[INITIATIVE] Railcoop : Des citoyens reprennent le train en marche

Publié le mer 08/07/2020 - 13:00

Quid de la gare de Figeac, tant pour le fret que pour les voyageurs ? (Crédit : C.Pelaprat)

Par Christophe Pélaprat

Railcoop, premier projet coopératif ferroviaire de France, s’est donné pour mission de remettre le train au service de tous les territoires, y compris les plus enclavés. Un projet citoyen qui entend palier le désengagement de la SNCF, de l’Etat et des collectivités, notamment dans le Lot où l’abandon des lignes gagne.

Penser le transport différemment, telle est l'ambition de Railcoop, premier projet coopératif ferroviaire de France. L'objectif : une réappropriation citoyenne du rôle du train, dans toutes ses dimensions de service public. Une aventure inédite qui prend ses racines dans le Lot.

On ne pouvait faire plus symbolique : la gare de Cajarc fut l'un des arrêts de la ligne Cahors-Capdenac dans la vallée du Lot, supprimée dans les années 80, aujourd'hui destinée à être reconvertie en voie verte. Cajarc est aussi l'un des lieux emblématiques de Quercy Rail, qui anima avec brio ce bout de voie ferrée jusqu'en 2004 avec son train touristique ; l'association défend toujours la sauvegarde de ce patrimoine ferroviaire et se bat contre l'abandon de la ligne.

C'est donc là que s'est créée Railcoop, le 30 novembre 2019, la première société coopérative d’intérêt collectif (Scic) dédiée au ferroviaire en France et, à priori, en Europe. Son but : remettre le train au service de tous les territoires.

 

Le rail comme un bien commun

Railcoop est née d'une conjonction de volontés. Aux convictions locales de Quercy Rail se sont ralliées celles de personnes préoccupées par les défis environnementaux et sociétaux, venues aussi du monde du rail, de l'entreprise, ou encore simples usagers du train. Nicolas Debaisieux, ingénieur fonctionnaire d'Etat aujourd'hui directeur général de Railcoop, a travaillé sur les questions climatiques dans plusieurs institutions : « le réseau ferré est douze fois moins polluant que la route, c'est un potentiel largement sous-utilisé, qui évite de consommer de nouveaux espaces ». « La fermeture du fret en 2008 a jeté des milliers de camions sur les routes, dénonce pour sa part Romain Bailly qui, après avoir conduit tous types de trains, a vécu la disparition de multiples services ferroviaires. L'offre recule pour les voyageurs, certaines villes sont complètement déconnectées, alors que sur la carte du réseau ferré de 1920 n'importe quel village était relié à une capitale. » Tous deux ont réfléchi à la création d'un nouvel opérateur ferroviaire. Puis à ces réflexions se sont ajoutées d'autres interrogations sur le devenir de la ligne Figeac-Rodez. Enfin, convaincus de la nécessité d'un nouveau modèle, ils se sont tournés vers le monde coopératif et ont rencontré Dominique Guerrée, devenu président du conseil d'administration de Railcoop.

Celui-ci, rompu à l’économie sociale et solidaire, est l'un des membres fondateurs de Céléwatt, un parc photovoltaïque citoyen à Brengues, non loin de Cajarc. Comme dans le domaine de l'énergie où fleurissent les projets collectifs, l'idée est de se réapproprier le rail comme un bien commun : « notre modèle, c'est Enercoop, la coopérative d'énergies renouvelables. On se met ensemble pour créer les services dont on a besoin. »

 

Offres de transport alternatives

Les premières réunions de la Scic, hébergée dans la pépinière d'entreprises Calfatech, près de Figeac, ont déjà permis de croiser de multiples intérêts partagés. À Railcoop, chaque sociétaire (particulier, personne morale, entreprise ou collectivité) peut faire valoir ses besoins de territoire, proposer de réinvestir des infrastructures mal utilisées, des lignes délaissées... Une vraie boîte à outils sur le ferroviaire. À l'avenir, des collectifs locaux partout en France pourront ainsi élaborer leurs propres projets. « Moi-même usager intensif du train et consultant en développement durable, je m'intéresse à la relance du ferroviaire et aux trains de nuit qui n'existent presque plus en France, et pour lesquels il faut réinventer du matériel, témoigne Alain Tord, l'un des premiers coopérateurs. Railcoop entend revaloriser ce type de potentiel. Notre partage de compétences permet d'avoir une bonne connaissance des enjeux et des difficultés, et d'être solide techniquement... Dans une ambiance sympa, c'est une aventure ! »

