[ Agriculture ] Alpes-Maritimes : le retour de l’agriculture locale

Publié le mer 04/12/2019 - 10:06

Crédit photo : S. Lana

Sandrine Lana

Alors que, d’après le ministère de l’Environnement, les espaces agricoles et naturels perdent actuellement 236 hectares par jour en France, certaines communes font le choix, comme ici dans les Alpes-Maritimes, de sanctuariser des terres agricoles pour faire revenir agriculteurs et éleveurs dans la région.

Dans les Alpes-Maritimes, une dizaine de municipalités fait la chasse aux terres fertiles en friche et favorise l’installation de nouveaux agriculteurs et éleveurs. Retour à une production locale, entretien des terrains, lien social... les résultats sont toujours positifs pour les exploitants agricoles et pour les mairies.

À quelques kilomètres de Cannes, à Mouans-Sartoux, des rosiers, des jasmins, des iris poussent sur le terrain d’un hectare de l’Aromatic Fab Lab de l’association des Fleurs d’exception du Pays de Grasse. Les plantes y sont choyées, bouturées, greffées par Christele Zannelli, jardinière et unique salariée de cette association de producteurs de fleurs destinée à l’industrie du parfum. Dans ce Fab Lab horticole, installé sur des terres municipales, on trouve à la fois une pépinière et un lieu de transmission des savoir-faire et techniques horticoles. « L’objectif est la vente et la préservation des variétés qualitatives de ces plantes et de transmettre le savoir- faire du greffage, presque disparu », explique-elle, les mains dans les jasmins qu’elle s’attelle à dégager des liserons sauvages.

Armelle Janody, présidente de l’association et productrice de fleurs à parfum, se souvient du soutien de la mairie de Mouans-Sartoux lorsque quelques producteurs ont voulu relancer un lieu de culture, il y a sept ans. « Il nous fallait un terrain mais nous n’avions pas les moyens d’investir. La mairie a élu notre projet et nous a confié ce terrain, alors qu’il était très convoité par d’autres producteurs… Un particulier ne l’aurait jamais fait. Un bail agricole, c’est un engagement sur le long terme(1).»

Un engagement à long terme

En effet. Dans cette région très prisée par un tourisme bourgeois, un propriétaire préférera souvent attendre que son terrain agricole devienne constructible pour le céder à prix d’or. « La mairie a été exemplaire et a soutenu la production florale. Ce lieu est devenu un outil au service de toute une filière presque disparue », complète Armelle Janody.

Dans les Alpes-Maritimes, entre mer et montagne, les terrains agricoles en plaine sont donc très rares et onéreux. Le foncier agricole peut atteindre jusqu’à 100 €/m² (pour une moyenne nationale à 5,90€/m²), de quoi décourager toute installation pour de jeunes agriculteurs. Dans le Pays de Grasse, il avoisine les 20€/m². Alors, depuis une dizaine d’années, des mairies s’engagent pour acquérir ces terres tant convoitées par les promoteurs immobiliers et les sanctuarisent pour l’agriculture. « Pour les communes, c'est avant tout un choix politique, car les loyers payés par les agriculteurs sont trop faibles pour en faire un argument économique », explique Jérôme Coche, élu référent « installation » de la Chambre d'Agriculture des Alpes-Maritimes qui aide à évaluer le potentiel des terrains municipaux et les filières les plus propices à s'y installer. Le calcul du montant du fermage (loyer) est encadré par un arrêté préfectoral.

En mairie, Daniel Le Blay, adjoint à l’urbanisme nous reçoit, l’Atlas communal agricole entre les mains. « Entre 2005 et 2009, nous avons recensé 72 hectares susceptibles d’améliorer le potentiel de terres agricoles sur la commune. Nous sommes ainsi passés de 40 à 112 hectares. » Dont un quart appartient à la municipalité(2). « En accueillant et soutenant l’installation des agriculteurs, qu’ils choisissent d’y cultiver des légumes ou des plantes à parfum, nous maintenons ces terres en situation de fertilité [elles seront travaillées et entretenues, ndrl] », poursuit l’élu.

