[THEMA] Une agriculture qui renoue avec le vivant

Publié le ven 22/04/2022 - 12:00

Par Jacques Caplat (agronome, ethnologue, secrétaire général d'Agir Pour l'Environnement)

Comment tourner le dos à une agriculture industrielle ? Quelle sera l'agriculture de demain ? Quelles ressources devront être utilisées par les paysans ? Jacques Caplat, agronome, nous livre des éléments de réponse, en faveur d'une filière réconciliée avec les écosystèmes et la biodiversité.

L'agriculture industrielle a explicitement été conçue au XIXe siècle pour permettre une massification et une standardisation de la production. Elle a été possible par l'usage massif du pétrole, non seulement pour alimenter les machines, mais également pour fabriquer les engrais et les pesticides, ainsi que pour organiser des filières « verticales » via des échanges de longue distance. Cette démarche a plusieurs corollaires : une dépendance effrayante des paysans à l'égard des intrants, des machines et des filières agro-alimentaires, une centralisation de la sélection qui rend les plantes incapables de s'adapter aux dérèglements climatiques, et une artificialisation des milieux ruraux avec disparition progressive des écosystèmes, auparavant imbriqués avec l'activité agricole.

Pour se passer du pétrole, l'agriculture devra d'abord réapprendre à gérer la fertilisation par les flux naturels, notamment en remplaçant les engrais azotés (première contribution de l'agriculture française au dérèglement climatique) par des cultures de légumineuses et l'intégration cultures-élevages. Les légumineuses fixent l'azote atmosphérique dans le sol, ce qui permet de boucler un cycle ouvert et illimité. Les déjections animales permettent de compléter cet apport et d'apporter du phosphore. Par souci du climat et des animaux, cet élevage devra cesser de détourner des cultures humaines, et valoriser soit les prairies riches en biodiversité (herbivores), soit des déchets d'autres activités (porcs et volailles). Les sols redeviendront vivants, protégés et primordiaux.

Observer le vivant

Les machines ne disparaîtront pas totalement : il restera possible d'utiliser 5 à 10 % d'une ferme pour produire des agrocarburants artisanaux auto-consommés. Mais les paysans auront avantage à se tourner vers des outils qu'ils peuvent construire eux-mêmes et adaptés à leurs besoins réels. Il faut sortir la mécanisation de sa logique de destruction d'emplois et de dépendance, pour en faire un moyen d'améliorer les conditions de travail en gardant sa liberté de choix. Bien entendu, certains systèmes agraires pourront privilégier la culture attelée.

Pour éviter les pesticides énergivores et dangereux, l'agriculture renouera avec les écosystèmes : c'est par la présence de haies, de talus, de fossés, que maladies et insectes seront régulés. Comme la réduction des machines, cette évolution redonnera aux paysans et aux paysannes la possibilité de choisir leurs techniques et leurs interventions, retrouvant ainsi une autonomie. Il faudra observer le vivant pour anticiper les maladies, recréer des agroécosystèmes dynamiques, s'entraider. Cette relation retrouvée avec le vivant se traduira également dans la sélection, qui devra être décentralisée pour permettre une adaptation constante avec les évolutions climatiques ; c'est ce que l'on appelle la « sélection paysanne », c'est-à-dire une co-évolution entre les cultures, la nature et les humains. Enfin, ce lien au territoire devra se décliner à l'échelle de la transformation et de la distribution, en privilégiant les filières locales. Des produits exotiques pourront circuler, comme cela a toujours été le cas dans l'histoire de l'humanité, mais en quantités adaptées à des transports écologiques.

L'agriculture décrite ici n'est pas une utopie. C'est l'horizon visé par les acteurs de l'agriculture biologique et de l'agroécologie paysanne, et la disparition du pétrole peut se révéler une libération. Pour autant, la transition vers ces nouvelles démarches n'est pas simple, à la fois parce qu'il faudra une grande technicité pour maintenir des rendements notables, et parce que les multinationales et les rentiers de l'agro-industrie font tout pour la bloquer.

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