[THEMA] GRANDS TÉMOINS : Des jeunes, des engagés !

Publié le mar 06/12/2022 - 10:12

Par Quentin Zinzius

Alors que la démocratie bat de l’aile, avec une abstention de plus en plus massive et une extrême droite aux portes du pouvoir, les jeunes semblent de moins en moins prendre part à la vie publique. Pourtant, ils n’ont pas déserté. Du climat aux droits sociaux, dans la rue ou sur les réseaux sociaux, la jeunesse se mobilise pour défendre ses valeurs et son avenir. Tanguy Descamps, Léna Felderhoff et Vipulan Puvaneswaran font partie de ces nouvelles générations qui militent autrement. Entretien croisé.

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Tanguy Descamps (26 ans)

Diplômé de Sciences Po Bordeaux, Tanguy Descamps est engagé dans le collectif la Bascule et anime de nombreuses conférences, autour notamment de la fresque pour le climat. Il est également co-auteur et initiateur de l’ouvrage Basculons ! dans un monde vivable, aux éditions Actes Sud.

Léna Felderhoff (26 ans)

Léna est formatrice à la transition et intervient auprès des entreprises, associations, services publiques et dans l’enseignement supérieur afin de « passer de la sensibilisation à l’action ». Elle est également une des co-fondatrices de la première COP étudiante, qui s’est tenue en 2019. Elle était également l'invitée de Sans transition ! en conférence fin septembre, à Digne-les-Bains.

Vipulan Puvaneswaran (19 ans)

Après avoir longtemps participé aux marches pour le climat, Vipulan défend aujourd’hui des modes d’action plus actifs, pour pousser les politiques à agir. Un engagement qu’il mène en parallèle d’études en physique du climat. Il était également à l’affiche du film « Animal » de Cyril Dion, sorti fin 2021.

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Pour l’opinion générale, la jeunesse semble désinvestie de la vie publique et politique. En tant que jeunes et engagé.es, comment expliquez-vous ce constat ?

T. Descamps : Il y a plusieurs éléments de réponse à cette opinion. Tout d’abord, depuis 2015 et l’émergence des différentes crises écologiques et sociales dans le débat publique, il y a une forme de fatalité et de remise en question de l’engagement en lui-même. Est-ce que nos actions sont vraiment utiles ? Permettent-elles de faire bouger les choses ? Et évidemment, l’absence de prise en compte des enjeux par la société nourrit cette frustration. Or les institutions « traditionnelles » sont construites à l’image de cette société. Peu de choses y évoluent, elles manquent d’adaptabilité, et sont souvent aux mains des générations précédentes. Je pense que c’est cette inertie qui a fini par décourager certains jeunes de s’engager, et c’est ce qui alimente cette opinion générale.

L. Felderhoff : Dans ma bulle d’engagement, la jeunesse n’a pas déserté ; bien au contraire. Associations, syndicats, partis politiques… ce sont de véritables structures de pouvoir, que beaucoup de jeunes veulent s’approprier, pour faire évoluer les choses. Parce que c’est bien à l’intérieur de ces structures qui animent la société que le changement doit s’opérer. Et contrairement aux idées reçues, elles sont d’ailleurs relativement faciles d’accès. Gravir les échelons ou faire entendre sa voix peut bien sûr prendre du temps, mais dans ces écosystèmes, tout est possible et le nombre fait la force.

V. Puvaneswaran : Il est clair que syndicats et partis politiques n’ont plus la cote auprès des jeunes, ce qui contribue à l’idée d’un désintéressement général. Mais dans le cadre du vote, je trouve la dynamique est très différente. Si les jeunes votent moins qu’avant, leurs votes sont plus engagés. Pour prendre l’exemple des législatives de 2022, près de 40 % des jeunes qui ont voté ont choisi la NUPES. Ce choix n’est pas anodin, et traduit une volonté forte d’agir, notamment sur les crises sociales et écologiques. Je pense également que la forte pression scolaire imposée aux jeunes joue un rôle dans cette désertion. C’est une charge mentale importante, et il peut être difficile d’y associer un engagement, ou même une activité de loisir ; d’autant que la réussite scolaire est considérée comme une condition sine qua non à une vie épanouie.

