[ LA BASCULE] Le lobby citoyen qui entend réinventer la société

Publié le mar 15/10/2019 - 14:43

Par Stéphanie Biju.

C’est dans le Morbihan, dans une polyclinique désaffectée de Pontivy que des étudiants, travailleurs, retraités et chômeurs se sont installés pour une durée variable de quelques semaines à quelques mois, afin d’ériger le lobby citoyen national La Bascule. La finalité ? Dans un cadre de gouvernance partagée, réinventer la société de demain et accélérer « la transition démographique, sociale et écologique ». Reportage au cœur d’un vaste chantier.

La Bascule a pris ses quartiers, « éphémères », dans une clinique désaffectée de Pontivy. Quelque 70 personnes ont choisi d'y mettre leur vie entre parenthèse pour servir ce lobby citoyen national, qui vise à accélérer la transition démocratique, écologique et sociale. Entre gouvernance partagée et sobriété heureuse, les Basculeurs entendent incarner le changement qu'ils veulent voir impulser à la société.

Derrière lui, un mur couvert de post-it. Dans une pièce autrefois dédiée à une chirurgie ambulatoire, Pierre enchaîne les coups de fil et les mails pour recruter de nouveaux bénévoles, lui plutôt habitué aux maths et à la physique. « Je cherchais une manière de me rendre utile pour la transition énergétique. Plus efficacement qu'en tant que chercheur », raconte ce jeune homme de 28 ans, un doctorat en énergies renouvelables tout juste en poche. « La recherche a peut-être du sens, mais elle demande du temps et… aujourd'hui, du temps, on n'en a plus ! »

Au début de l'été, Pierre, originaire de la région parisienne, a donc rejoint La Bascule. Un lobby citoyen impulsé en février dernier par Maxime de Rostolan. Sa vocation ? « Accélérer la transition démocratique, écologique et sociale, en réunissant les moyens humains et financiers disponibles pour propulser, catalyser et relier les initiatives engagées en ce sens ». Des initiatives nombreuses mais « qui se heurtent à chaque fois aux murs des institutions, aux non-sens des décisions politiques », regrette l'éco-entrepreneur et agro-écologiste (1), et dont l'idée est de « constituer une lame de fond citoyenne pour inverser le rapport de force et changer le système ».

Depuis mars, ce lobby a pris ses quartiers dans l'ancienne polyclinique de Pontivy, mis gratuitement et temporairement à sa disposition par le propriétaire. Trois semaines de chantier participatif ont été nécessaires pour redonner à ces locaux désaffectés un confort minimal. Aujourd'hui, La Bascule s'inscrit en lettres blanches sur le toit en tôle rouge du bâtiment. Des toilettes sèches et douches solaires ont été aménagées, 200 panneaux photovoltaïques, prêtés par la société AkuoCoop, fournissent l'électricité. A l'étage, les chambres des patients hébergent aujourd'hui une joyeuse coloc' de Basculeurs volontaires.

Pause déjeuner à La Bascule, où chacun peut communiquer ce qui lui semble important à tout le groupe. Photo : Gweltaz Rollando

1500 bénévoles partout en France

Si le lobby fédère 1500 bénévoles partout en France, ils sont quelque 70, comme Pierre, à avoir choisi de mettre leur vie entre parenthèse pour le servir à plein temps, et sur un temps plus ou moins long. Etudiants fraîchement diplômés ou non-bacheliers, cadre-dirigeant ou cuisinier, juriste ou demandeur d'emploi… « Je transforme mon chômage en revenu universel de transition. Comme cela devrait d'ailleurs exister pour les gens qui travaillent à construire une nouvelle société », assume ainsi Quentin Erades, travailleur social en recherche d'emploi, et de l'aventure depuis le début. Membre du réseau Together4Earth, engagé dans diverses luttes contre les inégalités, c'est pour lui « une question de moment ». « Les petits pas, c'est bien, mais j'avais le sentiment de ne plus assez avancer », estime celui pour qui « toutes les alternatives écolos et sociales qui existent doivent devenir la norme. Comme le bio pour notre alimentation ! ».

