[EN CHANTIER] : Le Bel Espoir s’offre une seconde vie

Publié le ven 04/12/2020 - 13:00

L'équipe en charge du rouf, en pleine construction. Crédit : M. Boquen

Par Manon Boquen

La voile, l’association les Amis de Jeudi Dimanche (AJD), créée par le père Michel Jaouen, en a fait sa raison d’être. Sur leur chantier naval de Lannilis dans le Finistère, stagiaires, formateurs et bénévoles s’activent pour mettre en route leur bateau : un nouveau navire du même nom, Le Bel Espoir. Un chantier où règnent la mixité et l’autonomie.

Imperturbables, les regards concentrés sur l’ouvrage, Manon et Mathilde s’interrogent : « On fait comme ça, tu crois ? » puis commencent à tailler une barre de bois. Celle-ci prendra place sur la pièce sur laquelle elles travaillent depuis quelques semaines : le rouf d’un bateau, cette petite construction surélevée sur le pont des navires. Et pas n’importe quel bateau puisque cet abri de bois agrémentera le Bel Espoir, le nouveau trois-mâts de l’association les Amis de Jeudi Dimanche (AJD), créée en 1951 par le père Michel Jaouen, Jésuite aujourd’hui décédé, qui souhaitait faire de la navigation un tremplin pour les jeunes exclus de la société.

« L’ancien Bel Espoir, qui avait été acheté par Michel Jaouen en 1968, avait bien vécu. Lorsqu’on l’a amené en chantier il y a quatre ans, il a glissé et s’est complètement cassé », pointe Sacha, formateur du chantier naval Le Moulin de l’Enfer à Lannilis sur l’atelier métal, usinage et soudure. Échoué sur la cale du chantier après presque cinquante années de bons services et 13 000 passagers à son bord, le navire en bois est maintenant dépollué par l’équipe de l’AJD. Certains de ses matériaux, comme le plomb, sont même réutilisés pour le nouveau voilier dans lequel l’association a investi. Souriant, Sacha observe la goélette imposante de 37 mètres faisant face à son prédécesseur : « Nous sommes maintenant à plein régime sur le nouveau Bel Espoir », s’exclame-t-il, avant de retourner à son atelier continuer les travaux. Le bateau neuf aura toujours cette vocation sociale voulue par le père Jaouen, en permettant à des jeunes de tous horizons de trouver une porte d’entrée vers la vie active. Formateurs, les séjours en mer le seront d’ailleurs tout autant sur le plan professionnel que social puisque les traversées laissent le temps à l’équipage de vivre une aventure ensemble, d’apprendre se connaître et à communiquer.

Apprendre en faisant

Sur ce bout de chemin au bord de l’Aber Wrac’h, ria typique du nord Finistère, une haute bâtisse de pierres surplombe la cale à bateaux. À l’intérieur, le chantier naval se déploie sur trois étages. Dans un des ateliers du rez-de-chaussée, Palmyre, les mains dans le cambouis, tente de réparer un moteur de bateau. « C’est la première fois que je fais cela. J’ai envie d’apprendre à le retaper », explique la stagiaire de 27 ans, arrivée sur le chantier depuis un mois. Pendant un an, cette enseignante de voile, qui souhaitait développer ses compétences en mécanique, a patienté « et appelé encore et encore » pour avoir sa place en stage à l’AJD.

« On doit avoir une liste d’attente de soixante personnes », chiffre Dadou, des cheveux bruns coupés au bol et des lunettes rondes, formateur multitâche. « Ce qui attire je pense, c’est l’accessibilité technique. » Ici, en effet, pas de prérequis demandés, simplement de la motivation. Pour les stages – qui durent six mois - les moins de vingt-six ans sont privilégiés pour une étape de préprofessionnalisation, une première expérience dans des milieux aussi variés que la menuiserie, le soudage ou la voilerie avant de potentielles formations dans ces secteurs. Les stagiaires peuvent ainsi voguer au gré de leurs envies et de ce qu’ils souhaitent apprendre. Dadou ajoute : « Le message que l’on veut faire passer ici, c’est que, pour arriver à ses fins, il faut se bouger. C’est pour ça qu’on leur donne beaucoup d’autonomie. »