Quelles sont les principales formes d’engagement choisies par votre génération ?

L. Felderhoff : Nous avons besoin de tous types d’engagements, à toutes les échelles. L’engagement à l’échelle locale a récemment trouvé plus d’écho pour moi. Lutter contre le réchauffement climatique à l’échelle mondiale, peut paraître parfois hors de portée. Mais rendre son département ou sa commune résiliente face aux changements, c’est quelque chose de très ambitieux mais de parfaitement réalisable ! Cela rend d’ailleurs l’action beaucoup moins frustrante, car son bénéfice est visible et concret. Cela permet aussi de se soustraire de son quotidien et même de supporter l’éco-anxiété pour les personnes les plus sensibles. Mais avant de « faire », il faut « savoir-faire » ; car l’action politique, au sens noble du terme, ne s’improvise pas. D’où l’importance de la pédagogie et de la « formation à la transformation », pour que les actions aient le plus d’impact positif possible.

V. Puvaneswaran : L’une des principales formes de mobilisation de la jeunesse ces dernières années a été la manifestation, notamment les marches pour le climat. Pour y avoir personnellement participé, je trouve que ce mode d’action est aujourd’hui dépassé. L’enjeu n’est plus d’informer les politiques sur l’urgence climatique, mais de les obliger à passer à l’action. Car pour eux, les intérêts économiques prévalent sur le reste. C’est d’ailleurs ce qu’il se passe dans « Animal », lorsque nous interpellons le parlementaire espagnol, qui nous ignore et nous rit au nez. Pour moi, la conscientisation a assez duré. Il faut passer à des modes d’action plus contraignants. En cela, les actions collectives seront toujours à privilégier, car si l’action individuelle a un rôle à jouer, notamment en termes d’adéquation personnelle, elles restent globalement consensuelles avec le système en place. Pour reprendre une expression de Cyril Dion : « on ne peut pas faire pipi sous la douche et travailler chez Total ! ».

T. Descamps : Depuis une vingtaine d’années, l’engagement en lui-même a évolué ; il ne s’agit plus seulement de défendre une cause importante, il s’agit d’une quête de sens. L'engagement s'inscrit désormais en permanence dans des dynamiques collectives et hybrides, mobilisant à la fois les citoyens sur des campagnes numériques, des projets de terrain (écolieux, luttes locales, village des alternatives) et des actions à dimension politique (convention citoyennes, primaires populaires, interpellation des députés, désobéissance civile). On observe aussi de plus en plus d’initiatives sur l’évolution du mode de vie : le retour à l’essentiel, avec des métiers manuels mais indispensables, qui permettent de se nourrir ou de se loger. Mais d’autres choisissent également de changer ce système de l’intérieur ou de créer leurs propres structures. Car si le rapport au collectif reste primordial pour notre génération, il n’a plus la nécessité de s’inscrire dans un cadre et une durée déterminés. Ce qui explique aussi que ces structures soient moins pérennes ; en plus du fait que l’argent fait souvent défaut.

Le climat est-il le seul enjeu à préoccuper la jeunesse ?

T. Descamps : Le climat a évidemment beaucoup mobilisé notre génération. Mais pour autant, je pense qu’il ne faut pas nous enfermer sous cette bannière de « génération climat ». L’écologie que nous portons va beaucoup plus loin que le seul rapport au CO2. Nous pensons aussi au Vivant, aux ressources naturelles, aux luttes contre les inégalités, au féminisme. Les sujets sont multiples mais indivisibles. Notre génération est sans doute l’une des premières à en prendre pleinement conscience et à être capable de s’engager en conséquence sur des fronts et des temporalités multiples.