Avec ses murs repeints à la va-vite, ses meubles Emmaüs d'une autre époque, le « Quartier basculeur » (QB) de Pontivy a de faux-airs de squat. Ses résidents le présentent surtout comme une « Clinique de la Transition », où ils entendent incarner le changement qu'ils souhaitent pour la société.

« Oui, on est un mouvement politique. En revanche, nous sommes apartisans. Bobo ? Si être bobo, c'est être en condition de se poser des questions qui ont trait à l'environnement, à la justice sociale, à la réalité démocratique, alors oui, on l'est… Nous avons surtout la chance d'être du bon côté et de pouvoir nous permettre de prendre du temps, alors faisons-le ! ", martèle Maxime de Rostolan.

La Bascule fonctionne, en l'occurrence, en « Gouvernance partagée ». Ici, pas de dirigeant, tout le monde est à la même hauteur. Des élus, lors d'élections sans candidats, font le « lien » avec la cellule coordinatrice, le « keur », où sont prises les décisions. Dix ateliers de travail, appelés « organes », ont été définis. L'un réfléchit à de nouveaux outils numériques pour s'émanciper des Gafam (2), un autre à de nouveaux modèles d'entreprises et d'emplois, un pôle politique accompagne les citoyens qui souhaiteraient s'engager aux prochaines municipales, l'organe « Bascule au local », lui, anime les cellules qui essaiment sur tout le territoire. Comme à Bordeaux, Lyon, Nantes, Rennes, Pontivy… Car, « c'est au local, là on où habite, qu'on peut agir ; mais si on est tout seul à le faire, ça ne marche pas », estime Hélène Moreau, 49 ans, membre active de la cellule pontivyenne. « Jardin potager communal, cantines de quartiers, tiers-lieux… des solutions existent déjà et l'idée, c'est d'aider les maires à les mettre en place », précise celle à laquelle La Bascule « rend la parole! ».

Des coups de mains aux producteurs locaux, contre fruits et légumes

Au QB, quand ils ne travaillent pas, les Basculeurs tendent à une vie la plus autonome possible. Les œufs sont livrés chaque jour par Vanessa et Sarah, les deux poules de la maison, des tomates mûrissent sous une serre improvisée dans un couloir vitré, courgettes, radis et pommes de terre poussent dans un champ près du parking… Des partenariats ont été noués avec des entreprises pour récupérer des invendus ou produits déclassés. « Une à deux fois par mois, nous donnons aussi un coup de main aux producteurs du coin, en échange de fruits, légumes ou céréales », ajoute Quentin. Cuisine, ménage… Tout le monde met la main à la pâte, dans une participation consciente à la vie de la communauté. « Des tâches sont à prendre chaque semaine, à chacun de s'inscrire… et de s'y tenir », précise Philéas, le cuistot du moment. Au menu du jour : betterave râpée et pâtes à la sauce méditerranéenne.

En lui-même, ce premier QB fait « la démonstration que vivre et travailler différemment est possible », estime Quentin. Un chemin toujours apprenant, mais déjà probant pour Maxime de Rostolan. « Il n'y a pas de solution miracle à la crise que l'on traverse, mais c'est quand même un bon signal de voir que, dans un lieu désaffecté, des gens qui ne se connaissaient pas il y a six mois ont réussi à s'organiser, bossent et ont l'impression d'être utiles, dans le sens qui leur convient et sans chef ! ».

Photo ci-contre : Maxime de Rostolan, photo : Stéphanie Biju

En novembre, les Basculeurs devront quitter l'ancienne policlinique de Pontivy, destinée à devenir un Ehpad. Ils cherchent d'ores et déjà leur nouveau QB, avec une piste sérieuse du côté de Concoret, toujours en Bretagne. Tout nouveau « coloca-terre », qui aurait envie et pourrait consacrer de six semaines à un an à La Bascule, y sera le bienvenu.

  1. Maxime de Rostolan est le fondateur du réseau Fermes d'avenir et de la plateforme de financement participatif Blue Bees dédiée à l'agro-écologie

  2. Acronyme désignant les géants du web : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft

 

Plus d'infos :

www.la-bascule.org

www.université-du-nous.org

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