[THEMA] Marguerite et la résilience alimentaire

Publié le ven 24/02/2023 - 11:00

Une fois encore, Marguerite a délégué sa chronique à sa fille Esther-Greta. Mais celle-ci, trop occupée par ses engagements associatifs, l’a confiée à son petit frère Haroun.

Je m’appelle Haroun et j’ai onze ans. Ma mère s’appelle Marguerite, mon père Rob et ma grande sœur Esther-Greta (elle se fait appeler comme ça, mais en vrai elle s’appelle Gaia). Mes parents m’ont appelé Haroun en hommage à Haroun Tazieff, qui a vécu au 20ème siècle et qui était un des pionniers de la volcanologie moderne. Sous la présidence de François Mitterrand, Haroun Tazieff était secrétaire d'État chargé de la prévention des risques naturels et technologiques majeurs en France. C’est lui qui a mis en place le système d’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles et les premiers plans d'exposition aux risques naturels prévisibles. Maintenant que je suis en âge de comprendre ça (à peu près), je suis super fier de m’appeler Haroun.

Par ignorance et curiosité (et pour essayer d’être original, j’avoue), j’ai regardé la définition du mot résilience dans un dictionnaire américain. Il y en a deux. Je les ai traduites (sur internet, bien sûr). Les voici :

  1. la capacité d'un corps à retrouver sa taille et sa forme après une déformation causée notamment par une contrainte de compression.

  2. la capacité de se remettre ou de s'adapter à un malheur ou à un changement.

J’ai tout de suite pensé à la cantine du collège. Quand on attend pour aller à la cantine, la « contrainte de compression » est énorme, parce que les boloss de 3ème, ils prennent un malin plaisir à écraser les plus petits dans la queue. Mais il y a pire. Une fois qu’on a son plateau et ses couverts et qu’on se demande si on a « retrouvé sa taille et sa forme », un « malheur » nous attend : la bouffe. Elle est, excusez-moi mais il n’y a pas d’autre mot, dégueulasse. Hier, par exemple, on avait des carottes râpées en entrée. Attention, je n’ai rien contre les carottes râpées. J’en mange souvent à la maison. J’en reprends, même. Mais à la cantine, elles baignent dans une espèce de flotte immonde et elles n’ont aucun goût, ou alors un goût chelou. Le plat principal c’était du porc avec des pâtes. On pourrait penser que c’est pas très difficile à faire. Pour rater ça, il faut quand même penser à autre chose en regardant des trucs débiles sur Tik Tok ou Insta sur son téléphone. D’ailleurs quand je dis que c’était du porc, je suis pas sûr, parce qu’avec les copains on a comparé ce qu’on avait dans nos assiettes et on a trouvé toutes les couleurs de l’arc en ciel : jaune, vert, rose, bleu, même des couleurs qui n’existent pas. Et les pâtes baignaient dans une sorte de sauce marron-beige ultra-grasse et elles étaient tellement cuites qu’elles se tenaient ensemble par paquets, comme si elles avaient peur de la sauce. Avec mes copains, on appelle ça les pâtes solidaires ou bien les pâtes en mêlée de rugby. Le dessert, c’était un flan servi dans une barquette en plastique. On dit que le plastique c’est mauvais, mais moi je peux vous dire que c’est meilleur que le flan de la cantine, j’ai goûté pour voir. Non, je plaisante, je sais que quand on dit que le plastique c’est mauvais, ça veut dire que c’est mauvais pour l’environnement, que toutes nos barquettes vont finir par flotter à la surface de la mer, comme l’invincible armada espagnole du 16ème siècle (le prof d’histoire monsieur Stéphane nous en a parlé vite fait). Pas si invincible que ça, d’ailleurs, puisqu’elle a fini par perdre. Mon père et ma mère disent que si on s’y met tous, l’armada des barquettes en plastique finira par perdre elle aussi. Il faudra que je demande à monsieur Stéphane ce qu’il en pense, mais à mon avis il sera d’accord (il vient au collège à vélo et il éteint la lumière alors que les autres profs ne remarquent même pas quand elle est allumée en plein jour).

En tous cas, pour revenir à la définition du mot résilience, celle sur la capacité de s'adapter à un malheur ou à un changement, on ne peut pas s’adapter à une bouffe aussi dégueu que celle de la cantine, c’est impossible. La preuve, c’est qu’il y a plein d’enfants qui ne mangent presque rien ou même rien du tout, c’est pas la faim à midi qui fait manger n’importe quoi. On dit que la vérité sort de la bouche des enfants. Moi je dis que la vérité alimentaire n’entre pas par la bouche des enfants à la cantine. Et en plus bonjour le gaspillage, ils devraient se poser des questions. Par contre, s’il y a un « changement », on pourra s’adapter très très très facilement. Par exemple, de bonnes carottes râpées ou un peu de céleri-branche (ça se mange cru, impossible de rater ça), des radis (pareil), un demi œuf dur avec un bout de concombre, c’est pourtant pas compliqué. Et pour le plat, une purée sans sauce mais avec du fromage râpé ou alors du riz (toujours sans trop de sauce, suivez mon regard), de la semoule, des haricots verts, mais bien préparés, parce que même si j’ai seulement onze ans j’en ai vu plein, des plats de haricots verts immangeables. Sans oublier les frites, ça c’est quand vous voulez. Et pour le dessert, un fruit, point final. Éventuellement avec un ou deux petits gâteaux, mais sans huile de napalm. Et puis, je trouve que les profs devraient tous manger à la cantine. Gratuitement, comme ça on serait sûr qu’ils viennent. Et ils donneraient leur avis, parce que nous quand on veut donner notre avis, personne ne nous écoute. C’est important de savoir ce que pensent les profs de la résilience alimentaire à la cantine.

J’ai un copain qui a une cousine qui est en CM2 et habite dans une ville où il paraît que la cantine est bonne. Ce sont les enfants qui font pousser les fruits et les légumes et parfois ils préparent à manger, alors ils ont intérêt à ce que ça soit bon. La ville s’appelle Sans Martou ou Mans Sartou ou quelque chose comme ça. C’est pas loin de Cannes askip. Tout ça pour dire que c’est donc possible.

Alors au sujet de la résilience alimentaire, je peux vous dire qu’en ce qui concerne la cantine, je crois que c’est pas à nous de nous adapter. Il faut changer les cantines, et rapidement. Sinon, on va avoir des générations de jeunes qui vont penser que la viande est naturellement verte ou jaune et que c’est bon pour la planète d’en manger à tous les repas, que les carottes râpées c’est forcément dégueu et que c’est normal si les océans sont recouverts d’une armada de barquettes en plastique.

PS : J’ai deux trucs à dire aux gens du magazine Sans Transition ! D’une part, quand on écrit quelque chose à propos de votre magazine, il faut se débrouiller pour que le nom soit toujours en fin de phrase, parce que le point d’exclamation après Sans Transition, excusez-moi, mais c’est un problème (ma mère m’a dit que c’est une contrainte oulipienne, il paraît que c’est bien, mais j’ai oublié ce que ça veut dire). D’autre part, et c’est plus important, les numéros thématiques c’est intéressant, mais mon père dit que dans la transition écologique et solidaire, tout est lié, alors moi je fais le lien entre le thème précédent (l’engagement des jeunes) et celui-ci (la résilience alimentaire). Ne me remerciez pas, c’est un plaisir d’écrire pour Sans Transition ! Grâce à vous, je peux épater les copains et les filles (ça vous n’êtes pas obligés de le garder).

Haroun
 

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