[REPORTAGE] Un accueil pour préserver le lien mère-enfant en Ille-et-Vilaine

Publié le ven 30/07/2021 - 11:28
Deux mamans et leurs enfants accueillies dans un environnement chaleureux et sécurisant. Crédit : Manon Boquen

par Manon Boquen

Alors que plus de 60 000 enfants sont placés en France, dont seulement un tiers retourne ensuite vivre dans leur famille, le lieu d’accueil social 3 petits pas, installé dans une maison au cœur d’un hameau participatif en Ille-et-Vilaine, héberge des mères en difficulté avec leurs jeunes enfants afin de préserver le lien et éviter les placements.

Midi va bientôt sonner et les effluves d’un magret de canard accompagné de ses légumes emplissent la cuisine. Myriam Grandière, l’une des cinq salariées du relais parents-enfants 3 petits pas, s’active en attendant deux des trois mamans hébergées en ce moment. « Ici, elles font comme elles le souhaitent : elles peuvent manger avec nous comme dans leur petit appartement », détaille cette infirmière de formation, qui assure comme ses collègues un peu toutes les fonctions, de l’intendance à l’accompagnement des familles, en passant par la comptabilité.

Dans la grande bâtisse de pierre située au cœur du hameau participatif de la Bigotière, 3 petits pas accueille les parents (surtout des mères) ayant besoin d’un soutien matériel et psychologique pour la prise en charge de leurs enfants jusqu’à leurs trois ans. L’association dispose pour cela d’un agrément pour la protection de l’enfance du département d’Ille-et-Vilaine qui la finance à 100 %. Le point commun de toutes les familles hébergées est leur vulnérabilité sociale et financière, avec des parcours de vie compliqués, des relations familiales conflictuelles, voire des passages par la rue... « L’enjeu d’un tel lieu est de trouver les moyens pour que l’enfant grandisse avec ses parents », explique Isabelle Toutain, chargée de mission Protection de l’Enfance au conseil départemental. En Ille-et-Vilaine fin 2020, 3 568 enfants étaient confiés à l’Aide sociale à l’Enfance (ASE), dont 356 âgés de moins de trois ans.

Pour l’ASE, 3 petits pas est un lieu atypique. Rares sont en effet les endroits qui accueillent les familles. Le plus souvent, les enfants sont séparés de leurs parents et placés dans des établissements spécialisés (pouponnières, foyers de l’enfance...) ou des familles d’accueil. Plus de 61 000 enfants étaient dans cette situation en 2017 en France selon la Drees (1), dont seulement 34% retournent vivre dans leur famille à l’issue de leur placement.

Un accompagnement personnalisé

Depuis sa création en 2017, l’équipe de 3 petits pas a accueilli huit jeunes mères avec leurs enfants, orientées par les maternités, les centres départementaux d’action sociale ou encore le service d'accompagnement des femmes enceintes en difficulté (2). C’est ce dernier qui a donné le nom de Christelle. « Je suis arrivée ici en 2019, le 22 février. J’ai accouché trois semaines après », se souvient précisément la maman de Gabriel, deux ans et demi aujourd’hui. Avant de rejoindre le lieu de vie, elle résidait dans un foyer à Rennes. « Le père n’a pas reconnu mon fils, c’est très compliqué, explique, un peu gênée, la jeune femme de 27 ans. Puis toute ma famille est dans le Nord, je n’ai pas de lien ici. »

En Ille-et-Vilaine, on dénombre trois autres centres parentaux à Rennes et à Saint-Malo. Mais 3 petits pas est le seul à posséder en plus le statut de Lieu de Vie et d’Accueil (LVA) qui désigne une petite structure où trois familles au maximum peuvent habiter (contre plus d’une dizaine dans un centre classique). Malgré un coût pour la collectivité plus bas que celui d’une structure plus grande, c’est la garantie d’un accompagnement très personnalisé, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Chacune des cinq salariées assure une nuit par semaine et un week-end en alternance. « On avait envie de quelque chose d’enveloppant, comme un cocon », explique Anne Constant, l’une des fondatrices, qui vit  aussi dans le hameau. « On a un luxe ici, c’est le temps, qui nous permet de mieux nous connaître, se félicite cette ancienne assistante familiale, qui se réjouit lorsque des relations se nouent et une confiance se dessine avec les mères et leurs enfants. On veut qu’ici, les mamans se reconstruisent personnellement et qu’elles créent un projet d’avenir. »

