[ACCES A LA TERRE] Morbihan : la difficile relance de l’agriculture locale

Publié le lun 06/07/2020 - 13:00

Par Virginie Jourdan

Alors que, d’après le ministère de l’Environnement, les espaces agricoles et naturels perdent actuellement 236 hectares par jour en France, certaines communes font le choix, comme ici en Bretagne sud, de sanctuariser des terres agricoles pour faire revenir agriculteurs et éleveurs. Pourtant, face aux difficultés rencontrées, rares sont encore ceux qui parviennent à s’installer durablement.

Alors que l'artificialisation des sols ne faiblit pas en Bretagne et représente l'équivalent de 9 terrains de football chaque jour(1), une vingtaine de communes morbihannaises a réalisé l'impensable. En près de 10 ans, elle a réussi à regagner près de 1200 hectares de terres agricoles ou naturelles. Une gageure. Mais une fois passée la surprise liée à l'ampleur du chiffre, le constat change peu. Ici comme ailleurs, l'installation de nouveaux agriculteurs reste un défi.

Soleil de plomb sur la réserve des Marais de Séné. Au loin, quelques bateaux mouillent dans la rivière qui se jette dans la mer à quelques centaines de mètres. À l'ouest, la prairie a été fauchée. À l'est, espace naturel oblige, la parcelle voisine devra attendre plusieurs semaines avant que l'herbe ne soit autorisée à la coupe. Au milieu des champs, une cinquantaine de chèvres poitevines, à la robe foncée et aux cornes recourbées, broutent en troupeau. « Tout est très sec. L'hiver a été pluvieux, mais depuis plusieurs semaines, nous n'avons pas d'eau », constate Marion Chauveau. Depuis 2014, la jeune femme a rejoint la dizaine d'agriculteurs que compte la commune avec son conjoint, Jérôme Fourquet. Quelques mois après l'achat des terres agricoles, ils ont pu construire une fromagerie pour transformer le lait de leurs chèvres à proximité directe des champs, le long de la route qui mène à l'Anse de Villeneuve. Une des nombreuses petites merveilles naturelles du golfe du Morbihan.

En 2014, et après deux ans de recherche, Marion ne croyait plus à cette installation. Surtout pas dans ce secteur. Aujourd'hui, le Morbihan compte 7402 fermes. C'est 150 de moins qu'en 2010. « Il y a une grosse pression démographique sur le secteur de Vannes. Son aire d'influence dépasse les 30 kilomètres. Les terres agricoles sont sous pression jusqu'à, parfois, 20 kilomètres alentours », témoigne Partick Guillerm, éleveur installé à Theix et administrateur du groupement des agriculteurs bio du Morbihan, le Gab56. Pour lui, pas de doute, il est encore plus compliqué de s'installer sur les abords du littoral que dans les terres où la situation est déjà complexe.

 

Surfaces urbanisées multipliées par 8

« Souvent, il ne nous reste plus que les terres agricoles quand nous voulons construire de nouveaux logements », confirme Patrick Camus, actuel maire de Plougoumelen, à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Vannes. Comme de nombreux habitants du golfe du Morbihan, l'élu a vu les paysages se transformer. Population en forte croissance, arrivée massive de touristes, explosion des zones d'activité périurbaines, les constructions se sont enchaînées sur les 40 dernières années. Dans une trentaine de communes, d'Arzon au Sud à Trédion au Nord, la population a été multipliée par deux entre 1960 et 2000. Les surfaces urbanisées ont, quant à elles, été multipliées par 8. Notamment pour des maisons néobretonnes dont les parcelles ont pu atteindre 800 à 1000 m2. « Cette tendance est terminée », assure Patrick Camus. Il y a deux ans, son conseil municipal a acté un nouveau plan local d'urbanisme. Comme dans la trentaine de communes réunies au sein du parc naturel régional du golfe du Morbihan, l'appétit a été contenu et les élus du parc se sont entendus pour réduire les espaces réservés aux constructions. Objectif ? Ne pas dépasser 18,5% de sols artificialisés d'ici 50 ans, soit 2% de plus qu'aujourd'hui.