V. Puvaneswaran : Je suis également de cet avis. L’écologie est un mot utilisé à tort et à travers ; mais c’est bien son sens premier (Science de l’étude des relations entre êtres vivants, et entre le vivant et son milieu, NDLR) que nous défendons, qui est beaucoup plus transversal. Repenser notre rapport au Vivant est également important, car nous devons sortir de la dualité que nous entretenons avec la Nature, dans laquelle soit nous la protégeons, soit nous l’exploitons. Sortir de ce prisme, c’est repenser totalement nos relations entre êtres vivants, mais aussi entre êtres humains.

L. Felderhoff : Les sujets d’engagement dépendent énormément du public auquel on s’adresse et de son ancrage territorial. Certains seront plus sensibles à des mobilisations pour le climat ou la biodiversité, quand d’autres raisonneront mieux sur des sujets liés à la solidarité et à l’égalité sociale. Mais derrière cette pluralité d’engagements et de stratégies d’action, se cache une seule et unique direction : la transformation globale de notre société pour la rendre plus écologique, solidaire et démocratique.

Qu’en est-il des jeunes qui ne s’engagent pas ou plus : comment les convaincre ?

V. Puvaneswaran : Pour avoir le plus d’impact possible, nous ne pouvons pas nous contenter de rester entre convaincus. Mais il ne faut pas non plus perdre notre énergie à vouloir convaincre des  « jeunes Versaillais » (au sens historique du terme, à mettre en opposition avec les communards, NDLR) nés dans des milieux privilégiés et fortement ancrés dans l’extrême-droite ; car ils sont malheureusement enfermés dans une idéologie qui nie la réalité. Il y a d’ailleurs un réel manque de représentation des jeunes ruraux dans les mouvements écologiques, ce qui continue d’opposer la jeunesse des villes « woke et engagée », à la jeunesse des champs, « patriote et désabusée ». Il faut produire des discours qui correspondent à ces réalités ; comme François Ruffin l’a fait avec les quartiers populaires.

T. Descamps : Je pense qu’avant de vouloir les convaincre, il faut leur donner les clés de lecture et de compréhension des enjeux. Aujourd’hui, l’information sur les crises est grandement insuffisante. La convention citoyenne pour le climat a été un excellent exemple de cette nécessité et de son efficacité. Quelque 150 citoyens ordinaires, pas ou peu formés à l’écologie, ont finalement émis des propositions plus radicales que tous les programmes écolos réunis ! Mais il faut aussi complètement repenser la notion de responsabilité. Il est nécessaire de faire basculer les citoyens les plus aisés, qui sont les premiers responsables des crises écologiques. Vouloir faire porter la responsabilité écologique à des jeunes ayant basculé dans la précarité ne fera qu’attiser le rejet et l’incompréhension. C’est d’ailleurs tout un défi qu’est l’écologie populaire que d’aller parler à ces jeunes et autres citoyens, pour qui le discours écologique n’est pas encore audible.

L. Felderhoff : Je pense également qu’il faut adapter et diffuser plus massivement nos discours. Les mots « politiques » font peur, car c’est souvent d’un rejet de la politique que naît le désengagement. En dépolitisant le discours, en parlant de l’impact des engagements sur la vie quotidienne, il devient possible d’intéresser ces jeunes, car ils y voient un intérêt pour leurs propres vies. Cela permet également de créer des liens entre des personnes que la politique confronterait ; bien qu’elles aient un objectif commun. Ensuite, une fois sensibilisés, il sera possible de mettre en place des actions concrètes, qui là encore, permettent de rassembler tout le monde autour de l’essentiel.

Pour être visible et efficace, votre génération doit-elle se détacher des précédentes ? Ou au contraire, maintenir le lien est-il important pour construire cet avenir ?

