[REPORTAGE] Dans la Drôme, des fleurs en circuit court

Publié le mer 29/09/2021 - 14:00
Crédit : Marie Albessard

Par Marie Albessard

Alors que 85% de la production de fleurs coupées vendues en France viennent de l’étranger, le collectif de la Fleur française essaye d’encourager le renouveau des productions horticoles hexagonales. Dans la plaine de Valence, une productrice relève le défi en cultivant une centaine de variétés de fleurs (bientôt) en bio, dans le respect des saisons et en les vendant en circuit court.

À Montmeyran, dans la plaine de Valence, l’horizon est bien dégagé et on est cerné par les champs. Pour trouver celui de Lydvine Carré, il faut aller derrière sa demeure, en passant par son jardin et en croisant quelques poules et lapins. « C’est un luxe d’avoir son terrain attenant à sa maison », se félicite l’horticultrice, femme élancée de 38 ans aux bras sculptés par le travail manuel.

Tout de suite, les couleurs sautent aux yeux. Ici, Lydvine cultive des fleurs sur environ 1000 m² : une parcelle de vivaces et une de fleurs annuelles. Deux serres (non chauffées) de 170 m² lui permettent de récolter dès février. Ses cultures suivent la saisonnalité. En été, elle fait pousser des dahlias, glaïeuls, soucis, tournesols, œillets, nigelles ou du tabac ornemental. En hiver, des renoncules, anémones, tulipes ou narcisses. « Le gel d’avril m’a fait perdre les boutons de mes roses et les pivoines », se désole-t-elle. L’agricultrice cultive aussi des statices, des immortelles, des millets ou des pavots pour en faire des fleurs séchées, qui représentent environ un quart de sa production.

Une centaine de variétés

Sur la centaine de variétés de fleurs qui poussent dans ses parcelles, certaines sont « oubliées », comme la nielle des blés. « 90% de mes variétés ne se trouvent pas chez les fleuristes », s’enorgueillit-elle, rappelant ainsi que, depuis de nombreuses années, le choix du public a été progressivement restreint à des variétés choisies pour leur résistance au voyage comme les roses ou les gerberas. « 85 % des fleurs coupées vendues en France viennent de l’étranger, indique Hélène Taquet, agricultrice et cofondatrice du collectif La Fleur Française. Des Pays-Bas, puis de l’Équateur, du Kenya et de la Colombie, les trois plus gros fournisseurs de l’Europe. Tout passe par la Hollande, via le premier marché aux fleurs d’Europe et quasiment du monde, à Aalsmeer. »

Historiquement, la France a pourtant été une terre d’horticulture. Mais la filière s’est effondrée, en quelques dizaines d’années, pour différentes raisons : envolée des prix des énergies alors que beaucoup produisaient en serres chauffées, mauvaise structuration de la filière logistique et forte concurrence des Pays-Bas. Elle n’a plus rien de florissant : de 8 000 exploitations horticoles en 1985, il ne reste à présent qu’environ 385 entreprises à dominante fleurs coupées en France (1) dont la culture n’occupe plus, selon l’interprofession, que 622 hectares. Trop peu pour fournir les 14 000 fleuristes du pays, ce qui entraîne un système de dépendance vis-à-vis de l’étranger. « Entre le moment où les fleurs sont cueillies et celui où elles sont vendues, il se passe quatre à sept jours. Elles sont expédiées sans eau et trempées dans un bain de fongicide pour ne pas pourrir », détaille encore Hélène Taquet, soulignant l’aberration écologique que ce fonctionnement représente.

En conversion biologique

85% des fleurs coupées vendues en France qui viennent de l’étranger : le chiffre a fait bondir Lydvine. « Cette information m’a fait l’effet d’un petit électrochoc, se souvient-elle. J’aime les fleurs depuis longtemps et j’ai souvent été déçue de trouver toujours les mêmes variétés, sans odeur, chez les fleuristes. Depuis, j’ai découvert des centaines, voire des milliers de variétés, avec des caractéristiques de qualité ! »

Lorsque la biologiste médicale a souhaité renouer avec la terre, le choix de la production horticole s’est imposé comme une évidence. « Dès le départ, ça a été très clair pour moi que je voulais cultiver dans le respect de l’environnement, sans traitement, ni engrais », explique l’horticultrice, qui a d’ailleurs entamé une démarche de conversion en agriculture biologique. Elle pense son exploitation avec une vision écologique : elle sème de l’engrais vert (graines de moutarde, sarrasin…) pour redonner de la richesse au sol entre deux cultures annuelles, a mis en place un arrosage en goutte-à-goutte pour diminuer la consommation d’eau, opte pour des contenants recyclés pour proposer ses bouquets… Seule entorse : une chambre froide dont elle se sert, en période estivale, pour entreposer sa cueillette au frais avant la livraison.

Lydvine Carré n’a pas suivi de formation horticole mais s’est formée sur le tas. Curieuse, elle apprécie de réaliser des tests et des recherches pour améliorer ses cultures. « Je savais déjà faire des semis, des plantations, mais je dois encore me perfectionner sur le traitement des maladies, reconnaît-elle. Je me tourne régulièrement vers des maraîchers autour de moi pour leur demander des conseils et je me nourris des échanges avec les autres membres du collectif de la Fleur française. »

Vente en circuit court

L’horticultrice a également fait le choix de vendre à proximité, dans un rayon de 15 kilomètres autour de chez elle. Elle propose ses bouquets et bottes de fleurs fraîchement cueillies (au maximum 24 heures plus tôt) dans deux magasins de producteurs et sur le marché de Crest, entre 7€ et 35€. « Sur les marchés, je touche les gens qui s’achètent des fleurs pour eux, dit-elle encore. Je leur explique les problématiques de la filière en termes d’impact carbone, de produits chimiques… Ma plus-value, c’est que mes fleurs sont moins standardisées : je propose de nombreuses variétés en respectant la saisonnalité. Et je les cultive près de chez eux, tout en vendant à un prix équivalent à celui des fleuristes. »

Mathieu Gourdol, l’un des associés de la Ferme des Volonteux qui propose les bouquets de Lydvine dans son magasin depuis environ un an, confirme que la demande est au rendez-vous. « Ça marche super bien car la qualité des compositions est là. Le choix des variétés est travaillé et elle maintient une grande fraîcheur des bouquets », assure-t-il.

Lydvine Carré illustre un certain renouveau de l’horticulture française : une production locale, de saison, écologique, commercialisée en circuit court. Une alternative intéressante, qui émerge d'ailleurs partout en France, mais qui doit encore essaimer pour toucher davantage de consommateurs et consommatrices.

(1) Source Val’hor, l’Interprofession française de l’horticulture, de la fleuristerie et du paysage.

Des fleurs importées bourrées de produits chimiques

Moins réglementées que l’alimentation, les fleurs importées vendues en France contiennent de nombreux produits chimiques : engrais, fongicides, insecticides. Dans une enquête de 2017, la revue 60 millions de consommateurs avait identifié 49 traitements divers pour des roses. Le bouquet analysé le plus « propre » comptait trois substances autorisées et un fongicide interdit, tandis que le pire cumulait 25 produits différents, dont neuf pesticides interdits. Une bonne raison de se tourner vers les productions locales, bio et de saison afin de les encourager !

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