[THEMA] Des jeunes guidés par leur pluralité

Publié le ven 28/10/2022 - 09:00

par Quentin Zinzius

 

Si l’engagement des jeunes est moins institutionnalisé qu’auparavant, il n’en reste pas moins élevé, mais aussi et surtout : multiple. Climat, luttes sociales, inégalités, ou même simplement sport, autant de thématiques sur lesquelles s’engagent les jeunes, avec néanmoins quelques distinctions : origines sociales, genres et niveaux de vie tiennent un rôle particulier dans leurs manières de s’engager.

Souvent dépeinte – comme son nom le laisse penser – comme un bloc unique et uniforme, la jeunesse n’en est pas moins un ensemble particulièrement hétéroclite. Elle serait même plurielle. Orientations politiques et sociétales, origines sociales et culturelles, ou encore sexe et genre… autant de facteurs qui jouent un rôle tout particulier dans les choix des engagements des 18-24 ans. Ce constat est d’ailleurs fait par l’Injep dans son baromètre Djepva1, paru en 2021. « C’est un fait structurel et très marquant », réagit Jörg Müller, chargé de recherche au Credoc, qui a participé à la rédaction de ce rapport. Ainsi statistiquement, le « profil type » le plus représentatif d’une personne engagée serait « un jeune homme, entre 18 et 24 ans, étudiant ou diplômé en études supérieures », précise le spécialiste.

Où sont les jeunes femmes ?

L’engagement associatif des jeunes hommes (53 % d’entre eux) serait donc nettement supérieur à celui des jeunes femmes (37 %). Un résultat que Jörg Müller attribue aux relations entretenues avec le sport en milieu scolaire et pendant l’enfance ; qui est rappelons-le, le premier secteur d’engagement des jeunes (1/3 des engagements). « Pour les garçons, ce qui était une activité périscolaire devient une activité de loisir et de compétition, précise-t-il. Mais pour les filles, cette expérience est plus souvent source de traumatisme. Elles se dirigent donc davantage vers une pratique individualisée et à domicile ». Ainsi, alors qu’un jeune homme sur deux serait licencié d’une association sportive, une seule jeune femme sur six suivrait le même chemin. « En revanche, les jeunes femmes sont souvent plus engagées sur des causes fortes, sociales ou environnementales notamment », complète le spécialiste. En cause selon l’Institut Montaigne2, une plus forte sensibilité aux inégalités dont elles sont elles-mêmes victimes, les plaçant à « l’avant garde sur beaucoup de questions politiques et sociétales ».

Une question de vécu

Car le genre n’est pas la seule variable à nuancer les engagements : le vécu influence tout particulièrement le domaine dans lequel ces jeunes s’engagent. « Une expérience de vie saine est souvent synonyme d’un bénévolat plus récréatif (sportif, culturel, de loisirs), analyse Jörg Müller, là où l’expérience de la discrimination conduit davantage à un bénévolat « engagé » au service d’une cause. » Mais cette importance de l’expérience personnelle influe également sur la forme même de l’engagement. « Être victime, c’est quelque chose de très personnel, reprend le spécialiste. Même si l’enjeu est collectif, l’engagement garde un profond ancrage au vécu et ne trouve donc pas forcément écho auprès des autres, victimes ou non. Ce qui conduit à des mobilisations beaucoup plus sporadiques ». Finalement, seul l’environnement paraît quelque peu faire exception à cette règle ; cette thématique étant une source de préoccupation grandissante au sein de l’ensemble de la jeunesse.

L’école et la rue

Autre constat commun à l’Injep et à l’Institut Montaigne : le lien profond entre niveau de diplôme, difficultés matérielles, et engagement. « Le niveau d’études augmente très nettement la sensibilité politique des jeunes, note Jörg Müller. Il affecte directement leur volonté de s’engager pour les causes qu’ils découvrent ». Une vie étudiante, qui est dans la majorité des cas associée à un soutien financier ou matériel des parents (logement), « accorde plus de temps aux jeunes, qu’ils peuvent dévouer à un ou plusieurs engagements ». Ces jeunes, qui représenteraient 39 % des 18-24 ans, sont également les plus attachés au cadre institutionnel de la Société – notamment le vote et l’engagement associatif – et souhaitent le faire évoluer par des réformes. A contrario, les jeunes actifs faiblement diplômés, également plus exposés à des difficultés matérielles importantes et issus de milieux sociaux moins favorisés (43 % contre 39 % en moyenne), sont faiblement représentés dans les associations. Ils orientent également davantage leur engagement sur les questions discriminatoires (racisme, homophobie) et privilégient les manifestations comme moyen d’expression.

Revirement radical

Mais ces jeunes faiblement diplômés et/ou en difficultés matérielles sont également ceux qui sont les plus favorables à des « changements radicaux de nature révolutionnaire », note l’Institut Montaigne. Pour ces jeunes (22 % des 18-24 ans), la violence politique3 est justifiable pour amorcer des changements dans la société. Et toujours selon l’Institut Montaigne, 13 % des jeunes non précaires « intégrés transgressifs », se montreraient également tolérants envers des comportements violents et déviants. Ils jugent notamment « acceptable » ou « non acceptable mais compréhensible », le fait de bloquer la circulation (64 %), de s’affronter à des élus (49 %) ou à la police (40 %), ou encore d’insulter le président (47 %). Partagée par toutes les classes d’âge confondues, « cette tolérance à la violence est particulièrement inquiétante, signale Jörg Müller, car elle pourrait bien conduire à un véritable clash générationnel, à une rupture totale des liens entre les générations ».

 

+ D’INFOS : injep.fr et institutmontaigne.org

 

Notes :

1 – https://injep.fr/publication/barometre-djepva-sur-la-jeunesse-2021/

2 – https://www.institutmontaigne.org/publications/une-jeunesse-plurielle-enquete-aupres-des-18-24-ans

3 – Destructions ou atteintes physiques dont le but, le choix des cibles, la mise en œuvre et l'effet, ont une signification politique.

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