Interview réalisée par Sans transition !, en mai 2016
L’enseignant en permaculture Rob hopkins est le fondateur du vaste réseau international qui dessine le mouvement de la Transition. Né en 2006 en Grande-Bretagne dans la ville de Totnes, ce mouvement a été initié un an auparavant à Kinsale en Irlande par Rob Hopkins et ses étudiants. Aujourd’hui, on compte plus de 2000 initiatives de Transition dans 44 pays, dont 150 en France. Rencontre avec celui qui a impulsé cette dynamique vertueuse.
Il sera en tournée exceptionnelle en France, du 14 au 19 avril prochain !
Rob Hopkins, pouvez-vous nous expliquer comment a germé ce projet à l’origine d’un tel mouvement d’ampleur dont vous êtes l’initiateur ? Quel a été l’élément déclencheur de la transition ?
En 2004, j’ai vu un film qui traitait du sujet de la fin de l’âge du pétrole et de ce que cela impliquait. Je n’y avais jamais vraiment pensé auparavant aussi consciemment même si je lisais énormément de choses sur le changement du climat. J’étais à l’époque professeur de design en permaculture et de design environnemental, je le suis toujours d’ailleurs, et je me rappelle m’être fait la réflexion suivante : « l’échelle du défi est tellement énorme et nous sommes si petits. comment mesurons-nous ce que nous faisons ? » Je me suis dit que la réponse était peut être de travailler tous ensemble et de faire quelque chose de positif, en restant concentrés sur les solutions et non sur les problèmes. Cette approche rentrait dans le champ des nouvelles technologies sociales. C’était une idée ambitieuse qui a donné naissance au mouvement Transition.
Qu’est-ce qui définit concrètement la transition ? En quoi cela consiste-t-il ?
La transition est basée sur de simples outils, des expériences qui permettent que nous nous mettions en marche pour nous réveiller. Il s’agit de cultiver un réseau d’apprentissage au sein de communautés en phase de création. Et on le voit bien avec le réseau constitué de plus de quarante pays, c’est un puzzle qui peut être dupliqué partout. Ce concept peut inspirer dans le travail, et à tous les niveaux dans nos communautés. Car notre approche n’est pas basée sur du lobbying ou quelque chose de ce genre. Le mouvement est d’ailleurs apolitique. Il s’agit plutôt d’un mouvement alternatif basé sur une vision positive de l’avenir. Car nous portons un regard différent sur les crises, que nous voyons comme des occasions incroyables pour changer radicalement nos sociétés actuelles.
Effectivement, cette originalité de pensée semble à la source du succès que connaît votre mouvement. Vous vous inspirez d’ailleurs de théories psychologiques comme la résilience, n’est-ce pas ?
Oui, la résilience écologique est la capacité d’un écosystème, d’un environnement, d’une espèce mais aussi d’une population, à rebondir après des perturbations en vue de retrouver un équilibre dynamique. Transition invoque la résilience pour faire face au double défi que représentent le pic pétrolier et le dérèglement climatique. Nous nous sommes aussi inspirés des approches psychologiques. Elles traitent des dépendances toxicologiques, pour tenter d’apporter une réponse face au manque d’espoir consécutif à la prise de conscience de notre dépendance au pétrole. Dans ce sens, nous incitons les villes en transition à l’éveil des consciences, grâce à une sensibilisation positive. Ceci dédramatise les mutations à venir en valorisant, autant que possible, les petites victoires. Cela fournit la motivation nécessaire pour s’engager dans un profond processus de changement. Il se fait beaucoup au travers de conférences, de débats ou de projections de films. Ensuite sont constitués des groupes de travail à partir desquels sont rédigés des plans d’action de décroissance énergétique, en lien avec l’alimentation, les déchets, l’énergie, l’éducation, la jeunesse... La permaculture influence beaucoup les actions. Mais il n’y a pas de réponse toute faite. Chaque groupe de travail doit trouver ses propres solutions.
D’ailleurs, pouvez-vous également nous rappeler ce qu’est la permaculture ?
C’est une base philosophique qui prend pour modèle le mode de fonctionnement naturel des écosystèmes. Il n’y a pas meilleur modèle pour réduire la consommation d’énergie fossile, reconstruire une économie locale vigoureuse et soutenable. L’objectif est de retrouver un bon degré de résilience par la relocalisation de ce qui peut l’être et acquérir les qualifications nécessaires.
N’est-ce pas difficile, voire contradictoire, d’avoir un projet sur du local et de devoir voyager partout pour le mouvement devenu désormais international ?
C’est vrai, l’un des aspects vraiment étonnant avec Transition, c’est que le mouvement s’est répandu dans 44 pays très rapidement. Et c’est en utilisant l’Internet, l’auto-organisation des réseaux, la vidéo, les conférences, etc, que je reste en lien avec les acteurs du mouvement... Je visite certains endroits bien sûr mais j’y vais principalement en train et j’utilise très rarement l’avion. Il y a le projet Transition aux Philippines, ou dans d’autres pays de ce type, mais je n’ai pas besoin d’aller visiter ces contrées, ce sont les populations locales qui décident de ce qu’elles veulent mettre en place. Elles n’ont pas besoin de ma présence sur place.
Quel regard portez-vous sur la france et sur le développement durable dans notre pays ? Ne sommes-nous pas à la traîne ?
En France, Transition a commencé plus lentement que dans d’autres pays. Il faut dire que culturellement, l’idée de changement est organisée par le gouvernement. L’idée qu’il puisse venir directement des gens a plus de difficultés à prendre corps. D’autre part, peut être que les Français ont besoin de regarder le projet et d’y penser plus longtemps que d’autres pays. Mais quand je viens parfois en France, je constate qu’il y a beaucoup de groupes Transition et qu’un réseau national français se met en place. Je suis très optimiste quand je vois que des racines du projet s’installent dans le contexte français, c’est très excitant à voir naître. Je crois même que le nouveau livre de Transition va être traduit en français pour une sortie prochaine.
Pouvez-vous nous citer un exemple d’une action qui a bien fonctionné en france ?
Je sais par exemple qu’à Rennes, l’association Jardins (ou)Verts a été créée afin de sensibiliser les habitants de la ville à la protection de leur environnement et à la création de lien social entre voisins. Un réseau d’acteurs a vu le jour au travers de jardins partagés répartis sur le territoire rennais. Un premier jardin est sorti de terre au printemps 2014. Et cette association a beaucoup d’autres projets très intéressants.
Qu’aimez-vous faire parallèlement à votre projet ? Quelles sont vos passions dans la vie au-delà de ces questions?
Je pense que l’une de mes passions est ma famille. J’ai quatre garçons qui, je pense, sont l’une des principales raisons pour lesquelles je fais tout ça. Les gens parlent de plusieurs générations futures. J’ai rencontré la première et je suppose que la seconde n’est pas très loin et que tout a un sens. Ce qui me pousse à faire Transition ? C’est l’immense plaisir d’aller à des endroits qui font partie du projet, et d’entendre les histoires des gens, d’écouter leurs témoignages et à quel point ils se sentent en mesure d’agir, de rompre leur dépendance à la surconsommation et à ses dérives. Les gens me disent : « j’ai vécu à cet endroit pendant plus de vingt ans et les deux dernières années où j’ai participé au mouvement m’ont permis de mieux connaître ce lieu, de me sentir connecté et de connaître tout le monde. c’est fantastique. et je commence à voir le changement s’effectuer ». À l’endroit même où j’habite, je peux marcher dans la rue et je peux voir les choses qui ont changé depuis le moment où nous avons commencé. C’est très addictif et excitant. Voilà ma passion !