[DOSSIER] Alice Desbiolles : « Etre éco-anxieux est salvateur »

Publié le lun 08/11/2021 - 11:00

Propos recueillis par Quentin Zinzius

Alice Desbiolles est docteure en santé environnementale, spécialisée dans l’étude de l’impact des changements environnementaux sur la santé humaine. Autrice du livre « Eco-anxiété, vivre dans un monde abîmé », elle décrit ce « mal du siècle » comme une opportunité pour se mettre en action.

Vous êtes une des premières scientifiques à vous être intéressée à l’éco-anxiété. D’où vient ce choix ?

J’ai toujours été très intéressée par l’impact du changement environnemental global – et pas seulement climatique – sur la santé humaine. C’était une curiosité à la fois académique et scientifique qui m’a amenée à découvrir les concepts de solastalgie, puis d’éco-anxiété. Mais tous deux étaient encore très peu développés lorsque je faisais mes études. Il est important de comprendre que l’éco-anxiété n’est pas apparue du jour au lendemain : c’est une sensibilité qui existe depuis très longtemps. D’ailleurs, les premières études sur le sujet concernent des peuples autochtones d’Australie ayant vécu la destruction de leur environnement à cause d’une sécheresse extrême et de l’exploitation d’une mine de charbon au début des années 2000.

Faut-il forcément être exposé à un problème d’ordre écologique pour qu’elle se manifeste ?

Non pas forcément. Aujourd’hui, alors que peu de personnes sont exposées directement à la destruction de leur environnement, le nombre de personnes éco-anxieuses ne cesse d’augmenter. D’ailleurs, les plus concernés par ces troubles sont les jeunes. Pourtant, c’est certainement une des générations les plus déconnectées de la nature de l’histoire. Personne ne naît éco-anxieux et tout le monde n’y est pas confronté de la même manière. Mais il est clair que l’éco-anxiété est une conséquence sanitaire du changement climatique, et nous avons tous le potentiel de le devenir. Car c’est un cheminement parfaitement rationnel – ou empirique pour les personnes confrontées directement à la destruction de leur habitat – que de percevoir les menaces et de vouloir s’y préparer. Je dirais même qu’être éco-anxieux est salvateur, car sans personnes sensibles à l’état de l’environnement, la planète risque de devenir rapidement inhabitable.

L’éco-anxiété aurait donc deux facettes : l’une négative, l’autre positive ?

Exactement, car elle porte une dimension existentielle très forte : elle influe sur nos désirs, nos besoins, et décuple des émotions importantes comme l’empathie, mais aussi d’autres, plus problématiques, comme la peur et la culpabilité. Le tout est de savoir se remettre à son juste niveau, ne pas s’hyper-responsabiliser sur des sujets où l’action individuelle ne porte que peu de sens. Une personne n’a pas la charge, à elle seule, de sauver le monde ! Cette tâche incombe aux États et gouvernements. C’est à eux d’agir et de prendre les décisions qui nous permettront d’éviter un effondrement écologique.

En cela, l’éco-anxiété mériterait de devenir politique ?

De manière générale, je pense que tout ce qui a trait à notre santé est politique. Les différents rapports, tous ces graphiques sur les évolutions climatiques, sont des processus très scientifiques et objectifs. Ils n’ont pas pour rôle de déclencher des émotions. C’est très bien pour comprendre la situation et ce qu’elle sera à l’avenir, mais c’est de toute évidence insuffisant pour générer des réactions politiques fortes. Car la prise de décisions passe avant tout par les émotions. Elles seules peuvent devenir motrices d’une mise en action non seulement citoyenne, mais aussi des gouvernements et des institutions entières. Il n’y a que de cette façon que nous pourrons dire : « regardez, grâce à nos actions, la Terre de demain sera toujours vivable ».

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