Grenoble : une reconquête participative de la biodiversité

Publié le mar 25/09/2018 - 14:46

Par Marie Lyan

Améliorer la qualité de vie en ville, grâce à des projets portés et sélectionnés par des citoyens. C’est l’objectif du budget participatif, mis en place par le maire Europe Écologie — les Verts (EELV) de Grenoble, Eric Piolle. Voté l’an dernier, un projet visant à construire 250 nichoirs urbains pour les chauves-souris, hirondelles et mésanges bleues est en cours de réalisation, afin de rééquilibrer l’écosystème et lutter contre certaines espèces invasives, comme le moustique-tigre. Le tout en impliquant des citoyens lors d’ateliers de construction qui se veulent participatifs.

Il est presque 17 heures et la canicule estivale est encore palpable dans les allées du parc Paul-Mistral de Grenoble, où les passants se baladent tranquillement en débardeurs, tongs et maillots de bain. Situé en plein cœur de Grenoble, le parc s’est transformé en atelier de bricolage pour les Isérois. Les visseuses, pochoirs et autres outils sont de sortie à l’ombre des arbres. Assistés d’une poignée de quatre bénévoles, issus de la Ligue de protection pour les oiseaux (LPO) et de la Ville de Grenoble, des curieux s’affairent avec un objectif : apprendre à construire leur propre nichoir. « L’idée est de faire revenir trois sortes d’espèces à Grenoble pour lutter contre le moustique-tigre », explique Eric Nguyen Van Tinh, employé au service espaces publics et citoyenneté de la Ville. D’autres villes comme Toulouse ont déjà misé sur la réintroduction d’habitats pour les chauves-souris, car ces espèces sont capables de manger entre 2000 et 3000 moustiques par nuit, sur un rayon de deux kilomètres autour de leur lieu de vie.

La plus-value de la démarche grenobloise est d’introduire une action à destination des habitants pour les sensibiliser à cette problématique. « Chacun peut participer à la construction de ces nichoirs. Les planches sont déjà prêtes et découpées, les gens peuvent ensuite effectuer un assemblage avec la visseuse, puis un dessin au pochoir », résume Sébastien, l’un des bénévoles. Derrière lui, une vingtaine de nichoirs trônent déjà contre un arbre, signe d’un après-midi plutôt réussi. « On voit un peu de tout : des familles, mais aussi des couples et des adolescents. Dans ce cas, on leur dit qu’on va finir par un tag de chauve-souris », s’amuse Sébastien. À ses côtés, Cynthia, la maman du petit Idriss, cinq ans, salue un projet qui « peut être intéressant et utile pour la ville, et même pour les communes aux alentours ».

Un nouveau levier d’action ?

Des ateliers comme celui-ci devraient encore avoir lieu cinq ou six fois d’ici la mi-novembre, tandis que la pose des nichoirs se déroulera entre octobre et avril prochain. « Cela permet d’ouvrir le projet au plus grand nombre et de faire passer des messages sur la biodiversité », affirme Boris Kolytcheff, chargé de mission démocratie locale à la Ville de Grenoble. « Tout va bien ? Vous avez suffisamment de fiches explicatives ? », demande-t-il, en distribuant les poignées de mains. Car, à l’issue de chaque atelier, un document est remis aux participants, afin qu’ils puissent reproduire l’expérience chez eux et multiplier l’impact du projet.

Depuis sa création en 2014, le budget participatif a déjà permis de financer plusieurs actions en faveur de l’environnement, à l’image de la création d’un verger au sein du quartier Teisseire, de l’installation de pigeonniers contraceptifs, de l’aménagement de jardins partagés, ou de la végétalisation du cours Jean-Jaurès. Pour l’adjointe aux espaces publics de la Ville de Grenoble, Lucille Lheureux, la force de cette démarche est justement de permettre aux habitants d’exposer leurs idées, qu’elles soient ou non en lien avec les grandes orientations de la municipalité. « Même si, dans le cas présent, elles sont en concordance, car il existe un terreau écologiste assez fort à Grenoble », précise l’élue.