Se concentrer sur l’après

Christelle suit maintenant une formation d’accompagnante éducative et sociale (AES) à Rennes et réalise son troisième stage, dans un foyer pour personnes handicapées psychiques. Alors que son fils refuse de quitter la salle à manger, elle lui explique : « je pars pour ma formation, je dois te déposer chez la nounou ! » Durant les premiers mois après la naissance, Christelle a pu tisser des liens de qualité avec Gabriel, aidée en cela par l’équipe de 3 petits pas ainsi que de travailleurs sociaux et psychologues extérieurs. « Aujourd’hui, je n’ai presque plus besoin de poser de questions, je peux m’en occuper seule », se réjouit-elle. Ce travail de longue haleine sur la parentalité lui a aussi permis de se concentrer sur l’après, sa formation et un emploi. « Le but est que je sois complètement autonome d’ici la fin de l’année, avant de partir vivre seule avec mon fils », souligne la maman.

Art-thérapie, musicothérapie et reconstruction physique font aussi partie des propositions de l’association pour aider les mamans à reprendre confiance en elles et en les autres. « Ici, je me sens entourée et soutenue », témoigne Gwendoline, tout en donnant une cuillère de purée à sa fille Lily-Rose, âgée de huit mois. Séparée de sa petite dernière à la naissance car elle n’avait « pas de logement pour la garder », l’énergique trentenaire, une longue natte brune se balançant sur ses épaules, souhaite maintenant pouvoir s’occuper d’elle à plein temps. D’un jour par semaine avec sa mère et le reste en famille d’accueil, le bébé passe maintenant une semaine sur deux à la Bigotière. « Mes trois autres filles, qui vivent à Mont-de-Marsan, ne connaissent pas encore leur sœur, regrette la jeune femme. Mais j’espère passer mon permis pour aller les voir ! »

Une ouverture sur le monde

Le hameau participatif de la Bigotière dans lequel est implanté le relais parents-enfants, qui mélange des habitations privées et des espaces collectifs, est accessible aux résidentes. Une ouverture sur le reste du monde très positive, même à l’échelle d’un hameau. « Malgré l’isolement géographique, 3 petits pas offre du lien social, estime Isabelle Toutain, du conseil départemental. Cette proximité donne de la liberté, ce qui est très utile et porteur pour les familles et pour leur autonomie. » Activités jardinage, soirées tartines, concerts ou même vacances au camping : les opportunités de partage sont nombreuses pour les familles hébergées. « Dès que Jean-Luc, l’un des habitants, fait un atelier, Gabriel va s’installer à table avec les gens qui sont là », s’amuse Christelle, qui a fini par s’habituer à la ruralité de l’endroit.

Le caractère unique de ce lieu de vie dans le paysage social attire au-delà de l’Ille-et-Vilaine. « On reçoit énormément de dossiers de toute la France, presque un par semaine », assure Anne Constant, dont l’équipe privilégie tout de même ceux issus du département. «Nous attendons quelques années pour voir ce que sont devenues les familles que nous avons accueillies ici », s’engage-t-elle. Des mamans et leurs enfants reviennent déjà à la Bigotière pour des événements. « Cette fois, en tant qu’amies ! »

(1) Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et de la Statistique, dépendant des ministères sanitaires et sociaux et du ministère de l'Économie et des Finances.

(2) Le Safed fonctionne grâce au partenariat entre le Conseil départemental et à l'hôpital de Rennes.

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