Favoriser la mixité

À sa création en 1951, l’association du Père Michel Jaouen – à l’époque appelée Aumônerie de la Jeunesse Délinquante - visait avant tout un public marginalisé, de jeunes sortis de prison ou anciens consommateurs de drogues en rémission. Au fil des années, les lignes ont bougé. « Nous valorisons des profils variés, avec des gens qui vont bien et d’autres moins bien, indique Manon, membre du bureau de l’association qui comprend treize salariés dont neuf formateurs. Les séjours mêlent ces personnes très différentes, ce qui leur permet de faire des rencontres, de sortir de leur cercle habituel. » Que ce soit sur le chantier naval ou lors d’excursions sur les navires de l’AJD – le Bel Espoir ou le Rara Avis – tout ce petit monde se mélange et noue des liens, parfois très forts.

Sous le plafond de la bâtisse des Moulins de l’Enfer, Aurore et Prune - 25 ans toutes les deux - raccommodent une voile abîmée. Arrivées il y a six mois, et après avoir navigué avec l’association tout l’été, elles ont appris à se connaître au point de prévoir pour l’hiver, avec trois autres stagiaires, un aller-retour en bateau aux Canaries. « Pour amener une amie » clament-elles en cœur. Aurore, devant sa machine à coudre, poursuit : « Personne n’a envie de partir une fois arrivé ici ! C’était l’occasion de mener une aventure tous ensemble. »

Sur ce chantier naval d’un autre genre, l’amitié et la complicité font partie du décor. L’ouverture aussi. À l’heure de la pause-café matinale, entre les stagiaires et formateurs venus discuter, Julien, bonnet jaune et sac sur le dos, se mêle au groupe. « Je suis arrivé un peu par hasard, je viens d’accoster juste à côté. Ça tombait bien, j’avais besoin d’aide sur des ficelles de bateau », s’amuse le voyageur de 27 ans, qui donne l’impression d’être un membre de l’association à part entière. Après avoir obtenu les conseils qu’il cherchait, le voilà pourtant reparti sur l’eau pour continuer son périple tandis que l’équipe se remet à la tâche. Le nouveau Bel Espoir et ses quarante places à bord n’attendent pas et tous rêvent de pouvoir le voir à l’eau en 2021.

Reprendre confiance

Si l’équipe souhaite voir le trois-mâts naviguer et tâche donc d’avancer, le chantier de l’AJD a la particularité de ne pas avoir besoin d’être rentable puisque l’association travaille sur ses propres bateaux et vit exclusivement de dons privés. « Ce qui est privilégié, c’est l’empathie dans l’esprit de Michel Jaouen », s’émeut Jean-Yves, bénévole de 63 ans et ancien ébéniste, venu prêter main forte pour les travaux du Bel Espoir. « Nous travaillons dans un cadre idyllique, assure celui qui s’est tourné vers l’association après un accident l’ayant rendu handicapé. On retrouve de l’espoir et de la vie, tout simplement. »

Pour les stagiaires comme pour les bénévoles, la liberté de choisir ses ateliers et de travailler ce qui leur plaît est privilégiée, chacun avançant à son rythme. En pleine construction du rouf du navire, Mathilde et Manon engrangent des connaissances sur la menuiserie. « Dans le cadre scolaire, j’avais toujours la sensation d’être inférieure, en bas de l’échelle, déplore la première, qui étudiait la biologie marine. Ici, nous sommes dans un échange perpétuel et ça me plaît. » De son côté, Manon, auparavant cheffe de chantier naval, est venue pour apprendre du concret « car je ne me sentais pas légitime de diriger sans savoir-faire », avoue-t-elle. À 24 et 26 ans, toutes deux évoquent la confiance retrouvée après quelques semaines passées au chantier car ici, l’erreur est une force et fait avancer.

« Se poser pendant six mois pour réfléchir à ce que l’on souhaite faire, cela vaut de l’or », abonde Nico, formateur en voilerie depuis cinq ans, qui reconnaît la fibre sociale nécessaire à son métier à l’AJD. Notre regard sur l’humain est différent. Je prends les jeunes tels qu’ils viennent, sans regarder leur dossier à leur arrivée. » Avec bienveillance, il s’en va aider un nouveau venu se démenant avec un boute à tresser pour le Bel Espoir. Les choses avancent à leur rythme pour que chacun y trouve un nouveau souffle.

Plus d’infos :

Les Amis de Jeudi Dimanche sont toujours à la recherche de dons pour avancer sur le chantier : http://www.belespoir.com/

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