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Par Quentin Zinzius
A l’heure où les conséquences du réchauffement climatique sur la planète et sur l’espèce humaine sont de plus en plus documentées et étudiées, un mal-être invisible a fait son apparition : l’éco-anxiété, ou peur de l’effondrement écologique. Source de remise en question, et parfois même d’une dégradation de la qualité de vie, ce nouveau mal pourrait-il anéantir nos efforts pour rendre le monde plus écologique ?
Chaleurs extrêmes, catastrophes naturelles à répétition, famines, pandémies… Tel est l’avenir décrit par le dernier rapport du Giec si rien n’est fait pour enrayer la crise climatique. Un avenir peu enviable, pour ne pas dire carrément hostile. Et face à l’hésitation perpétuelle des politiques à prendre ce virage à 180° vers la transition et la résilience – pourtant urgent et indispensable – comment ne pas craindre pour nos vies et celles de nos enfants ? Cette peur d’un éventuel effondrement écologique, nommée éco-anxiété, se propage dans le monde entier depuis quelques années. D’après une étude parue en septembre dans la célèbre revue médicale The Lancet Planetary Heath et réalisée sur plus de 10 000 personnes dans dix pays différents, près d’un·e jeune sur deux âgée de 16 à 25 ans souffrirait d’éco-anxiété (1). « C’est une sorte de voile noir qui est tombé sur le monde », s’inquiète la thérapeute Charline Schmerber.
Les nouveaux maux
Outre l’éco-anxiété, un autre mal est apparu en réaction à la dégradation de l’environnement, mais avec une temporalité différente : la solastalgie. « La solastalgie intervient de manière rétrospective, c’est-à-dire une fois que les dégâts sont visibles. C’est une sorte de nostalgie », explique Charline Schmerber, spécialiste de ces deux troubles. Ce mal affecte donc généralement les personnes confrontées directement à la destruction de l’environnement, comme les peuples autochtones, les scientifiques et autres agents de terrain. « L’éco-anxiété est quant à elle plus prospective et projette la personne dans un avenir peu rassurant », reprend la spécialiste. Mais finalement, les symptômes de ces deux troubles sont globalement identiques : « du stress, parfois jusqu’à la crise de panique, mais aussi des pertes d’appétit, des problèmes de sommeil, des difficultés à créer des liens sociaux, voire des burnout », énumère la thérapeute, régulièrement confrontée à des personnes éco-anxieuses dans son cabinet de Montpellier.
Un mal invisible
Mais nous ne sommes pas tous égaux face à l’éco-anxiété et les symptômes diffèrent d’une personne à une autre, comme le montrent nos entretiens avec des membres du groupe Facebook « Transition écologique et éco-anxiété : groupe de soutien » qui ont accepté de témoigner. Stéphane*, Bordelais de 30 ans, se sent par exemple « un peu privilégié » à cause de l’absence de symptômes « exceptionnels », tout en reconnaissant tout de même être stressé par l’actualité. « J’ai récemment acheté une maison qui sera potentiellement en zone inondable dans quelques années. Avec les récentes inondations en Allemagne, ce stress revient », avoue-t-il. Lléna Connan, étudiante en histoire de 23 ans, décrit quant à elle son symptôme principal comme un « malaise social ». « J’avais du mal à accepter la non-prise de conscience de ma famille et de mes amis », raconte-elle. Un sentiment partagé par Véronique de Vos, 57 ans. « Quand je parlais d’écologie et d’effondrement, on me prenait pour une folle, témoigne cette artiste bruxelloise pour qui le mal a pris des proportions plus importantes. J’avais des angoisses monstres, je me sentais coupable pour mes trois enfants. Je n’étais pas prête à recevoir cette information (de l’effondrement écologique, NDLR) ». Une étape que la thérapeute Charline Schmerber assimile à un « éveil écologique traumatogène ». « La personne prend tout d’un coup conscience du désastre écologique à venir et présente les mêmes symptômes qu’une personne ayant subi un traumatisme important », explique-t-elle.
Émotions contraires
Une situation bien connue d’Alice Desbiolles, docteure en santé environnementale, une des premières spécialistes à s’être intéressée au phénomène (lire interview). « La première manifestation de l’éco-anxiété est généralement concentrée sur une seule problématique écologique, par exemple le traitement des déchets, explique-t-elle. Puis la personne se renseigne et se rend compte que tous les problèmes sont liés. Sa peur devient alors systémique et elle finit submergée par les émotions. » Colère, peur, tristesse, irritabilité… Chaque personne réagit à sa manière. « Je me souviens avoir fondu en larmes devant un composteur parce qu’il n’y avait pas la place pour y déposer mes déchets », témoigne Lléna Connan. « Pour moi, c’est surtout de la colère, à l’égard de nos dirigeants et de ceux qui ne comprennent pas la situation, affirme Rose de son côté. Parfois, j’ai envie de tout quitter pour vivre à l’écart de la société ! » Une instabilité émotionnelle sur laquelle travaille particulièrement Oriane Chamoreau, psychologue installée près de Nantes, pour aider ses patients. « Il faut accepter ses émotions, ne pas chercher à les éviter ou les juger. En leur laissant de la place, il est possible de comprendre pourquoi elles se manifestent puis d’en faire une force », souligne cette spécialiste en thérapie comportementale et cognitive.
