[REPORTAGE] Dans les Cévennes, une épicerie-café redonne vie au village

Publié le mer 22/09/2021 - 09:18
Crédit : C. Cammarata

par Céline Cammarata

La création d’une épicerie-café associative a insufflé un nouveau dynamisme collectif au cœur du village cévenol d’Aulas, en proposant des produits de terroir en circuits courts, des expositions, des ateliers de cuisine ou des visites historiques.

Pour rejoindre le Traouquet (1), l’épicerie-café associative installée au cœur d’Aulas, village de moins de 500 âmes des Cévennes gardoises, à 1h30 de Montpellier et Nîmes, il faut traverser les étroites rues bordées de maisons en pierre. Sur la place de l’église, près de la fontaine, abritées par les platanes, ses tables arborent des fleurs colorées. Contre le mur en pierre de l’imposante bâtisse, une table est chargée des légumes bio du jour, apportés par une productrice locale.

Ce dimanche matin, c’est Christine, une bénévole du village, qui est aux commandes de l’épicerie. Son ouverture, du mardi au dimanche, est en effet conditionnée par la disponibilité des adhérent·es qui se relaient pour en tenir la permanence. Ici, les productions locales sont mises à l’honneur, même si quelques étagères sont consacrées aux produits de première nécessité. La boutique, où l’on trouve des accessoires zéro déchet, réalisés par une couturière et l’atelier de couture du village, fait dépôt-vente pour dix-neuf producteurs et productrices : outre les fruits et légumes, on y trouve du vin, des confitures, du miel, des produits dérivés de la châtaigne, de la spiruline de Molières-Cavaillac, des fromages de chèvre d’Avèze ou de brebis du Larzac, des conserves de plats cuisinés de Blandas, des cosmétiques bio... « Nous privilégions les produits de terroir, les circuits courts et la qualité, souligne René Amigues, président de l’association Au Traouquet porteuse du projet. A part les cafés de la brûlerie de Ganges, la majorité des produits se trouvent dans un rayon de dix kilomètres. Lorsque le producteur d’œufs de Roquedur apporte sa marchandise, il prend le temps de boire un verre et de discuter avec les consommateurs et consommatrices qui lui posent des questions. »

Besoin de convivialité

Car c’est le besoin de convivialité qui est à l’origine de ce projet d’épicerie-café associative. Et la conviction de la nécessité d’une « revitalisation du village » dans une zone des Cévennes enclavée et qui propose peu d’emplois aux jeunes. « C’est tout de même triste de voir ce village sans fête votive, sans bal du 14 juillet, ni feu d’artifice », reconnaît Laurence Amigues.

Tout a débuté par une fête des voisin·es particulièrement réussie en décembre 2019, suivie d’une deuxième, avec l’envie de conserver l’élan collectif naissant. Quelques rencontres ont permis une réflexion collective et l’émergence de plusieurs projets. « Mais nous avons retenu la création d’un lieu où la population pourrait se réunir, consommer des produits locaux et créer des événements », explique Joël Salaun, habitant du village et trésorier de l’association.

Une fois la dynamique lancée, les étapes ont été rapidement franchies, surprenant même le maire de la commune. « L’association a été créée en septembre 2020 et le 7 mai 2021, c’était l’inauguration du Traouquet, un peu retardée par la Covid, détaille le président. Notre première activité a d’ailleurs été l’ouverture d’un drive durant la période du confinement. » La mairie apporte une aide ponctuelle sur les manifestations.

Entraide et partage

Tout le monde a mis la main à la pâte. Joël Salaun a proposé de louer son local à l’emplacement idéal au cœur du village. L’artisan a aussi mis à disposition son équipe pour réaliser les travaux nécessaires à la réhabilitation d’une magnifique salle voûtée qui accueille les tables du café.

Ce jour-là, Laurence et René Amigues prêtent leur cuisine pour la préparation d’un bœuf mafé qui régalera dix-huit convives pour le déjeuner. Aux fourneaux, on trouve Ingrid, Karine, Ugo, Enée, Laurence et René, sous la direction d’Awa. Sénégalaise d’origine, elle a découvert le Traouquet lors d’un stage au sein de l’association. Des liens se sont créés et elle a souhaité partager sa culture en initiant le premier atelier cuisine. « Avec Ugo, nous avons trouvé intéressant d’apprendre une nouvelle recette de cuisine du monde et super sympa de cuisiner ensemble, applaudit Enée, lycéenne. Nous rencontrons des gens que nous n’avions jamais vu. Un lien intergénérationnel est en train de se créer ! »

Si les gens peuvent librement se servir à l’épicerie, la participation au café, à la restauration et aux ateliers nécessite l’adhésion. La jeune association compte déjà 184 membres. « L’idée d’avoir une petite épicerie avec du fromage du coin et de bénéficier d’un lieu de vie pour se rencontrer était enthousiasmante et c’est important pour les personnes âgées », se réjouit Ingrid, qui a adhéré à son retour de voyage.

Plaque tournante de nouvelles activités collectives, le Traouquet propose aussi des randonnées. Ingrid adore celles du mardi que l’association a commencé à organiser pendant le confinement, ainsi que les visites historiques du centre ancien. Les Aulasiens et Aulasiennes ont apprécié la découverte (ou redécouverte) de leur environnement proche et le rendez-vous s’est pérennisé. De son côté, Rolande Dufour, ancienne conférencière du musée du Désert, propose des visites historiques et patrimoniales, tandis qu’Amandine Sellini, pépiniériste de la commune, guide des promenades naturalistes : « après les plantes sauvages cette année, j’envisage de faire découvrir les arbres et arbustes à fruits d’ici cet automne », promet-elle.

Bientôt un emploi aidé

Plusieurs autres activités culturelles sont en projet. « Nous souhaitons développer des expositions et les coupler avec des ateliers pratiques », raconte Annie Agopian, autrice de littérature jeunesse. Objectif : une grosse animation par mois avec des animations satellites par ailleurs. Annie reçoit beaucoup d’illustrateurs et illustratrices chaque été et souhaiterait en profiter pour organiser des lectures dessinées. « Il y a longtemps que l’on attendait qu’il se passe quelque chose ici, assure-t-elle. Ma mère me racontait les épiceries, bar et boucherie de sa propre enfance au village, alors que moi je l’ai vu s’éteindre. Il y a d’énormes attentes d’animation de la part de la population et des jeunes qui s’installent. »

En juin, le Traouquet a organisé son premier vide-grenier qui a rencontré un beau succès. Les bénévoles ont la conviction d’être sur la bonne voie et tout le monde a des idées pour la suite. Karine envisage déjà des ateliers de yoga du rire et de la sophrologie. Prochaine étape : « pouvoir financer un emploi aidé pour pérenniser notre activité », espère le président. « Des gens de Campestre et d’autres villages aux alentours sont venus nous rencontrer pour comprendre comment on s’organise et envisager de créer un projet similaire pour leur village », se félicite Christine. Le nouveau vivre-ensemble porté par le Traouquet fera-t-il des émules ?

(1) Mot qui signifie petite venelle ou petit trou. Prononcer le T final.

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www.autraouquet.fr

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