Mais quel est l’impact réel de cet outil citoyen ? D’après les chiffres collectés par la municipalité, une centaine de projets ont été déposés lors de chaque édition, tandis que le nombre de votants pour répartir le budget est passé de 998 en 2015 à 3548 en 2017. Avec une marge de progression qui demeure toutefois importante, si l’on se réfère aux 160 000 habitants que compte la ville.


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Joint par téléphone, Raul Magni-Berton, professeur à Sciences Po Grenoble, a observé la mise en place de cette démarche. Selon lui, la mise en compétition des projets aurait tendance « à favoriser l’émergence d’une somme d’idées peu coûteuses, mais qui n’en présentent pas moins des conséquences positives sur l’environnement urbain ». « La biodiversité est rarement le premier objectif, mais on en observe les effets lorsqu’on installe plus de nature en ville », complète-t-il.

En 20 minutes chrono, les curieux comme Jeff, ci-contre, ont pu assembler et réaliser leur propre abri au moyen d’une visseuse. © M. Lyan

Une démarche de co-construction

Comme bon nombre de collectivités, la baisse des dotations de l’État a poussé la Ville de Grenoble à diminuer ses subventions aux associations. Pendant ce temps, les 800 000 € du budget participatif sont puisés dans l’enveloppe dédiée aux investissements, pour un budget global de 46,2 millions d’euros. Mais Lucile Lheureux se veut rassurante : ce budget participatif n’entre pas, selon elle, en concurrence avec les aides accordées aux associations.

« Nous octroyons en parallèle 120 000 € par an aux associations naturalistes, une somme qui est complétée par des actions menées par la Ville, comme la politique zéro-phyto dans les espaces verts ou la plantation d’arbres », précise-t-elle. Cette démarche pourrait même, en fin de compte, constituer un levier supplémentaire pour les associations locales : « La Ville travaille en co-construction avec les porteurs de projets citoyens et lance ensuite un appel à des prestataires extérieurs, entreprises ou associations, afin d’assurer la mise en œuvre technique », explique Boris Kolytcheff.

« Les gens ont moins envie de s’engager sur le long terme, et sont plus enclins à participer à des actions ponctuelles »

Ainsi, sur l’enveloppe de 40 000 € accordée pour les nichoirs, près de 25 000 € ont été attribués à la LPO pour la réalisation d’une étude, l’achat du matériel et la tenue des ateliers. « C’est la première fois que nous nous inscrivons dans une initiative de ce genre. Cela nous permet aussi de faire connaître nos actions », confie Benjamin Tosi, responsable du pôle urbanisme, bâti et biodiversité de la LPO. Au total, sept personnes de l’association ont été mises à disposition sur ce projet.

Dans un contexte où les associations observent une érosion de leur base militante, assiste-t-on à une mutation de l’engagement associatif ? Une chose est sûre : « Les gens ont moins envie de s’engager sur le long terme, et sont plus enclins à participer à des actions ponctuelles », reconnaît Hélène Foglar, chargée de mission veille à la Fédération Rhône-Alpe de protection de la nature (Frapna) de l’Isère. À la LPO, on estime que le budget participatif est avant tout un levier complémentaire. « Nous pouvons toujours compter sur des bénévoles lorsque nous en avons besoin, et nous avons des gens comme Gilles et Ingrid, très investis. Qu’ils soient LPO ou pas n’est pas déterminant », explique Hélène Foglar.

Car, s’ils se posent eux-mêmes comme des citoyens engagés, que ce soit au profit d’une union de quartier pour Gilles Namur, ou d’associations telle que 30 Millions d’amis pour Ingrid Szalay, aucune des deux têtes pensantes des nichoirs n’était au départ militante pour la cause des oiseaux. « Nous revendiquons même une posture de novices, mais qui souhaitent s’investir pour leur environnement en s’entourant des bons partenaires. Nous sommes même devenus experts un peu malgré nous, grâce à nos recherches », précise Gilles Namur, dont l’idée de départ était de lutter contre la prolifération des moustiques-tigres dans son quartier. Ce dernier voit désormais plus grand : « J’aimerais que ce projet puisse s’élargir et être repris à l’échelle métropolitaine afin d’avoir un plus grand impact. »

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