[DOSSIER] Multiservice, tiers-lieux... le renouveau des campagnes

Publié le lun 05/04/2021 - 07:07

Crédit : Pixabay

Par Quentin Zinzius

Territoires longtemps oubliés par les politiques publiques, les campagnes se sont progressivement vidées de leurs commerces et services. Et alors que la vie rurale devient le nouvel idéal de beaucoup de Français éprouvés par les confinements, citoyens et collectivités tentent tant bien que mal de faire revivre leurs territoires.

 

Avec le premier confinement et l’instauration du télétravail, de nombreux franciliens et autres habitants des grandes métropoles ont quitté leurs petits appartements pour profiter de la campagne et de ses grands espaces. Un mouvement de population soudain, qui pourrait pourtant bien devenir une nouvelle norme. Selon une étude de « Paris, je te quitte »[1] réalisée en mai 2020, 42 % des Franciliens seraient même prêts à quitter la capitale « dès que possible », pour un environnement « moins stressant, et plus proche de la nature ». Une envie partagée à l’échelle nationale, puisque selon le dernier sondage Ifop [2] pour l'association Familles Rurales, datant de 2018, 81 % des Français souhaitent vivre à la campagne. Pourtant, selon ce même sondage, la vie à la campagne n’est pas des plus faciles : la majorité des ruraux (51 %) s’estiment abandonnés par les pouvoirs publics, et font face à la disparition de nombreux services, pourtant essentiels.

Une désertification longue et douloureuse

Bien que l’exode rural se soit terminé vers la fin des années 60, la situation ne s’est depuis guère améliorée. Les effets de ces mouvements de population vers les villes se sont fait ressentir jusqu’à la fin des années 90, avec la disparition de 25 à 30 % des petits commerces alimentaires de proximité en territoires ruraux, selon diverses études sur le sujet 3]. Un déclin qui s’est poursuivi dans les années 2000 pour les communes situées en dehors de l’influence des métropoles[4]. Aujourd’hui, une commune rurale sur deux ne possède pas de commerce de proximité. Et les commerces n’ont pas été les seuls à en pâtir : les services publics, notamment les écoles, hôpitaux et cabinets médicaux, ont également disparu[5]. Aujourd’hui en milieu rural, il faut bien souvent compter plus de 20 min de trajet en voiture pour accéder à un de ces services de la vie courante.

Et l’État dans tout ça ?

Quant à l’État, il peine à réagir. Une première tentative est lancée en 2013 avec les « Ateliers de territoires », ayant pour objectif de les redynamiser en intégrant les citoyens à des projets territoriaux, comme la gestion de l’eau ou la transition écologique. Mais les moyens mis en place sont limités : seuls 78 sites ont profité du plan en 13 ans d’existence. Ce n’est finalement qu’en 2019 que l’État s’est résolu à venir en aide aux petites communes rurales, avec le programme des « Petites villes de demain ». Objectif : financer à hauteur de 3 milliards d’euros et jusqu’en 2026 la transformation des petites villes et intercommunalités de moins de 20 000 habitants, situées en milieu rural, pour qu’elles s’inscrivent dans « la relance, la transition écologique et la résilience » [6].

Un plan jugé ambitieux par l’Association des maires de France (AMF) et ses membres, mais qui soulève beaucoup d’interrogations. « On a beaucoup d’attente sur ce projet, il nous permettra à terme de reprendre des commerces et réhabiliter des logements » explique Constance de Pélichy, maire de la Ferté-Saint-Aubin (45) et membre de l’AMF. « Mais pour le moment on a plus de questions que de réponses. Lancer des projets en même temps dans plusieurs centaines de communes est un pari risqué : on a besoin d’un accompagnement sérieux de l’État dès maintenant et sur toute la durée du plan » explique l’édile. Les contraintes administratives et juridiques font également craindre à l’élue une perte de temps inutile. « L’État nous met la pression pour commencer les démarches, mais si pour chaque projet il y a une pile de dossiers à remplir, les retards vont s’accumuler. »

Une prise en main locale

Mais de nombreux élus et citoyens n’ont pas attendu l’État pour prendre les choses en main. Un peu partout en France, des tiers-lieux fleurissent, comme à Plouray (56), en Bretagne, où un ancien couvent abandonné est transformé en tiers-lieu par le collectif citoyen la Bascule Argoat. En pleine rénovation, le site accueille ses premiers bénévoles, et a pour objectif de devenir un lieu de vie collectif, tourné vers l’écologie et la démocratie participative. Ailleurs, ce sont les communes qui font le choix de sauver leurs commerces et services, à tout prix. C’est le cas de la mairie de Martres-de-Rivières, petite commune de 400 âmes en Haute-Garonne. Située en territoire rural, très éloignée de la première grande ville (Tarbes, à 60 kilomètres à l’ouest), le petit village est pourtant prospère, et gagne régulièrement des habitants. Un dynamisme permis par l’engagement de la mairie, qui entretient une boucherie multiservices, une épicerie, une boulangerie et une poste depuis 2004. « Ces commerces ont été une bouffée d’oxygène pour le village. Des habitants des villages alentours viennent même y chercher leur pain ! », s’étonne Jean-Paul Salvatico, le maire du village. En plus d’apporter une multitude de services aux habitants du bourg et des alentours, la création de cette polarité commerciale et sociale a permis la création de 8 emplois. Et la mairie ne compte pas s’arrêter là. « On est en plein dans les travaux de rénovation de l’école, qui scolarise une vingtaine d’enfants chaque année » explique le maire. Avec ces nouveaux locaux, il espère voir arriver de nouveaux habitants très prochainement.

Martres-de-Rivière n’est pas la seule commune à avoir repris son destin en main. Dans la Meuse, la commune de Consenvoye a suivi le même exemple, en reprenant en 2013 sa station-service, menacée de fermeture. La municipalité gère également une épicerie et une agence postale, et fournit gracieusement des locaux à un kinésithérapeute et une infirmière. Résultat, la population de la commune est une des rares du secteur à augmenter et se rajeunir. Pour d’autres communes, la revitalisation passe aussi par la transition écologique. En Bretagne, le village de Langouët (35) a misé sur la lutte contre les pesticides, l’alimentation bio et les habitats écologiques. Et les résultats sont là : alors que la commune ne compte que 600 habitants, la mairie reçoit chaque année plusieurs centaines de demandes d’installation.

Mais malgré ces initiatives prometteuses, les campagnes ne sont pas sorties d’affaire. De nombreux commerces, notamment les cafés, bars et autres restaurants, n’ont pas levé le rideau depuis plusieurs mois en raison de la crise sanitaire, et risquent de ne pouvoir jamais rouvrir, alors qu’ils sont souvent le seul lieu de vie et de rencontre des villages.

 

  1. Source : Étude d’impact du confinement à Paris. Paris je te quitte, mai 2020.

  2. Source : Perceptions et réalités de vie en territoires ruraux. Sondage Ifop, octobre 2018.

  3. Source : Céline Massal, « La fin des commerces de proximité dans les campagnes françaises ? », Géoconfluences, avril 2018.

  4. Source : Le commerce de proximité. Gwennaël Solard, Insee, 2010.

  5. Source : Baromètre santé-social, décembre 2020.

  6. Source : Agence nationale de la cohésion des territoires.

 

Plus d'infos : www.francetierslieux.fr

www.cohesion-territoires.gouv.fr

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