Un diagnostic difficile
Mais ces symptômes sont communs avec de nombreuses autres pathologies, ce qui rend parfois compliqué le diagnostic de l’éco-anxiété. « Beaucoup de personnes ne savent pas qu’elles en sont atteintes. Elles en ont les symptômes mais n’en connaissent pas forcément la source », confirme Oriane Chamoreau. C’est notamment le cas de Rose (2). « Je me sentais désespérément seule. J’avais même du mal à sortir de chez moi », raconte cette professeure des écoles en Bretagne. Je m’infligeais une pression constante, toute la journée. Faire attention à ce que je mange, à ne pas polluer, à ne pas produire de déchets… C’était extrêmement énergivore ! » C’est finalement la lecture d’un livre (« Comment rester écolo sans devenir dépressif ») qui lui a permis de découvrir son éco-anxiété. « Ça m’a soulagée de pouvoir mettre un nom sur ce qui me ronge et permis de relativiser, de comprendre que je n’étais pas seule », explique la jeune femme. « A part quelques livres sur le sujet, il n’y a pas vraiment d’outils pour la déceler. L’ensemble des psychologues et thérapeutes n’est pas forcément au courant de ce trouble », complète Oriane Chamoreau.
Jeunesse et parentalité
Il existe malgré tout un point commun entre la majorité des personnes atteintes d’éco-anxiété : la parentalité. « C’est quelque chose de récurrent dans le profil de mes patients : il s’agit souvent de jeunes adultes ayant ou voulant des enfants, constate la psychologue, qui reconnaît d’ailleurs elle-même avoir découvert l’éco-anxiété lors de la naissance de sa fille. J’ai été ma première patiente, en quelque sorte. », ironise-t-elle. Charline Schmerber est du même avis. « Les jeunes gens sont souvent plus concernés parce que leur avenir est en jeu. Ils sont à un moment charnière de leur vie, entre la volonté ou non de faire des enfants, le choix d’un travail écologique ou non. Ce sont autant d’aspects qui suscitent le doute et l’interrogation. » Lléna, Véronique et Rose témoignent d’un vécu similaire : « quand je suis tombée enceinte, j’ai eu l’impression d’aller dans le sens contraire de mes convictions : entre la pression démographique et le poids carbone, faire un enfant était pour moi un non-sens, qui s’est vite matérialisé par des regrets », avoue la première. « Si j’avais su avant d’avoir mes trois enfants quel monde j’allais leur laisser, je pense que j’aurais pris une toute autre décision », renchérit la deuxième. « J’essaye de sensibiliser au maximum ma fille et mes élèves, mais j’ai toujours peur pour eux, peur de la fin du monde », ajoute la dernière.
Rompre l’isolement
Alors, quelles solutions existent pour les aider à lutter contre l’éco-anxiété ? Pour Alice Desbiolles et ses consœurs, la première étape est de ne pas rester dans l’isolement. « En trouvant des semblables, des personnes qui se posent les mêmes questions, il devient possible d’y réfléchir ensemble, de se soutenir, de chercher des réponses », explique Oriane Chamoreau. La psychologue participe d’ailleurs avec d’autres thérapeutes de la région de Nantes à l’organisation de groupes de parole à destination de personnes éco-anxieuses. « Nous sommes encore dans une démarche de réflexion, nous cherchons des solutions, concède-t-elle. Mais c’est une piste prometteuse. » Une unité de recherches sur l’éco-anxiété afin de trouver un « mode d’intervention approprié » devrait également voir le jour prochainement dans l’agglomération nantaise.
En attendant, les personnes éco-anxieuses elles-mêmes se sont organisées. Sur les réseaux sociaux, de nombreux groupes de soutien se sont créés pour partager son expérience, mais aussi ses solutions face à l’éco-anxiété. « Personnellement, ça m’a beaucoup aidé, témoigne Stéphane. Grâce à ces groupes, j’ai compris que mon anxiété pouvait être une force et j’ai maintenant envie de passer à l’action ! »
Agir
Car agir est bien la seconde partie de la solution. « Les émotions générées par l’éco-anxiété sont d’une force incroyable et, lorsqu’elles sont comprises, il devient possible de les utiliser à notre avantage, pour entrer en mouvement, en action », suggère Alice Desbiolles. « Il y a des choses qui bougent ! Il y a de l’espoir ! Et c’est vers cela qu’il faut s’orienter », affirme Charline Schmerber. Pourquoi pas, par exemple, s’investir dans des collectifs et associations locales comme les Villes en transition, Greenpeace, la LPO, Extinction Rebellion… ou encore s’engager dans une démarche zéro déchet, favoriser les producteurs locaux, privilégier les transports en commun... « Ces actions concrètes permettent de se reconnecter à ses valeurs, à la nature, de se centrer sur quelque chose qui compte à nos yeux et à notre niveau », souligne Oriane Chamoreau.
Des conseils suivis à la lettre par les différentes personnes interrogées, avec des retours plutôt positifs. « Je privilégie les circuits courts, les couches lavables et les achats de seconde main. Ça m’aide à garder le cap ! » rapporte Lléna. « Je vis depuis peu en écoquartier, ce qui m’aide à tenir la tête hors de l’eau, et mon travail de professeure également a une importance car il me permet de planter des graines dans l’esprit des prochaines générations », raconte Rose. « L’important est d’agir à son niveau, à son échelle, et de se reconnecter au moment présent, afin d’imaginer un autre futur que celui qui nous est dessiné », préconisent à l’unisson les trois spécialistes. Car c’est bien ce que nous faisons aujourd’hui, qui déterminera comment sera demain.
Note de bas de page :
(1) papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3918955
(2) Plusieurs témoignages ont été recueillis de manière anonyme. Les prénoms des personnes ont donc été modifiés.