T. Descamps : Selon moi, maintenir le lien avec les générations précédentes n’est pas seulement important, c’est essentiel ! Se monter les uns contre les autres ne sera que contre-productif, parce que nous n’avons pas le pouvoir. Eux si ! Il y a donc déjà un enjeu stratégique à ne pas rompre nos liens avec ces générations, pour travailler avec eux, sans transiger sur la radicalité d'action à laquelle oblige la situation écologique. Mais c’est également plus joyeux : nous avons beaucoup à nous apprendre mutuellement. Et dans une société qui a tendance à s’atomiser, à s’individualiser, créer et entretenir des liens me semble indispensable.

L. Felderhoff : Nous avons besoin de toutes les générations. Pour être à la hauteur des enjeux, nous devons à la fois marquer une rupture avec les actions des générations précédentes, mais également penser à rattacher les wagons en parallèle pour ne pas perdre une partie de la société qui pourrait se retourner contre la locomotive et la faire ralentir voire dérailler. Lorsqu’on rattache les wagons, il faut donc y aller en douceur et faire attention aux mots utilisés. La différence de radicalité est souvent source de lassitude, voire d’animosité pour les autres générations ! D’où l’importance d’une approche à l’écoute des besoins et contraintes, avec pédagogie et récits motivants pour donner envie d’avancer ensemble sur les rails de cette nouvelle société !

V. Puvaneswaran : À mon sens, la fracture générationnelle n’a pas lieu d’exister. Je pense que l’adage des « vieux qui ont pourri notre avenir » est une erreur de lecture. L’origine du problème n’est pas une classe d’âge – sinon nous finirons tous par être le problème ! - mais bien une classe sociale. En l’occurrence, ce ne sont pas les « vieux », les responsables, ce sont les riches. Et c’est à eux que profite ce système qui ignore volontairement les crises en cours et à venir. Ce sont eux aussi qui surexploitent les ressources planétaires et détruisent la biodiversité. Et c’est bien contre eux, que toutes les générations doivent s’engager.

Le vote est-il toujours, selon-vous, un outil pour faire entendre sa voix ?

L. Felderhoff : Comme l’a si bien dit Antoine de Saint-Exupéry : « être Humain c’est être responsable, c’est sentir en posant sa pierre que l’on contribue à bâtir l’édifice du monde ». À chaque pierre que nous posons, individuellement ou collectivement, à chaque choix de profession, consommation, discussion, élection… nous choisissons un type d’édifice, de société. Et mon impact est décuplé si je rassemble - ou participe - à un groupe pour influencer ces différents choix, rassembler plus de personnes pour « voter » comme moi et changer les lois. Dès lors, le vote est un outil indispensable, bien que non suffisant, pour faire entendre sa voix !

V. Puvaneswaran : Je pense que le vote est utile, mais il faut pour autant ne pas l’essentialiser. Aujourd’hui il a une forme de dualisme autour du vote, entre ceux qui estiment « qu’il va tout changer » ou au contraire « qu’il ne sert à rien ». Pour moi c’est une action parmi tant d’autres, et s’il est effectivement peu efficace lorsqu’il n’est pas couplé à d’autres formes d’actions, il reste important aux yeux des politiques. Nous ne pouvons donc pas laisser cet outil de pouvoir de côté.

T. Descamps : Le vote est un évidemment un outil pour faire entendre sa voix ; mais de moins en moins de jeunes y participent, ce qui traduit une perte de confiance dans un système politique qui dysfonctionne. La démocratie directe telle que proposée par la Convention citoyenne pour le climat pourrait être un moyen d'agrandir la participation populaire, à condition qu'elle ne soit pas traitée de manière condescendante et trahie. Le blocage de notre système politique et la faible action en faveur d'un monde vivable conduira probablement dans les prochaines années au déploiement d'une alliance d'autres outils pour faire entendre sa voix : grandes manifestations, lobbying interne, montée au front médiatique, résistance civile.

 

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