[INTERVIEW] Wilfried Thuiller : « Pouvoir prédire ce qui pourrait se passer sur l’ensemble des Alpes »

Publié le mer 24/11/2021 - 11:00
© Wilfried Thuiller

Propos recueillis par Catherine Stern

Directeur de recherche au CNRS et directeur adjoint du Laboratoire d'Ecologie Alpine de l’université Grenoble Alpes, Wilfried Thuiller nous explique l’intérêt de la recherche Alpages volants et les menaces que fait peser le réchauffement climatique sur la biodiversité.

 

Pourquoi avoir entamé une recherche comme Alpages volants ?

Il existe trois méthodes pour déterminer si des évolutions sont dues au changement climatique ou à d’autres causes. D’abord l’observation, en regardant comment les espèces changent au cours du temps. Mais il est très difficile de prouver que les modifications observées sont uniquement dues au changement climatique et il faut multiplier les études. Ensuite, l’expérience, menée dans des écotrons ou des chambres de culture. Tout y est contrôlé. On peut y changer un facteur comme la température afin d’observer son impact sur une espèce et ses interactions avec d’autres. La troisième façon, utilisée avec Alpages volants, est de prendre un écosystème dans son intégralité et de le réchauffer pour tester uniquement le facteur température. In situ, mais dans les mêmes conditions de sol et d’exposition, on observe alors ce qui pourrait se passer dans cinq, dix ou quinze ans. Pas seulement au niveau de la végétation, mais aussi dans le sol, au niveau des micro-organismes, des champignons, du stockage de carbone, de l’assimilation de l’azote…

A quoi cette expérience va-t-elle servir ensuite ?

L’idée est de paramétrer des modèles mathématiques pour pouvoir prédire, ou en tous cas donner les grandes tendances, sur ce qui pourrait se passer sur l’ensemble des Alpes soumises au réchauffement climatique. En mixant les observations, comme celles produites par l’observatoire Orchamp (1) sur l’ensemble des Alpes françaises, les expérimentations en laboratoire et les résultats d’Alpages volants, on pourra construire des modèles mathématiques plus robustes et extrapolables à d’autres systèmes montagnards alpins.

Au-delà des écosystèmes alpins que vous étudiez, quels sont les risques que fait peser le réchauffement climatique sur la biodiversité ?

Chaque espèce a une gamme de climats pour lesquels elle peut maintenir sa population et être résiliente à des perturbations. Quand le climat change, les espèces peuvent se retrouver un peu ou beaucoup en dehors de leur gamme de variations. De tous temps, les espèces se sont adaptées génétiquement, ce qui prend des centaines de milliers voire des millions d’années, ou se sont dispersées. Or la rapidité du changement actuel peut créer des déséquilibres, par exemple entre des plantes et des pollinisateurs, des oiseaux et des insectes, qui peuvent entraîner des extinctions locales ou globales plus rapides que prévu. La fragmentation des milieux et les infrastructures humaines limitent fortement les mouvements des espèces et donc leur capacité de réponse aux changements actuels. La connectivité entre aires protégées et corridors biologiques sont donc des enjeux majeurs de la préservation de la biodiversité en réponses aux pressions actuelles.

 

Note :

(1) Observatoire spatio-temporel de la biodiversité et du fonctionnement des socio-écosystèmes de montagne (orchamp.osug.fr).

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