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Propos recueillis par Julien Dezécot
Avec son film Animal sorti en décembre 2021, le réalisateur Cyril Dion souligne l’importance de notre rapport au Vivant dans un monde post-pétrole. C’est suite à une projection qu’il a pu approfondir sa pensée à Sans transition !
« Près de 80 % de l’énergie que l’on consomme provient du pétrole : tous ces plastiques, ces voitures, nos écrans… Alors pour s’en passer, il s’agit certes de parvenir, dès que possible, à décarboner notre économie, mais surtout de revoir notre rapport à l’énergie, pour davantage de sobriété. Car plus nous produisons d’énergie, plus nous détruisons notre environnement !
Aussi, notre rapport à la biodiversité a été largement bouleversé dans ce monde du pétrole qui coule à flots. Nous avons artificialisé énormément d’espaces, avec des villes qui s’étendent toujours plus. Résultat : nous sommes désormais bien moins en contact avec la nature, dont la faune sauvage, dans notre quotidien de citadins.
Si demain l’on remplace le pétrole par une autre source d’énergie à profusion, que va-t-il se passer ? Allons-nous continuer à nous étendre ? à surexploiter ? à raser des forêts ? À pratiquer l’agriculture intensive ? Cette approche n’offrirait pas une énorme différence dans notre rapport au monde sauvage, au Vivant, qui se délite sous nos yeux. Pour moi, la solution est plutôt dans la sobriété énergétique. Celle-ci va de pair avec notre capacité à repenser notre manière d’habiter les territoires. De façon plus symbiotique. Il s’agit, selon moi, de faire en sorte que les écosystèmes puissent rendre les services opérés actuellement par des machines.
Je pense que le cœur du problème écologique, c’est bien notre relation au monde vivant. On l’a longtemps considéré comme un gisement de ressources, dans lequel on pouvait puiser jusqu’à plus soif, pour alimenter la chaudière de notre croissance économique. C’est ce que le chercheur Baptiste Morizot appelle la crise de la sensibilité. Autrement dit, on a chosifié le monde vivant. Nous devons maintenant recréer du lien, des affects, pour redevenir sensibles. Pour pouvoir se dire : est-ce que c’est normal d’entasser des animaux dans des hangars ou des cages, de les traiter comme des machines pour produire toujours plus ? Ou encore de saturer nos océans de plastique ? Nous avons d’abord besoin d’être touchés : tantôt en colère, ou attristés voire horrifiés, par cette destruction de notre environnement. Puis mobiliser ensuite l’énergie nécessaire à imaginer autre chose. Et cette autre chose, cette nouvelle alliance avec le monde vivant, peut nous permettre de repenser l’objectif de nos sociétés. Pour sortir de la course au profit. Si on l’abandonne pour défendre et protéger davantage le Vivant, cela nous oblige à penser de manière plus globale : comment organiser nos villes avec le vivant ? Produire notre nourriture sans détruire ? En somme, c’est un partenariat avec le Vivant que nous devons créer.
Pour y parvenir, nous avons besoin d’être très nombreux à affirmer ces nouvelles priorités. L’économiste Eloi Laurent observe la décorrélation entre la croissance économique et des éléments structurants de nos sociétés, pourtant censés aller de pair : comme l’espérance de vie, le lien social, la qualité de notre environnement voire de nos institutions. Demandons-nous quels objectifs concrets veut-on poursuivre ? Lorsqu’on pose la question à n’importe qui dans le monde : c’est quoi le plus important pour vous ? La réponse majoritaire en ces temps de crise sanitaire : d’abord la santé ! Ce qui vous rend heureux ? Le lien social, les autres, la nature. Je crois qu’il est primordial de recréer des espaces de rassemblement, comme le sont les cinémas, plutôt que les plateformes en ligne. On a besoin d’être ensemble et de respecter la biodiversité qui nous entoure. Elle nous permet de vivre, boire, manger… À nous finalement de réapprendre à vivre avec les autres et avec le Vivant. »
Plus vidéo : retrouvez notre interview vidéo réalisée avec Cyril Dion en janvier dernier.
A voir : Animal, film documentaire, réalisation Cyril Dion, décembre 2021