Christele Zannelli crédit Sandrine Lana

Christele Zannelli, jardinière et unique salariée de l’Aromatic Fablab à Mouans-Sartoux. Crédit : S. Lana

Réinstaller des chevriers et gérer les espaces verts

À quelques kilomètres de là, à Valbonne-Sophia Antipolis, Françoise et Emmanuel Dürst ont posé leurs valises il y a trois ans dans une chèvrerie flambant neuve construite par la mairie sur un ancien terrain de l’Institut national de recherche agronomique (Inra). Ils vivent dans un logement sur le même terrain, également loué à la mairie. À deux, ils élèvent quatre-vingts chèvres, des oies, des moutons et quelques chiens de troupeaux. L’après-midi, les enfants filent observer les chèvres à l’orée de la forêt de chênes verts tandis que les parents font leur choix parmi les fromages frais et les tommes. Ils ont pris l’habitude de venir se fournir directement à la ferme. « Cela crée de l’animation. Lors de la naissance de chevrots, des familles viennent jusqu’ici. Le but est de vendre à la ferme pour que les enfants voient ces moments-clé, comme les naissances. », se réjouit Françoise Dürst.

Le couple d’éleveurs est satisfait de l’installation sur un terrain municipal : « Nous étions auparavant salariés agricoles. On nous a alors parlé de la volonté de la mairie d’installer des chevriers. Un appel à projets plus loin et nous avons été retenus ! », explique-t-elle. « Nous nous chargeons de l’entretien et des petits travaux. Quand il y a du gros œuvre, on appelle la mairie ».

Philippe Vivarelli fait le tour du propriétaire de ce projet qu’il a vu naître, en tant que conseiller municipal  délégué à l’agriculture, à l’agropastoralisme, au patrimoine à Valbonne. « L’idée de la chèvrerie était dans les tuyaux depuis quinze ans. L’ancienne équipe municipale voulait remettre en route une exploitation pour favoriser l’entretien naturel des forêts et le débroussaillage contre les incendies. Historiquement, il y avait des moutons dans nos forêts mais cette pratique a disparu ».

Les chèvres disposent donc d’un terrain de pâturage de forêts et de collines. Elles paissent également dans les espaces verts (forêt et fossés) qui entourent le lotissement voisin pour une surface totale de 31 hectares « La mairie a passé un accord avec les éleveurs pour le débroussaillage de cette zone pour lequel ils sont rémunérés ».

: Philippe Vivarelli, conseiller municipal de Valbonne. Crédit Sandrine Lana

Philippe Vivarelli, conseiller municipal de Valbonne, très impliqué dans l’installation d’activités agricoles sur les terres municipales. Crédit S. Lana
 

Un terrain pour l’insertion

À l’autre bout du domaine municipal, une association d’insertion par le travail a investi deux magnifiques serres vitrées, laissées par l’Inra. Autour, d’anciennes restanques accueillent une oliveraie et une culture maraîchère variée. L’association les Jardins de la Vallée de la Siagne y produit chaque semaine environ soixante-dix paniers de légumes vendus à ses adhérents. « Les services techniques de la mairie sont tout proches en cas de besoin, avec les fournisseurs d'électricité par exemple. C’est aussi notre rôle », complète Philippe Vivarelli. L’association cultive un autre terrain municipal à Mouans-Sartoux, au centre d’un espace forestier classé où une vingtaine de personnes sont en formation au jardinage de production. La municipalité de Valbonne-Sophia Antipolis propose quant à elle d’autres terrains en location à des particuliers, associations ou acteurs agricoles.

Au total, la mise à disposition de ces terrains a permis la création d’un emploi à Mouans-Sartoux et de quatorze emplois à Valbonne, dont dix en insertion. C’est une dynamique qui fait tache d’huile dans les Alpes-Maritimes, là où il reste des terres à cultiver. Pour parvenir à réinstaller des agriculteurs sur des terrains municipaux, il faut deux éléments-clés, s’accordent les élus de Mouans-Sartoux et de Valbonne : de la ténacité politique, pour faire face aux démarches administratives et aux enjeux techniques (connaissance des sols, destination de ceux-ci,…), et un grand pouvoir de persuasion, pour faire accepter des plans locaux d’urbanisme qui privilégient des sites d’accueil agricoles plutôt que des terrains constructibles, plus rentables économiquement.

  1. Neuf ans au minimum

(2)Mouans-Sartoux possède déjà une exploitation agricole en régie propre qui fournit la cantine scolaire en légumes.

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