[REPORTAGE] Les microalgues pour un avenir plus soutenable

Publié le ven 31/12/2021 - 11:00
© BCC Innovation

Par Catherine Stern

Les cyanobactéries et les microalgues sont-elles l’avenir de l’humanité ? De nombreuses équipes scientifiques y croient. Les recherches se multiplient pour des usages variés, allant de la médecine à l’urbanisme ou aux biocarburants. La start-up toulousaine Kyanos Biotechnologies les utilise pour la dépollution de l’air urbain et projette de faire de l’une d’elles, l’aphanizomenon flos-aquae, la protéine alimentaire de l’avenir.

« Les projections annoncent que dès 2030, l’accès à certaines protéines alimentaires sera compliqué et que le vrai point de rupture est pour 2050. Il faut qu’on soit au rendez-vous ! » Pierre-Alain Hoffmann, docteur en microbiologie industrielle, s’y prépare avec Vinh Ly, avec qui il a cofondé Kyanos Biotechnologies en 2016. Quelle alternative aux protéines actuelles, notamment animales, dont on connaît l’impact désastreux de leur production sur le climat, veulent-ils offrir à l’humanité d’ici 2030 ? La réponse réside dans une cyanobactérie du nom d’aphanizomenon flos-aquae, ou Afa, appelée aussi klamath, du nom du lac éponyme en Oregon (États-Unis), seul site au monde dans lequel elle pousse naturellement.

Ingénieur aéronautique de formation, Vinh Ly en a entendu parler lorsqu’il travaillait sur le biofioul pour avions chez Airbus, entreprise qu’il a quittée pour « forger le monde dans lequel [il] voudrait vivre ». Pourquoi avoir jeté son dévolu sur cette micro-algue bleue, rebaptisée pastel d’eau par la start-up toulousaine, alors qu’il en existe des centaines de milliers d’espèces (lire page 35) ? « L’Afa a de nombreuses propriétés, vante-t-il : elle possède tous les acides aminés essentiels et plus de 65 % de protéines ; est très riche en nutriments (vitamine C, vitamine B12, phénylalanine qui a des vertus de booster cognitif et anti-dépressives); est mangeable en grande quantité sans contre-indication, contrairement à la spiruline ; est peu gourmande en eau ; n’a pas besoin d’engrais azotés car elle prend directement l’azote de l’air, ce qui est extrêmement rare. »

Game changer

La petite équipe, qui a commencé dans un incubateur au sein de l’Oncopole de Toulouse avant de déménager dans des locaux plus grands à Colomiers, a réussi à convaincre de son intuition : après une première levée de fonds auprès de business angels en 2018, elle en a réalisé une deuxième de 2,6 millions d’euros cette année, pour développer ses capacités de production avec un pilote pré-industriel. 1,6 millions sont promis d’ici 2026 par l’Ademe, l’agence de la transition écologique, dans le cadre des Investissements d’avenir. La start-up a été sélectionnée dans plusieurs programmes d’incubation européens et a reçu de nombreux prix, « dont dernièrement, à un congrès international sur la microalgue, le prix du Game changer, l’entreprise avec un procédé qui pourrait changer la donne sur la production de microalgue », sourit modestement Pierre-Alain Hoffmann.

Quel est ce procédé ? « L’idée n’est pas forcément de reproduire ce qui se passe dans le lac avec des conditions physico-chimiques favorables à la croissance et à l’efflorescence de ces micro-algues en période estivale, mais peut-être pas optimales. Nous recherchons ce qui serait optimal », explique Benjamin Hody, jeune ingénieur de développement chez Kyanos, en présentant le démonstrateur de 1 m3 (1000 litres) installé dans les nouveaux locaux de l’entreprise en cours d’aménagement.

