[DOSSIER] Quand les lobbies mettent la pression

Publié le lun 27/05/2019 - 14:42

Après la "mise en demeure" fin juin de Phyteis par l'Assemblée Nationale, découvrez ou redécouvrez notre dossier spécial lobbies

 

Par Nicolas Troadec.

Appels anonymes, menaces sur les réseaux sociaux, saccages de locaux… Si, la plupart du temps, les relations avec les groupes d’intérêts divergents sont plutôt cordiales, les ONG et les associations engagées sur le terrain de l’environnement connaissent parfois des coups de pression violents de la part des lobbies économiques et commerciaux.

Arnaud Schwartz, secrétaire général de France nature environnement (FNE) et représentant de l’association au Conseil économique et social européen (Cese), relate des expériences « positives et négatives » avec les lobbies représentants des intérêts privés au sein des institutions européennes. Au Cese, il côtoie des représentants de la FNSEA (le syndicat français des exploitants agricoles) ou le Medef (représentants du patronat) : « On n’est pas forcément d’accord sur tout, mais au moins on peut se croiser et discuter de manière posée », relate-t-il. Les expériences négatives, plus rares, viennent plutôt d’actions locales : « On a des membres de notre mouvement qui ont été menacés ou violentés par des agriculteurs, des locaux et du matériel dégradé… »

L’association Eau et Rivières aussi, lorsque sa lutte contre la pollution des eaux bretonnes a commencé à porter ses fruits, en 2007, (cf. article "Les ONG sur le terrain de l'écojustice européenne") a subi le saccage de ses locaux de Brest (Finistère). Les agriculteurs protestaient alors contre un plan préfectoral de réduction des épandages, afin de faire diminuer les taux de nitrates dans les cours d’eau bretons. Des manifestations avaient eu lieu dans toute la région, et les bureaux de Guingamp avaient été visés peu de temps auparavant. Malgré la plainte, personne n’a été poursuivi. Le président de la FDSEA, Thierry Merret, avait même sous-entendu que l’association avait organisé elle-même les dégradations…

Des pressions « fatigantes nerveusement »

Autre exemple avec l’ONG Bloom qui, lorsqu’elle a mené campagne contre la pêche électrique jusqu’en février dernier face au lobby néerlandais de la pêche industriel (cf. article "Les institutions européennes, cibles des ONG"), a subi des pressions plus insidieuses et « fatigantes nerveusement », comme l’explique Frédéric Le Manach, directeur scientifique de l’ONG. « Le lobby néerlandais est compliqué, il a la réputation d’être intraitable », explique-t-il. De façon officielle, les lobbies néerlandais de la pêche, comme VisNed, répondaient « systématiquement » à tous les messages rédigés par Bloom sur Twitter. « On a eu droit à un communiqué de presse de l’ambassade des Pays-Bas pour nous dénigrer, des députés néerlandais ont demandé un audit financier de notre ONG, parce qu’ils trouvaient que nos déclarations étaient insuffisantes ; une demande de radiation du Parlement a été faite à notre encontre… », égrène Frédéric Le Manach, qui qualifie ce lobbying « d’ultra agressif ».

Et puis il y a plus officieux : les menaces de mort sur les réseaux sociaux, les messages vulgaires et outranciers (Claire Nouvian, fondatrice de l’association, comparée à Hitler...). L’association a même reçu une enveloppe contenant de la poudre blanche (qui était, fort heureusement, inoffensive). « On ne le prend pas au sérieux, mais pour l’équipe, ça a été compliqué », explique le directeur scientifique de Bloom.

Des députés sous pression ?

Mark Breddy, de Greenpeace Europe Unit, admet que la pression qu’ont pu subir ses membres à Bruxelles n’était « pas comparable » à celle supportée par Bloom. Pour autant, elle a parfois pu être « pire » pour des équipes internationales de l’association, comme pour celles basées en Indonésie ou en Chine. Mark Breddy insiste aussi sur le large panorama des lobbyistes, et l’importance de ne pas noircir le tableau : « Les rapports avec les représentants du secteur des énergies renouvelables, par exemple, sont plus positifs, explique-t-il. Il y a aussi un groupe qui représente la pêche artisanale avec qui nous travaillons. Mais il a souvent du mal à s’exprimer et n’a pas les mêmes moyens que le secteur de la pêche industrielle. »

Les députés européens, aussi, peuvent être exposés à la violence des lobbies. Eric Andrieu, membre du parti socialiste qui a pris durant 9 mois la présidence de la commission d’enquête du Parlement européen sur les procédures d’homologation des pesticides (commission « PEST »), a fait savoir par voie de presse en octobre dernier qu’il pensait faire l’objet de pressions. Des coups de téléphone anonymes, identifiés comme venant des États-Unis, une pomme posée sur son bureau, sur laquelle était écrit « je contiens des pesticides », des emails contenant le mot « cancer » redirigés vers la corbeille… Erreur de manipulation ou piratage ? « J’ai réuni toute mon équipe et, sans être parano, on a commencé à s’interroger, explique le député. J’ai décidé de rendre cela public, et depuis, tout s’est arrêté. » Jusqu’à la prochaine commission d’enquête ?

Plus d’infos :

www.bloomassociation.org

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