Première piste identifiée par Railcoop : la ligne Bordeaux-Lyon, principale « transversale » française. Recréer cette liaison, supprimée en 2015, serait un premier pas démonstratif pour la Scic. Elle pourrait proposer à nouveau un train direct entre ces deux métropoles (trois liaisons quotidiennes seraient envisagées), par des lignes classiques moins coûteuses que la grande vitesse, mais aussi de nombreuses combinaisons de correspondances sur les territoires traversés, aujourd'hui désertés par la SNCF. « Nous pouvons être rentables sur cette offre-là car la clientèle existe, explique Nicolas Debaisieux. Ce sera notre ligne test ».

D'autres trains sont à l'étude, là où Railcoop identifie des liaisons aériennes très fréquentées, là où s'intensifie le trafic routier : autant d’opportunités de proposer des offres de transport alternatives par le rail. Un projet de dessertes locales est discuté avec des collectivités du Livradois-Forez, en Auvergne, qui souhaitent renforcer le train sur leur territoire. Et entre Toulouse et Figeac, la réflexion porte sur des lignes de fret, en concertation avec des entrepreneurs chargeurs. Dans cette perspective, la Scic rappelle le potentiel de la liaison Cahors-Capdenac : « une voie pertinente pour la relance du fret sur le secteur, la seule à pouvoir accueillir des trains de plus de deux mille tonnes ».

 

Mobiliser 3000 sociétaires en 2020

Cette quête d'un meilleur service public est paradoxalement rendue possible par l'ouverture à la concurrence du marché ferroviaire prévue en décembre 2020. Mais comment une jeune coopérative pourra-t-elle se positionner parmi des poids lourds du ferroviaire français et européens – une dizaine à investir potentiellement ce marché, et prétendre rentabiliser des lignes jugées non viables par la SNCF ? « Ce sont surtout des choix politiques qui ont désigné de nombreuses lignes comme non rentables, en considérant depuis les années 90 que seul le TGV était viable, répond d'emblée Nicolas Debaisieux. Mais il y aura de nombreux marchés pertinents pour nous si nous répondons aux besoins des usagers. Nous serons plus complémentaires que les gros concurrents de la SNCF en étant les seuls à proposer certains services : des dessertes locales, des arrêts plus nombreux, des trains de nuit, une restauration de qualité... » « Nous devons rendre le train plus attractif et inciter les gens à revenir à la gare, complète Romain Bailly. Pour nous, le train doit être une expérience. Nous allons pour cela jusqu'à étudier de nouvelles voitures avec le constructeur Alstom. »

Tout en misant sur des lignes financées par le nombre d'usagers, Railcoop pourra par ailleurs réaffecter de l'argent sur d'autres liaisons moins viables. « Notre modèle de réinvestissement (87,5 % des bénéfices d'une Scic doivent rester dans l'entreprise et être consacrés à de nouveaux projets) nous permettra de prendre des risques sur des dessertes locales, précise le directeur. De plus, une Scic n'a pas pour objectif de rémunérer des actionnaires. Et nous n'aurons aucun actif, ni bâtiments, ni matériel... Celui-ci sera loué. »

Reste à concrétiser ce projet fou. Un premier capital social de 110 000 €, apporté par quelque 300 sociétaires, autorise déjà Railcoop à être opérateur ferroviaire, dans une certaine limite. Mais la Scic préfère viser un statut complet, qui lui permettra le transport de voyageurs et de fret sans restrictions. Pour cela, 1,5 million d’euros est nécessaire et une levée de fonds est actuellement en cours, afin de mobiliser 3 000 sociétaires. D'autres apports sont attendus de la part de collectivités. Des titres participatifs ainsi que des emprunts bancaires devraient enfin compléter le financement.

Railcoop réussira-t-elle à faire circuler des trains à partir de 2022, et insuffler un nouveau sens à la mobilité ferroviaire ? Les sociétaires, qui rêvent de remettre des trains sur les rails, veulent y croire.

 

Plus d’infos : railcoop.fr

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