Cyclotrophie

Pierre-Alain Hoffmann, le microbiologiste, nous fait un petit cours devant les machines dernier cri du laboratoire. Certaines microalgues comme l’Afa sont capables d’utiliser deux modes de développement : autotrophique, en consommant du CO2 et en faisant la photosynthèse, mais également hétérotrophique, en consommant de l’O2 pour produire du CO2, c’est-à-dire en respirant, comme nous. L’intérêt de cette « mixotrophie » pour la production industrielle ? Au lieu d’avoir de grands bassins peu profonds pour capter la lumière, on peut superposer les bassins de culture dans lesquels les algues du haut feront de la photosynthèse, tandis que celles du bas pourront respirer. « Le problème avec la photosynthèse, c’est que vous avez du CO2 d’un côté et de l’autre du carbone organique (du sucre, des protéines, des sources organiques de carbone) qui va être consommé par différents micro-organismes dans l’environnement, explique Pierre-Alain Hoffmann. Cela veut dire que cette solution sucrée non stérile à l’air libre va très vite être contaminée, entraînant une dégradation de ce que vous voulez produire. » Investir dans des équipements stériles aux standards pharmaceutiques est trop coûteux pour produire un aliment de base accessible. La « solution de rupture » imaginée par Kyanos est d’installer la contamination plutôt que de la subir. « Nous créons une symbiose naturelle en sélectionnant des souches de micro-organismes à implanter à côté de nos microalgues, qui joueront le rôle d’éboueurs, poursuit le chercheur. Nous avons mis au point un procédé capable de trier en continu tout ce petit monde pour récupérer d’un côté notre algue propre utilisable comme aliment et de l’autre les micro-organismes secondaires qui seront concentrés pour refaire une soupe nutritive qui sera renvoyée dans le système. On appelle ça la cyclotrophie parce qu’on recycle. Après des opérations de filtration, on récupère aussi une eau de qualité maîtrisée. »

À l’épreuve du futur

Car l’obsession de l’équipe de Kyanos est de rendre la production de cette protéine « soutenable, abordable, peu gourmande en ressources, à l’épreuve du futur, c’est-à-dire qui pourra s’adapter à différents paramètres de culture ». « On ne peut pas juste prendre les conditions actuelles et se dire qu’elles vont continuer, souligne Vinh Ly, dont les parents ont vécu la guerre et la famine au Vietnam. D’où l’importance de travailler sur la souveraineté alimentaire, pour que les gens puissent avoir de quoi manger. »

Aujourd’hui, 1 000 tonnes d’Afa issues du lac Klamath sont vendues sous forme de compléments alimentaires dans le monde, notamment pour les sportifs, les seniors et la stimulation de l’activité intellectuelle. Kyanos, qui vend aussi des compléments issus de sa production, travaille à démontrer la viabilité d’une culture à l’échelle alimentaire, en commençant par une tonne par an. « Nous aurons un premier démonstrateur de 45 000 litres sur 30 m², comme une grande piscine, vers 2022 et un second de 240 000 litres dans la foulée, promet Pierre-Alain Hoffmann. Avec la cyclotrophie, on va pouvoir verticaliser la culture. D’ici quelques années, on espère avoir une capacité de production d’une centaine de tonnes par an. » Lors de la réponse à l’appel à projets d’investissement d’avenir de l’Ademe, Kyanos a annoncé viser une capacité de production de cent tonnes de matière sèche par hectare et par an, soit nettement plus que pour tout autre type de protéine, animale comme végétale. L’Afa étant composée à 65 % de protéines et l’apport protéique quotidien recommandé tournant autour de 60 à 70 grammes par jour, « un peu plus de 100 grammes de cette microalgue par jour, l’équivalent d’un petit steak, suffirait à assurer les apports protéiques journaliers », assure le scientifique.

Alternatives délicieuses

Encore faut-il que les gens veuillent la manger ! Pour s’occuper de cela, Kyanos bénéficie du programme de l’accélérateur européen EIT food (Institut européen d’innovation et de technologie pour une alimentation plus durable, saine et sûre). Le matin de notre visite, une réunion de lancement d’un travail commun s’était tenue avec le centre technologique en gastronomie du BCC, centre culinaire basque installé à Bilbao. « Le plus difficile quand on essaye de substituer des protéines est la perception gustative, explique Nahuel Pazos, l’un des sept chefs-chercheurs du BCC. Même si vous savez que ces microalgues sont super bonnes pour la santé, super nutritives et durables, si vous ne les aimez pas, vous ne les mangerez pas ! Notre travail est de les rendre délicieuses. » Le BCC, qui bénéficie de financements européens et nationaux, reçoit depuis quelques années de plus en plus de demandes pour créer des produits vegans et à base de microalgues. Et le chef l’affirme : « il y a un énorme changement qui arrive autour de ces protéines alternatives ».

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