À Plougoumelen, le changement de cap est assumé. Ici, près de 45 hectares ont été urbanisés au détriment d'activités agricoles entre 2008 et 2018. Depuis 2016, la commune a aussi perdu 4 sièges d'exploitations au profit d'agrandissements ou de déprises agricoles. « Nous avons fait un diagnostic agricole en 2015 pour préserver cette activité à l'avenir », explique Patrick Camus. Résultat : son nouveau document d'urbanisme ne prévoit que 8,5 ha d'artificialisation supplémentaire d'ici à 2026. « Nous avons réduit des projets de lotissements en passant de 25 à 28 logements par hectare. Et nous nous sommes aussi mis en conformité avec les lois Alur et la loi littorale qui réduisent drastiquement les possibilités d'urbaniser en dehors des bourgs », précise le maire. À la faveur des mises à jour, Plougoumelen affiche même un solde positif de terres agricoles de 42 hectares répartis dans 18 hameaux situés en périphérie du bourg. « Il s'agit le plus souvent de grands domaines qui s'apparentent à un jardin », précise l’édile. Pour l'heure, pas de nouvelle installation ni d'agrandissement de fermes en vue. D'ici 5 ans, 5 agriculteurs devraient même annoncer leur départ à la retraite. Mais l'élu reste confiant. « Les enfants des agriculteurs ont repris des fermes, ils développent le bio, les circuits courts, ils se diversifient ou restent sur des productions de qualité, c'est encourageant », estime-t-il.

 

1200 hectares soustraits à l'urbanisation

Des encouragements que reçoivent dorénavant Marion et Jérôme, malgré un démarrage « pas simple » sur la commune de Séné. Réputée protectrice de ses terres agricoles, l'équipe municipale a demandé au couple « de montrer patte blanche » avant de soutenir la reprise de la ferme sur laquelle ils travaillent désormais. En regardant les terres qui s'étendent en contrebas de la fromagerie, le couple se souvient de leur arrivée. « La ferme était abandonnée depuis 20 ans. Il y avait juste quelques chevaux sur les parcelles », détaille Marion. Sans le soutien de la mairie et la souplesse du vendeur, leur projet agricole n'aurait pas pu aboutir. « Le propriétaire a accepté de désolidariser le corps de ferme et les terres, car nous n'avions pas le budget nécessaire pour la maison. Par ici, tu peux aussi avoir 600 propriétaires différents pour une seule parcelle de 60 hectares. Et très peu de personnes vendent car certains attendent encore que leurs terrains côtiers deviennent constructibles. Mais ça n'arrivera plus », poursuit Marion.

Une assertion que reprend Sylvie Sculpo, la nouvelle maire de Séné : « Ce classement en terres agricoles n'est pas un caprice des maires. Les terres proches du littoral et hors des zones urbanisées ne sont plus constructibles et ne le seront plus. Il y a dorénavant un consensus national et même international sur cette question. » Depuis le Plu de 2010, la commune a elle-même soustrait 28 hectares de l'urbanisation. À l'échelle des 33 communes du parc naturel régional du golfe du Morbihan, près de 1200 hectares ont ainsi été repêchés. Pour l'heure, ces innombrables parcelles privées sont surtout utilisées pour élever des chevaux. « Un moindre mal », juge Jérôme Fourquet. Pour lui, la donne pourrait changer dans le temps, si les propriétaires acceptent de vendre ou de louer leurs terres à des fins nourricières.

Mais un écueil demeure. Celui du coût des bâtiments d'habitation sur les exploitations. Ou leur absence. Marion et Jérôme, par exemple, ont attendu 5 ans pour pouvoir construire leur maison sur leur ferme. « La commune autorise uniquement la présence d'un logement de fonction rattaché à la ferme. Cela permet d'éviter tout risque de spéculation sur le bâti. C'est dur de devoir attendre 5 ans, mais c'est déjà mieux que nos collègues qui bossent dans les champs et doivent se loger dans des immeubles ou à plusieurs kilomètres de leurs parcelles », conclut-elle. Un ultime couplet du refrain désormais bien connu du laborieux retour à la terre.

 

Plus d'infos

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