplômées, appelle à « sortir du déni ». Même à HEC, l’école de commerce par excellence, deux étudiantes ont mis un point d’honneur à encourager leurs camarades à y regarder de plus près avant de travailler pour une entreprise « dont les projets vont à l’encontre de [leurs] convictions ». Partout le même constat : une insuffisante remise en question des grandes écoles face à l’ampleur des enjeux climatiques et sociaux.

 

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